De la marche

  • Le 23/06/2018
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De la marche

 

 

 

 

 

    La marche est peut-être ce qui nous permet le mieux de comprendre ce que nous sommes et le montrent, bien que sans le vouloir, ceux qui prennent inconditionnellement leur voiture, qui ne savent plus marcher et qui constituent le tumulte du trafic.

    En effet, la conduite, même si elle est sérieuse, est d'abord un jeu, avec ses règles, et l'automobiliste qui prend les commandes de sa voiture est aussitôt rassuré! Il intègre un fonctionnement reconnu par tous; il a un rôle qu'il peut élever jusqu'à la virtuosité. Sa place dans le monde ne fait plus aucun doute!

    Mais la connaissance de soi est ainsi amputée... Elle perd ce que la conduite offre... Elle gagnerait à s'étendre dans l'inconnu... et ce n'est pas par hasard que tant de gens évitent de marcher, ont recours à leur véhicule..., car conduire sécurise, tandis que marcher fait peur!

    On voit aussi, par cette simple observation, combien il est impossible de lutter efficacement contre le réchauffement climatique, sans un changement profond des mentalités; car bien entendu le trafic pollue, d'autant qu'il n'obéit pas à la seule nécessité!

    Marcher est sans média et n'est que le fruit du corps, qui n'est lui-même que le fruit de l'esprit, et comme on pense, on marche!

    Autour du marcheur, il n'y a plus le cadre métallique de la voiture, ni ses commandes, ni son confort... Toute son attitude est alors le reflet de son "âme", de son équilibre, et chacun peut l'observer, quasiment comme s'il était mis à nu!

    On comprend que le plus grand nombre craigne cet effort, cette position...

    Cependant, toutes nos pensées influent sur notre pas, mais c'est aussi le pouvoir du regard des autres. La marche a donc deux niveaux: l'un extérieur et l'autre intérieur, en nous!

    Ce sont deux "sources" qui communiquent, qui se répondent: ce que vous êtes fait réagir et vous positionne à votre tour!

    En voiture, l'échange est pauvre, souvent agressif, car la conduite éprouve les nerfs et la carrosserie masque autant qu'elle protège!

    Notez que le succès du SUV n'est pas innocent... Ce véhicule est une berline habillée en tank, ou l'inverse!

    La marche au contraire calme, mais rend forcément plus vulnérable... L'esprit en effet n'a rien de métallique et sa fluidité n'est plus à démontrer!

    Cependant, cette exposition elle-même conduit à une communication plus riche avec les autres... Ce que nous percevons d'eux et sur nous est forcément plus prégnant et plus révélateur aussi! Le mensonge n'a plus de protection et ne résiste pas au regard!

    Quand les hommes (et les femmes) se croisent, ils comparent leur présence au monde: sont-ils forts, séduisants? sûrs d'eux-mêmes? dominants ou dominés? heureux ou malheureux? perdants ou gagnants? On se jauge en un coup d'œil, puis on s'éprouve...

    Mais avant d'aller plus avant, il vaut mieux d'abord considérer le niveau intérieur de la marche, c'est-à-dire le fonctionnement de notre esprit!

    Comme nous sommes exposés, c'est bien sûr notre fragilité, notre perméabilité qui se signalent le plus intensément... et notre tête est une véritable passoire! Cela peut paraître une évidence, mais nous allons voir qu'il n'en est rien pour la majorité!

    En réalité, tous nos traumatismes, toutes nos blessures constituent autant de "trous" dans notre cervelle! Et c'est par ces "trous" qu'entrent et nous pressent nos peurs, nos phobies! C'est par eux que murmurent, parlent et même crient nos névroses!

    Un exemple... Si je suis fatigué, j'ai parfois l'impression que quelqu'un arrive derrière moi et va me bousculer. Cela vient sûrement de mon enfance pleine de tension, de heurts, de drames aussi!

    On m'a si souvent tourmenté que j'en porte forcément l'empreinte et dès que j'ai ce sentiment gênant, qu'on vient à grands pas dans mon dos, ma marche évidemment se tend, se contracte et je finis même par m'écarter, en me rapprochant des façades... Il me faut faire un petit effort pour me retourner et constater encore une fois que j'ai été victime de mes nerfs... ou d'un fantôme!

    Mais, ainsi, chacune de nos pensées commande notre pas et même tout notre corps! C'est notre psychisme qui nous tient comme une marionnette, qui nous redresse ou au contraire nous affaisse! Evidemment, notre condition physique, si elle est bonne, pourra nous aider d'autant... Celui qui a du souffle sera à même de respirer plus facilement et donc de plus vite récupérer! Il possède là un atout qu'il ne finira pas de louer!

    Cependant, une inquiétude et la marche perd de sa souplesse, devient dure... Chacun de nous d'ailleurs à une zone corporelle où toutes les tensions se concentrent... C'est une zone qui devient symptomatique: elle indique par sa douleur notre état de stress et sa dégradation peut conduire à la maladie...

    Je ne saurais trop vous conseiller à ce sujet la lecture du Curiste, d'Hermann Hesse... Ce sont les rhumatismes qui y sont à l'honneur et les vicissitudes de l'écrivain sont aussi drôles que pertinentes!

