De la révolte

  • Le 21/07/2018
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De la revolte

 

 

 

 

    J'aimerais reparler peinture, car le sujet, outre qu'il est bien entendu riche, va nous permettre de traiter de la nature de l'art et donc du fonctionnement de la conscience et donc finalement de la destinée de l'homme! "Rien qu' ça!", pourrait-on me dire, mais il nous faut nous donner du champ, pour laisser battre "nos ailes", afin de jouir du spectacle! Rien de tel qu'un petit tour dans le cosmos, qui nous fera voir dans notre ensemble, pour nous aérer et nous donner de l'énergie!

    Mais commençons par notre quotidien et comme je l'ai déjà dit dans quelques textes précédents, il existe aujourd'hui une nouvelle mode, qui est de peindre d'après photographies! A priori, c'est le résultat d'une bonne logique et on peut très bien imaginer que les peintres impressionnistes, notamment, eussent applaudi à un telle solution, en la trouvant idéale!

    Car, sur le terrain, à combien de difficultés ne devaient-ils pas faire face? D'abord, il fallait transporter le matériel et on se rappelle peut-être cette image de Cézanne, le dos courbé par le poids de son chevalet... C'était un moyen pour sympathiser avec les ânes!

    Ensuite, la technique à l'huile demande de revenir sur le même lieu plusieurs fois et à la même heure..., car on a besoin de la même lumière et on espère donc de tout son cœur que le temps ne change pas! Cela fait beaucoup, surtout à notre époque, troublée par le réchauffement climatique; mais il n'est pas possible de réaliser une œuvre à l'huile d'un seul coup! (Cependant, on peut s'opposer à cette "règle", mais le danger alors est de "salir" sa peinture par les mélanges: on n'est plus capable d'obtenir la couleur du tube, même en le vidant!)!

    Dès que les premières touches d'une séance commencent à sécher, on est dans ce qu'on appelle le "demi-frais" et continuer comporte un risque... En effet, une couche a été constituée et si on la recouvre, son huile détruira l'obstacle, pour pouvoir s'évaporer... C'est ce qui fait que la peinture sèche, mais il faut donc respecter le temps qu'exige ce processus et entre chaque couche, on est forcé d'attendre deux ou trois semaines, voire plus! Sinon, la sanction est terrible! Alors que le peintre est rayonnant devant son tableau achevé, plusieurs mois et même plusieurs années plus tard, il est en larmes, car son beau travail est craquelé comme un marais desséché!

    Enfin, la poussière contenue dans l'air se dépose sur la toile et va en ternir la couleur avec le temps elle aussi... On le voit, le peintre qui utilise l'huile, à force de ronger son frein, peut devenir la proie de tics, avant d'être accueilli avec patience dans un établissement spécialisé! Et on comprend que l'idée de peindre d'après une photographie, même pour la peinture acrylique, ait paru comme la panacée et qu'on crie volontiers eurêka devant cette façon de faire!

    Pourtant, le résultat est très étrange, car s'il est d'abord séduisant et même impressionnant, il conduit les œuvres à toutes se ressembler! Elles ont toutes un point commun, qui rend leur origine parfaitement identifiable! Elles contiennent une exactitude impossible à l'œil humain, mais qui est propre à l'objectif photographique! Et c'est d'autant plus vrai que le sujet est difficile à saisir, comme le ciel, une vague ou un reflet!

    Qu'est-ce que dit la photographie au peintre: "Tu disposes de l'éternité pour me peindre! N'est-ce pas merveilleux?" Et que répond le peintre: "Ma chère, je vais même te quadriller, comme ma toile! Ainsi, je vais reproduire chacun de tes points!

    _ Je savais que je pouvais compter sur toi!

    _ Appelle-moi Mimile!

    _ Hi! Hi!"

    Malheureusement, leur enfant a quelque chose de monstrueux, c'est cette exactitude inhumaine, cette précision digne de l'horlogerie! Et si on peut saluer la performance, où est la création?

    Peindre en plein air présentait tellement de difficultés et montrait tellement combien la nature par sa richesse dépasse le peintre, que celui-ci était forcément conduit à trouver des solutions, des "raccourcis", pourrait-on dire, qu'il ne trouvait qu'en lui! Autrement dit, il était comme poussé vers la création! Il se devait d'être inventif! (En fait, le génie synthétise...)

