De l'Eveil

  • Le 14/07/2018
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De l eveil

 

 

 

 

    A ce stade de ma chronique, un retour en arrière me paraît nécessaire... Dès le départ, je me suis retrouvé dans un monde hostile, que je ne comprenais pas et qui me faisait souffrir. Je n'ai trouvé autour de moi aucune complicité, ni aucun secours, et c'était d'autant plus horrible qu'apparemment j'étais le seul à endurer ainsi...

    Je me suis donc isolé très tôt et je passais mon temps à me rendre justice, à donner à mes blessures une existence réelle, de sorte qu'elles puissent guérir; car il y avait toujours un doute, puisqu'on m'assurait qu'on ne me faisait pas de mal, qu'on n'avait à mon endroit nulle haine, nul mépris!

    Dans ces conditions, il est deux fois plus pénible de souffrir, car la douleur, bien que présente, semble sans raison... et il faut que la victime soit également le policier et le juge; il faut que dans son esprit elle place le bourreau devant les faits, qu'elle doit elle-même reconstituer, et c'est un travail de titan!

    Mais il n'est pas d'innocent sans coupable! Et il n'est pas de guérison sans dommages, sans peine! Si ceux-ci ne sont pas avérés, l'âme reste détruite! On comprendra alors que j'ai dû précocement réfléchir à la nature du mal, à sa logique, car il s'agissait pour moi de trouver des preuves qu'on me piétinait bien!

    N'en déplaise à la science, elle ne m'a pas donné de solutions... Pour la psychologie notamment, le mal vient des névroses, mais c'est faux! Tout au plus, nos traumatismes ou nos troubles psychiques amplifient ou même diminuent le mal, mais son origine est ailleurs et bien plus simple, comme nous allons le voir (et comme je l'ai déjà expliqué maintes fois!)

    Cependant, devant l'insuffisance de la science, j'ai dû croire encore pendant longtemps à l'explication de la Genèse, à savoir que le péché originel existait et que même le diable nous retentait! Mais l'Evolution a fini par me gagner et j'ai rejeté avec joie les calembredaines empoisonnées de la cosmogonie hébraïque! (En fait, c'est la "vérité" de l'Evangile qui nous les masque!)

    Dieu d'un coup devenait plus grand et même infini, comme il doit l'être, et je respirais à pleins poumons! Sur ma lancée, je ne tardais d'ailleurs pas à situer évidemment l'origine du mal dans le règne animal, pour des raisons que j'ai données par le menu dans d'autres textes! Mais résumons encore une fois...

    Le développement de notre personnalité est causée par notre besoin de dominer et nous sommes donc poussés instinctivement à satisfaire notre égoïsme... Voilà le mal! La civilisation est le contrôle de l'instinct par la raison, qui est elle-même nourrie par l'expérience et sa transmission, l'éducation! C'est ce qui permet la vie en société!

    La logique du mal est donc des plus élémentaires... et pourtant, sur le terrain, on ne cesse de s'interroger... Qu'est-ce qui rend le mal si aveugle? Pourquoi s'obstine-t-il? Ne voit-il pas les avertissements, la souffrance d'autrui? Il semble qu'il soit immature, que le monde n'existe que tant qu'il lui est soumis! Et c'est pourquoi je parle d'éveil...

    Apparemment, pour le mal, l'autre n'a pas d'existence propre! Le mal est tellement persuadé de sa supériorité qu'il ne voit aucun inconvénient à écraser un plus faible que lui! Celui-ci est là pour le servir! N'est-ce pas là encore un comportement animal? Le vaincu, ou celui qui apparaît tel à cause de son infériorité, doit obéir! Ainsi, le mal, en suivant un penchant naturel, n'a pas le sentiment de faire le mal et ne change pas!

    Prenons le cas d'Hitler, car "dans la partie, c'était quelqu'un"! Hitler est absolument convaincu que les Juifs sont des sous-hommes et pire, qu'ils constituent une sorte de cancer, empêchant le développement d'une Allemagne idéale! A partir de là, il décide de les exterminer totalement, comme si c'était une corvée nécessaire, sans même qu'il se sente un monstre!

