De la quadrature du cercle

  • Le 26/01/2019
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De la quadrature

 

 

 

    Quel vacarme! Le trafic, les klaxons, les ambulances, les perceuses, les raboteuses et plein de bruits étranges, bizarres, incongrus, dont on situe mal l'origine, mais qui vous mettent dans des situations dignes de Jacques Tati!

    Notre univers est incroyable! Nous sommes agressés, malmenés, tourmentés, comme si des dieux indifférents nous soumettaient à des expériences, à des tests, qui permettraient d'évaluer notre résistance, notre courage!

    Nous vivons dans un chaos perpétuel, dans une mer de nuisances, qui nous soûle, nous emporte, nous laisse épuisés, et tout cela sous le voyage lent des nuages, qui ressemblent à des géants placides et grotesques; et tout cela au-dessous des oiseaux qui vont et viennent, plus légers que l'air, grâce notamment aux "coups de rames" de leurs ailes!

    Parmi la foule, il y a ceux qui haïssent, terribles! Ils ne voient qu'eux, ils veulent dominer, sinon leur monde s'écroule, et les autres sont soient des rivaux à abattre, soient des esclaves!

    On les plaindrait, car ils sont des taupes, s'ils ne faisaient pas le mal autour d'eux! Ils rajoutent du stress bien entendu; ils poussent, ils défient, ils bousculent même; ils cherchent à tout prix à ce qu'on les regarde, les considère, à devenir le centre de tout!

    Quelle croisade est la leur! S'ils savaient comme nous nous en moquons! Comme si un égoïste ou un tyran pouvait être intéressant! comme s'il n'était pas une prison! Comment admirer une pierre tombale? C'est mort, un tyran!

    Ah! mais ça hait quand même! ça voudrait diriger, être un phare, alors que ça ne connaît rien! C'est vide, un nombril! C'est moins qu'un oiseau, qu'un rayon sur un nuage, qu'une feuille qui luit! Et le chant de la pluie sur les toits, dans les gouttières! comme une couverture musicale, qui apaise et endort!

    S'il y a des tyrans qui menacent comme des chiens féroces, la majorité toutefois avance pesamment, la tête basse, pleine de questions, de remarques, de débats, d'analyses, de verdicts et de condamnations! Rien d'étonnant donc à ce que cela soit lourd! C'est comme si au quotidien nous étions en train de résoudre la quadrature du cercle ou une équation à trois inconnues! Mais peut-être cherchons-nous plutôt à définir la conscience objectivement, en étant là et absent en même temps? L'effort se lit sur les visages, la tension y est palpable, ainsi que nous serions en passe d'atteindre la connaissance ultime, de mettre la main sur la pierre philosophale ou la clé de Dieu!

    Oui, nous avons l'air d'être de professeurs soucieux ou encore d'avoir été bannis du pays du bonheur et d'aller vers l'épouvante, tel un contingent pour Cayenne: "En avant marche et régulier le sabot!"

    Nos ruminations sont en effet vastes, compliquées, ardues, douloureuses même; de sorte que de réfléchir nous pourrions faire un métier! Nous serions tout près de la fortune, vu notre rendement! Nous avons une scie circulaire ou un compteur électrique dans le cerveau! Si en plus on fume, c'est comme allumer une tronçonneuse et voilà qu'on en débite de la réflexion! On ne serait pas mal derrière un étal à la vendre! Vingt euros le kilo de pensées!

    Mais qu'est-ce qui nous préoccupe tant? Quel pré broutons-nous? Quel carburant utilisons-nous ? Quels paquets d'idées trions-nous? Quels sont nos thèmes favoris?

    Ecoutons le monologue silencieux de celui-ci: "Elle m'a dit que j'étais un égoïste... Mais elle aussi est égoïste! Le soir du 24, j'ai voulu aller au cinéma et on est resté à la maison, pour l'agréer! Hein? Pourquoi on obéirait à son plaisir plus qu'au mien? Moi aussi, je fais des sacrifices! Hein! Mais peut-être que je n'ai pas assez le sens de l'effort! Peut-être que ma mère méritait mieux, dans le fond! Hein?

    Bien sûr, y a plus malheureux! Y en a qui n'ont pas de toit, qui ont faim! Faut les voir les mendiants, assis dans le froid, avec leur petite écuelle devant eux! Et pourtant je ne donne pas! J'en ai marre! J'ai toujours l'impression d'être la bonne poire! Mais peut-être que c'est ça d'être égoïste..., quand on est toujours penché sur son cas, sur soi! Mais, j'suis pas heureux non plus... Ah! ça non! Alors? Il me manque quelque chose... C'est là, je le sens... Mais ça se dérobe, ça m'épuise! La vie, tout de même, quelle poisse!"