    Au contraire, la photographie laisse croire qu'il est possible de saisir véritablement, objectivement, le réel, la réalité! C'est faux bien entendu, car autrement la photographie ne pourrait aucunement prétendre être un art... Sa technique même transforme le sujet, produit un résultat particulier, qui s'étend notamment de la gestion de la profondeur de champ jusqu'à celle des couleurs, qui elle-même dépend de votre ordinateur et de votre imprimante!

    Mais il n'en demeure pas moins que la grande qualité de la photographie est la précision, mais pourquoi la reproduire, d'autant que la photographie qui sert de modèle n'a pas le plus souvent d'intérêt pour l'art photographique lui-même (un beau cliché est en effet très difficile!)?

    Comment peut-on se rendre esclave ou servile à ce point? Pour montrer qu'on peut faire aussi bien qu'un boîtier et son objectif? Presque toutes les peintures d'aujourd'hui l'affirment! Nous, les hommes, nous pouvons concurrencer Nikon et Canon, nous pouvons valoir à peu près 5000 euros, c'est le prix de nos vies, celui d'un appareil complet de qualité! Il ne reste plus au Noël prochain qu'à couvrir nos peintres d'un emballage cadeau!

    Pourquoi s'astreindre à ce travail minutieux de reproduction? Parce que c'est la normalité? parce qu'on comprend mieux ainsi la nature? parce qu'on veut être géographe, géologue, entomologiste ou ethnologue? N'est-ce pas plutôt qu'on a peur d'être original? parce qu'on veut rentrer dans le "rang"! avoir la caution de l'exactitude!

    Ah! Mais on désire une médaille, un prix! On veut être au garde-à-vous devant les journalistes, être reconnu, avoir sa place dans cette société juste et bonne! On se sert d'une soi-disant création pour être comme tout le monde! On est prêt pour la fête des mères! On est l'auteur d'une œuvre polie et disciplinée, et on voudrait être l'égal de quelques parias que personne n'a aimés, mais dont les noms brillent dans l'histoire de l'art et dans l'histoire tout court! On ne doute de rien!

    Mais qu'est-ce qui fait un véritable créateur? Mais c'est d'abord sa sensibilité, qui est unique! C'est elle qui lui fait comprendre les choses différemment des autres! Sinon, il n'y a pas d'originalité, de création!

    Et c'est d'ailleurs encore cette sensibilité qui met les scientifiques sur la piste de l'autisme, pour expliquer le génie artistique, car on comprend bien le danger: si la sensibilité est excessive, elle devient paralysante, voire handicapante, comme dans le cas où l'émotivité est si forte qu'elle conduit à la panique, ainsi qu'on le voit chez certaines personnes autistes!

    Et la science est d'autant plus à l'aise sur cette voie qu'elle considère que son propre génie possède un garde-fou, qui est bien entendu la preuve, fruit de l'expérience! C'est elle qui valide l'hypothèse et qui garantit à la science son objectivité, loin des brouillards de la création artistique; bien qu'elle-même n'explique en rien pourquoi apparaissent par exemple Pasteur ou Newton et qu'elle doive être changée avec le temps!

    Mais c'est comme si derrière chaque véritable artiste, il n'y avait pas un penseur de première force, qui réfléchit à son art et au sens de la vie! Comme si l'art n'évoluait pas grâce à un patient travail de la logique! Comme si ses tâtonnements n'étaient pas sous le joug de la raison! Comme si ses solutions n'étaient pas le fruit d'une analyse rigoureuse! Comme si ma chronique était dépourvue de fondements! Comme si mon lecteur ne pouvait pas se faire sa propre idée, en évaluant mes arguments!

    Que le véritable artiste soit le seul juge de son univers, c'est il est vrai une énigme, mais c'est aussi un fait! Que la science soit prompte à parler de maladie sur le sujet montre plus sa suffisance que sa pénétration! Freud, notamment établissait une nette distinction entre les scientifiques et les artistes... ; ceux-ci étant des névrosés, créant pour compenser leur pulsion sexuelle refoulée, à cause de traumatismes!

    Les scientifiques, eux, étaient des gens normaux, gouvernés par la raison et qui n'oubliaient de faire l'amour une ou deux fois par semaines, pour l'hygiène ou tout du moins pour la détente! Mais qui oserait dire aujourd'hui que les chercheurs ne sont pas également des névrosés? Et que se serait-il passé si on avait interdit au père de la psychanalyse de suçoter son bâton de chaise? Sur quelle gorge aurait-il sauter, ou plus simplement se serait-il mis à pleurer?