    Aujourd'hui, évidemment, quand nous voyons des images des victimes des camps de concentration, nous sommes horrifiés; nous nous demandons comment il est possible d'en arriver là! Mais au quotidien, la majorité d'entre nous agit comme Hitler, avec le même mépris pour le monde, sauf qu'on reste dans le cadre de la loi!

    J'exagère? Voyons cet exemple que j'utilise souvent, car il nous est très familier, celui de la file d'attente à la boulangerie. Vous patientez pour avoir votre pain, quand subitement vous sentez une présence derrière vous... Vous la sentez parce qu'elle est oppressante, elle a l'air de vous dire: "Maintenant, il faut faire vite, car je suis là!"

    Comment se fait-il que la personne qui vient d'arriver ne calme pas son impatience, car comme chacun vous avez droit au respect... Pourquoi ne vous voit-elle pas comme un être humain à part entière? Vous pourriez susciter sa curiosité; elle pourrait se demander qui vous êtes, ce que vous faites, si vous êtes timide, etc.! Elle serait alors sur le chemin de la connaissance de l'humanité (et donc d'elle-même)!

    Mais elle fait preuve au contraire d'une tension, d'une agressivité, qui ne sont que le reflet de son égoïsme et des craintes qui lui sont attachées, comme celle de ne pas être assez respectée! On méprise donc par peur que l'autre en fasse autant! Voilà qui peut donner matière à réflexion..., mais rappelons que l'immaturité est un trouble, une incapacité à discerner, un brouillard même, un voile, comme nous allons le voir...

    Toujours est-il que de cette façon, on commande le monde à la baguette (normal, me direz-vous, dans une boulangerie)! On impose son rythme, la force de ses appétits: les autres ont intérêt à marcher droit! Un tel état d'esprit n'est possible que si on se sent au-dessus du voisin, plus important que lui; comme si on était d'une race supérieure... Mais ce n'est ni plus ni moins que de l'hitlérisme policé!

    C'est encore la tyrannie du bébé, mais sans l'excuse de l'innocence! Et on peut se demander comment arracher l'individu à ses "langes", afin qu'il prenne véritablement conscience de l'autre, de sorte qu'il évite de lui faire du mal! Pour répondre à cette question, il convient d'examiner exactement les raisons qui empêchent le développement, la croissance du plus grand nombre. 

    D'abord, notre amour-propre connaît normalement des hauts et des bas, parce que tout ce qui existe fait l'objet d'une maturation et nous devons donc traverser des périodes de doutes, et d'inquiétudes, qui sont forcément empreintes de tristesse... On doit alors faire preuve de patience et de persévérance, mais la solitude ne paraît jamais autant insupportable que dans ces conditions, car notre vie nous semble à charge et on voudrait s'en "débarrasser", en la mêlant à une autre!

    Et quoi de plus naturel a priori! Deux individus ne sont-ils pas plus forts qu'un seul? Et n'est-ce pas rassurant de rejoindre l'ensemble, de faire comme tout le monde? L'écrivain Hermann Hesse va même plus loin, en disant dans Le loup des steppes qu'il est bon d'obéir! Et en effet, nous voilà dans la vie comme dans un train, sans la nécessité d'utiliser notre cerveau!

    Mais ne devrait-on pas plutôt réduire, voire supprimer le besoin ou l'envie de se fuir soi-même, de s'échapper de soi; car si nous ne pouvons pas tout le temps être heureux, il y a des raisons pour que nous soyons plus ou moins malheureux! Qu'est-ce qui peut nous rendre dépendant de l'alcool, de la cigarette et même de la nourriture, si ce n'est le sentiment de notre fatigue, de notre usure, de notre peine?

    Il s'agit donc d'abord de se pacifier entièrement! Ne plus lutter contre nous-mêmes étend notre indépendance! Car pourquoi vouloir sortir de chez soi, quand on y est bien? Et je rappelle notre but: prendre la plus grande conscience de l'autre..., mais comment songer y parvenir, si une partie de nous-mêmes est éteinte ou remplacée par une pratique collective, d'autant que la société, au fond, n'est rien d'autre qu'un aménagement de l'instinct de domination?

    La guerre en effet ne s'arrête jamais! Les uns cherchent incessamment à dominer les autres, mais la civilisation fait croire le contraire, en changeant les armes en objets de consommation! en appelant le chef président, préfet ou docteur! Mais c'est à qui aura la plus belle voiture, les plus beaux bijoux, la plus grande maison, le poste le plus important, etc., pour en imposer aux autres!