    Suivons encore celle-là dans sa plus profonde intimité...: "Richard, lui, c'était un homme! Il m'en a voulu de mon départ..., mais je ne pouvais pas rester! Il y avait les enfants et maman aussi! Il m'était impossible de laisser tomber maman, surtout depuis qu'elle est malade! Mais n'est-ce pas un prétexte? Parce que j'ai peur..., peur d'être heureuse peut-être? Je manque sans doute de courage...

    Corinne m'a dit un jour que je n'étais pas assez déterminée... Pfff! Où est Corinne aujourd'hui? Dans un pavillon de banlieue, avec un mari qu'elle n'aime pas! Où sont ses rêves à présent? Et pourtant je me rappelle, Corinne la révoltée! C'était du temps où on se soûlait au vin blanc, à n'importe quelle heure!

    Dans une revue, j'ai lu qu'il fallait être fière de soi à la fin de la journée..., ainsi on combat la dépression... Mais de quoi pourrais-je être fière... Je ne suis même pas sûre d'aimer maman! Et cette idée même me terrifie! Suis-je anormale?"

    On le voit et ce n'est pas une surprise, mais le sujet sur lequel nous travaillons le plus, c'est nous-mêmes! A l'examen, nous devrions donc remplir notre copie d'une plume alerte et pourtant nous levons un voile pour en découvrir un autre! Apparemment, nous sommes devant un abîme insondable! La perplexité semble être notre lot!

    Remarquez que le tyran est moins embarrassé... Il a une telle idée de lui-même que ce n'est pas le doute qui le taraude, mais c'est son mépris qui le guide! Le tyran écrase ses ennemis, balaie la concurrence, se venge implacablement, critique sans sourciller et croit ses désirs parfaitement légitimes, de sorte que dans la rue il marche comme un ministre ou passe comme une déesse!

    Mais, plus communément, la vérité nous paraît comme une luciole insaisissable et qui danserait devant nous! Sommes-nous effectivement condamnés à l'ignorance, à vivre dans un mirage? Sommes-nous seuls, abandonnés,  tels des fruits empoisonnés du hasard? La paix, le bonheur sont-ils des supplices de Tantale?

    Nos bibliothèques sont pleines de livres qui nous montrent ainsi, livrés à nous-mêmes et nous débattant dans une nuit sans espoir! Ils se veulent lucides, sans être trop amers, comme si l'homme était une sorte de funambule dans le cosmos, exécutant seul son numéro, mais assez courageux tout de même, pour éviter le rôle du clown triste! "Il faut bien vivre!" semble être le message essentiel de cette littérature et ainsi notre sort serait moins enviable que celui des animaux, puisque à l'opposé d'eux on comprendrait notre malheur, l'insuffisance de notre condition!  

    Nous sommes pourtant nés de l'Evolution, nous sommes le résultat d'une adaptation dont le temps donne le vertige! Chaque métamorphose est une réussite, sinon elle condamne et fait disparaître... Or, la conscience qui nous caractérise est a priori un progrès!

    En effet, toute espèce qui ne peut modifier son comportement est vulnérable! Il suffit que l'environnement change brusquement et c'est le danger! Ainsi s'explique la disparition des dinosaures... La météorite qui frappe la Terre répand dans l'atmosphère un nuage de cendres, qui tue la végétation, et on connaît la suite!

    Il sera sans doute possible à l'homme, et peut-être même cela l'est dès aujourd'hui, de parer une telle menace, en détruisant le corps céleste avant qu'il n'atteigne notre planète! De même, nous luttons contre le réchauffement climatique en diminuant les gaz à effet de serre, mais ne pourrions-nous pas un jour être en mesure de refroidir directement l'atmosphère, d'être les maîtres de la température? Cela semble de la science fiction, mais le chemin parcouru nous laisse déjà sans voix!

    La conscience permet à l'homme de s'affranchir de ses instincts, c'est-à-dire qu'elle lui donne toute liberté et par là le pouvoir de modifier profondément son comportement! Nous voilà avec une capacité d'adaptation apparemment infinie!

    Certes, nous pouvons être pris de vitesse et nous sommes majoritairement aveugles et chaotiques, mais théoriquement nous sommes les mieux armés pour nous maintenir en vie!