    Mais l'angoisse même est capable de rendre nos jambes flageolantes! L'individu vit alors une véritable torture et ne cherche plus qu'à se dérober! Il est donc nécessaire de bien connaître son psychisme, afin de mieux le contrôler, et le sage, lui, connaît ses peurs, comme un agriculteur ses vaches...

    Elles ont beau être nombreuses, il pourrait donner à chacune un prénom et il les conduit aussi paisiblement qu'un troupeau qui rentre des champs... Il est donc capable de trouver un équilibre... Il marche avec harmonie, il sait se détendre, éviter les points douloureux... Il ne s'use pas et gagne toujours en force!

    Maître à l'intérieur de lui-même, le sage ne se prive pas de contempler l'extérieur, ceux qu'il croise et il voit avec intérêt quel effet il produit, comment sa présence est perçue!

    La logique est quasiment toujours la même: on essaie de susciter l'attention et l'admiration du sage, car il est considéré comme dominant: sa force est évidente et sa présence et donc son regard comptent! Les femmes veulent lui plaire, car c'est par la séduction qu'elles cherchent elles-mêmes à dominer! N'oublions pas que ce besoin ou ce désir de dominer est instinctif!

    Les hommes voient le sage comme un concurrent, un rival et ils tentent de le supplanter. Ils bombent le torse et font voir un aspect physique dont ils sont fiers! Cela va de la démarche altière jusqu'aux biceps saillants, en passant par la très grande taille ou les abdominaux de fer! Il faut que l'adversaire se sente écrasé!

    Mais c'est un numéro de cirque pour le sage, qui n'y voit que du ridicule et qui n'y cède jamais! Car lui-même n'a pas besoin de se montrer supérieur, pour être à l'aise. De même, il ne répond pas aux femmes, car pourquoi irait-il avec une personne qui est encore en proie à son égoïsme, qui ne s'est pas éveillée en se séparant de lui! Le sage aurait tout à perdre en nouant une telle relation!

    Il est tout de même des réactions qui surprennent le sage, l'inquiètent et le consternent même! Ce sont les femmes chez qui la séduction est absente et qui haïssent d'emblée! Je me rappelle une montée dans un car, au cœur d'une petite ville... J'achetai mon billet auprès du conducteur et regardai où il y avait des places... Je dus alors croiser le regard résolument hostile d'une dizaine de lycéennes et j'aurais été mieux accueilli par des loups affamés!

    Que signifiait une telle haine à l'égard des hommes? Autrement dit que veut cette nouvelle génération de femmes, sinon exclusivement dominer? L'homme est tellement méprisé qu'il n'est même plus vu comme un marchepied, ce qu'il peut être au pire! Le romantisme, visiblement, n'a pas fleuri chez ces femmes et si elles fondent un foyer, elles en seront les maîtres absolus!

    Aujourd'hui, les femmes se plaignent avec raison des abus des hommes, mais elles semblent ignorer que parmi celles qui sont le futur, beaucoup ont déjà quelque chose de monstrueux!

    Pourtant, la haine est la voisine du sage, car si on ne l'impressionne pas, on le méprise! C'est là en effet l'ultime façon de se sentir encore dominant! Mais ce comportement montre aussi combien l'équilibre général, celui de la majorité, n'existe pas, qu'il est une fable, une tromperie, un leurre!

    En effet, tant que nous voulons dominer, nous ne sommes pas libres! Nous avons besoin des autres pour les assujettir ou les tyranniser! C'est leur infériorité qui affirme notre supériorité!

    Mais ce n'est qu'une fuite en avant! Car dans ces conditions nos questions, nos craintes, nos angoisses ne sont ni examinées, ni traitées! Elles n'ont que pour seul remède notre domination et si celle-ci ne fonctionne pas, nous haïssons, car c'est encore l'abîme de l'inconnu qui nous menace!

    Il n'y a pas de paix ici, ni d'évolution! On reste tourmenté, malheureux, prompt au mal!

    Le sage, lui, voit dans la marche son triomphe! Il est sans dominer; c'est ce qui fait sa force d'attraction, sa densité exceptionnelle! Il ne peut rien lui arriver: l'abîme est vaincu!

    Par quel miracle?

    Aucun! Ce n'est que le fruit d'un long travail de patience et de sincérité! Pendant que les autres voulaient jouir, s'imposer, le sage, lui, se demandait s'il était juste; il se diminuait, s'interrogeait laborieusement, même douloureusement!

    Le chemin du sage était plein de cailloux, quand celui des autres avait tout d'une autoroute!

    La nuit du sage paraissait sans fin, quand les autres semblaient briller!

    Le sage avait de la peine, les autres de la morgue!

    Le sage était gauche, hésitant; les autres sûrs d'eux et fonçaient!

    Le sage avait l'air stupide, les autres s'en moquaient!

    Le sage se croyait le dernier, les autres les premiers!

    Le sage était écrasé, les autres péroraient!

    Le sage pleurait, les autres riaient!

    Mais la récompense est là!

    Le sage marche et les autres s'attachent à lui!

    Le sage est tranquille, les autres troublés!

    Le sage est heureux, les autres fermés!

    Le sage sourit, les autres grimacent!

    Le sage devient plus fort, les autres se brisent!

    Le sage rayonne, les autres s'éteignent!

    Le sage aime, les autres détestent!

    Le sage est confiant, les autres maudissent!

    Le sage chante, les autres ruminent!

    Le sage respire, les autres s'étouffent!

    Le sage vit, les autres meurent!   

 
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