    C'est un progrès, me direz-vous, qui évite le sang! Certes et il a fallu aussi beaucoup de temps pour que nul ne soit plus considéré comme un esclave! Et pourtant, nous continuons à mépriser notre prochain tous les jours et même nous le jalousons et voulons le détruire! Car ceux qui se sentent les plus dominants n'agissent pas moins que comme les chiens d'un troupeau!

    Ils montrent les dents dès qu'ils se croient menacés, dès qu'en réalité leur dominance ou leur orgueil n'est plus reconnu, flatté! Et c'est ce qui arrive à chaque fois que la nouveauté, le changement se présentent! Et c'est ce qui arrive à chaque fois qu'apparaît un sage, qui est toujours un étranger aux yeux des tyrans!

    D'ailleurs, notamment, il ne faut pas chercher plus loin le pourquoi de la condamnation de Jésus! Avancer, comme quelques scientifiques, que celui-ci est mis à mort, parce qu'il dénonce la corruption de certains prêtres, est de l'enfantillage! De même, soutenir, comme Scorsese, que le même homme est victime de sa seule névrose est de la haute fantaisie!

    Le rapport de forces entre les individus est bien réel et bien cruel! Le véritable artiste, qui peut être considéré comme un sage, puisqu'en nous tournant vers la beauté, il nous invite à nous dépasser...; celui-là n'aura le plus souvent qu'à affronter l'indifférence, mais celle-ci est également destructrice...

    Enfin, nous voilà devant les trois raisons qui empêchent l'Eveil de la majorité:

    1) Faire comme tout le monde, c'est la sécurité!

    2) On se débarrasse de soi, en se diluant dans la multitude!

    3) Les dominants sont hostiles au changement!

    Pourtant, le but de nos vies est le développement de notre personnalité! La mort n'est-elle pas l'individualisation ultime? Elle met un sceau sur notre unicité! Notre histoire se termine et nous ne reviendrons plus! Personne dans le passé ni dans l'avenir n'a eu et n'aura le même parcours! Et même si nous vivons en couple, c'est bien notre personne qui doit faire face aux étoiles! Nous entrons seuls dans l'éternité!

    Comment peut-on alors limiter la vie au sentiment du pouvoir, à la dominance, à la satisfaction de l'amour-propre, puisque nous disparaissons? N'est-ce pas comme jouer une pièce de théâtre, par peur de l'inconnu et de la nuit noire? Notre jalousie et notre haine ne nous mettent-elles pas comme dans un cachot? Nous murmurons, nous gémissons sur la paille, en dédaignant la lumière qui y tombe!

    Il y a là comme un paradoxe: nous voulons vaincre, briller, donner à notre personnalité tout son éclat, et nous voilà esclaves de notre soif de dominer! Je connais des gens qui se sont empressés de se fixer un boulet au pied et qui ne finissent pas de s'en plaindre!

    Ah! Mais notre égoïsme a la force de l'instinct! Il nous tient, nous mène et nous aveugle! Nous tirons l'épée dans le brouillard! Nous suons sang et eau sur des ponts de singes!  Nous succombons en tombant d'une chimère!

      Au contraire, l'Eveil nous délivre, nous libère! Sa clé, c'est reconnaître notre instinct de domination et de comprendre pourquoi il ne peut pas être notre futur, parce qu'il ne peut que nous conduire à la tyrannie! A partir de là commence véritablement l'aventure humaine! Le reste n'est qu'une histoire d'animaux sophistiqués! L'homme n'est vraiment créateur que du moment où il atteint un degré supplémentaire de conscience!

   Mais baste! J'ai déjà dit tout cela dans une autre forme et je ne dois pas m'attendre à ce que le monde change à ma vitesse, à mon échelle! Demain, à la boulangerie, on se plantera de nouveau derrière moi et on me fera sentir toute son immaturité, toute sa tyrannie! "Encore un bébé!" penserai-je, mais si c'est une femme, je pourrai me retourner vers elle, en lui demandant d'une voix métallique: "Sarah Connors?"

    Vous connaissez la suite...

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
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