    Cependant, il y a un prix à payer, pour ainsi dire... C'est que nous ne sommes plus des robots! Nous ne répétons pas chaque jour les mêmes attitudes, comme les animaux, mais nous sommes confrontés à l'inconnu! Nous sommes conduits à nous interroger, à nous demander ce qui est le mieux! Nous devons trouver des réponses, choisir et prendre des décisions et cela ne peut pas ne pas créer en nous de la tension, des inquiétudes, de la peur!

    Mais l'homme ne peut être qu'un créateur, car sa capacité l'émancipe, le place sur un chemin que nul n'a foulé! Evidemment, les sociétés ont des lois, des règles, des gouvernements, un encadrement, une histoire, des expériences, un enseignement, des messages religieux, qui concernent essentiellement la sagesse; il nous faut encore gagner de quoi vivre et, dans la plupart des cas, cela veut dire un travail, avec des horaires, des contraintes, mais nul au fond ne sait ce qu'il faut définitivement faire; nul n'a l'autorité pour cela; d'autant que les pensées et la situation d'hier ne sont plus bien entendu celles d'aujourd'hui!

    Nous évoluons en découvrant! Nous grandissons sans tutelle et cela ne peut être que difficile! Le doute, le risque font naturellement partie de nos vies et il est normal qu'ils nous perturbent! Ceci est capital, car nos débats intérieurs, à l'origine de nos angoisses ou de nos craintes, ne sont donc pas haïssables! Au contraire, ils sont nécessaires! Et ils sont même un signe de bonne santé, de vitalité! C'est réfléchir et même hésiter qui reflètent la vie, bien plus que l'agitation ou l'action, voisines du réflexe!

    L'inconnu effraie donc chacun d'entre nous et apparemment le tyran plus qu'un autre! On peut même se demander si la tyrannie ne vient pas justement de la peur, car celle-ci produit incontestablement l'agressivité et la violence! Prenons le cas d'Hitler par exemple... Sa haine à l'égard des Juifs est irraisonnée, puisqu'il les voit comme une sorte de mal sournois, envahissant et obscur... C'est une crainte morbide, dont l'origine n'est pas à situer sur un plan sexuel, comme on le dit parfois, mais elle apparaît plutôt chez un jeune homme seul, sans le sou, dans une capitale, en l'occurrence Vienne, et qui sent inévitablement l'avenir avec effroi!

    Dans ces conditions, la paranoïa n'a aucun mal à s'installer... En s'inventant des ennemis, on se donne aussi une existence... La maladie naît de la terreur et de la fragilité, mais le tyran n'y apporte pas le bon remède! Il a un tel orgueil, une telle soif de s'imposer et de réussir, qu'au lieu d'essayer de découvrir le monde tel qu'il est, il le veut à son image! Sa tyrannie sert à le transformer! D'ailleurs, sa peur, le tyran la nie au point de l'oublier, car de toute façon elle lui semble dégradante!

    Ainsi, toujours aujourd'hui, on peut voir chez les gilets jaunes des slogans tel que celui-ci: "Nous sommes prêts pour nos propres lois!" On veut donc encore un monde selon ses désirs et remplacer un pouvoir par un autre! Ce ne peut être un progrès, car l'inconnu n'y est pas traité! Une solution nouvelle n'est possible que si on fait face à ses inquiétudes... Mais même Macron, s'il reste dans le cadre de la constitution, est poussé par sa peur, ce qui le rend agressif!

    Nous disposons d'un pouvoir créateur, mais nous n'en voulons guère! Nous préférons notre égoïsme à notre liberté! (A ce sujet, voir la peinture Les papillons, dans Dernières photos!) Pourtant, c'est bien la nature qui nous a donné le jour et curieusement elle nous offre des réponses!

    Il suffit de l'écouter... Celui qui prend patience, qui grâce à son courage ne fuit pas ses peurs; celui qui sait attendre, qui regarde ses craintes, qui connaît son angoisse; celui-là découvre bientôt des vérités, des explications qui l'apaisent, le fortifient, le conduisent sous un ciel bleu, où bientôt l'harmonie le fait chanter!

    Ce n'est pas une affaire d'intelligence, mais de modestie, d'humilité! C'est la seule voie créatrice car elle est spécifiquement humaine! C'est donc elle qui apporte le bonheur et qui améliore vraiment le monde!

    Le tyran n'évolue pas; il crie sa force pour occulter sa lâcheté! Il terrorise pour ne plus sentir sa peur!

    Le sage, lui, patiemment, ouvre la porte de l'infini!

 
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