    Le regard de la science sur l'art révèle un hiatus bien plus profond et qui concerne la place de la conscience dans l'univers... Si on la considère comme un accident, on a forcément tendance à la voir comme une ennemie et on se tient alors avec une extrême rigueur à ce qui est objectif, c'est-à-dire à ce qui existe a priori sans la conscience (et donc sans nous!)!

    Par exemple, le généticien Jacquard déclarait benoîtement: "La beauté est une invention de l'homme!"; sous-entendu la gravitation ne l'est pas, car elle existerait (ou existe) sans lui! On imagine quelques beaux sujets pour le bac de philo: "Une chose est-elle réelle si la conscience l'ignore? (autrement dit: la gravitation est-elle une réalité pour le bousier?)" ou bien: "L'homme pourrait-il vivre dans un monde qu'il percevrait comme foncièrement laid?"

    Ce sont peut-être là des questions stériles, mais on peut encore voir la conscience comme une suite logique de la complexification de la matière et dès lors elle s'inscrit dans un ensemble plus harmonieux..., car revenons à cette sensibilité particulière et même exceptionnelle du véritable artiste!

    On comprend aisément qu'elle lui donne un regard neuf, d'autant que nous sommes tous le fruit d'une époque, qui ne voit pas bien entendu les choses comme la précédente, puisque nous profitons aussi de toute l'expérience passée! Mais le véritable artiste va être charmé par la beauté de la nature (ce qui est le cas pour nous tous, mais à des degrés divers...) et il va peu à peu chercher à exprimer sa vision, ce qu'il ressent. C'est sa personnalité qui se développe, c'est son être qui grandit et qui s'affirme; et son travail est une création, de même que voit le jour une nouvelle théorie scientifique!

    Mais si le véritable artiste se "mesure" au réel, ce n'est pas pour le copier! Cela ne ferait pas son affaire! Ce qu'il veut, comme chacun d'entre nous, c'est d'être lui-même; mais il est tellement riche que c'est un monde à part qui va naître! Son originalité est telle que la précision photographique lui paraît une diminution et qu'il considère tout enseignement de l'art comme une hérésie et même comme une souillure! Comment pourrait-on se prévaloir de connaître mieux que lui ou d'influencer ce qui en lui est de plus "sacré', de plus pur, de plus essentiel!

    Bas les pattes! Certes, il faut que le véritable artiste connaisse les bases de la technique, mais il inventera même la sienne, et qui ne sera jamais un but! Car la technique n'est là que pour servir; jamais elle ne doit être mise en avant! Et pourtant nos librairies sont pleines de livres consacrés à la technique, comme si on pouvait devenir créateur en adoptant la façon d'un autre!

    D'après le portrait que je dresse, le véritable artiste peut se voir comme un nerveux facilement irritable, et certains scientifiques en profitent pour crier haro sur le baudet! N'avons-nous pas là un beau névrosé! Mais le véritable artiste est avant tout un étranger, un paria! Son acuité, sa pénétration le place à un niveau supérieur dans l'évolution de la conscience! Il est lucide et clairvoyant, quand les autres sont aveuglés par leurs passions, leur égoïsme ou leur hypocrisie! Il est, malgré sa fragilité, une "lumière" qui éclaire les ténèbres!

    On lui en veut donc! Il provoque la jalousie et on cherche à le diminuer, à le mépriser, à le ridiculiser! quand ce n'est pas l'indifférence générale qui le broie! Il combattra pour survivre, pour faire valoir ce qu'il croit juste et vrai! Il sera souvent seul, révolté dans son coin! Il continuera contre vents et marées, persuadé d'avoir raison, sans l'appui de la science! haussant les épaules devant toute la bêtise ambiante, et les faux dieux que la société se donne, parce que ça l'arrange!

    Il connaîtra le désespoir et il supportera des souffrances, que la plupart des hommes ne soupçonnent même pas! Mais sa révolte est une chance pour l'humanité! Son témoignage, son œuvre, son regard, son analyse changeront peut-être plus nos mœurs que n'importe quelle découverte scientifique! Il nous est plus intime... et pourquoi ne pas le voir comme une sorte de mutation, qui donnerait à notre espèce une nouvelle capacité de s'adapter, afin de mieux survivre?

 
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