Sous le Dom!

  • Le 13/02/2021
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Sous le dom

 

 

 

                                                              "Des cloportes! Tous des cloportes!"

                                                                              La Métamorphose des cloportes

 

 

   Journal de Jack Cariou, lundi 8 février: déjà trois morts! Le Mercier, Nizou et Covillon! Nous vivons isolés, à cause de la tempête, mais surtout parce qu'un virus condamne notre station Charcot!

    La neige s'accumule sur nos flancs et paraît nous enfouir peu à peu! Il est difficile de résister à un sentiment d'oppression, d'autant que le souffle du vent rend encore plus troublant notre silence!

    Les rencontres sont rares et courtes, seulement produites par la nécessité! Les nerfs sont mis à rude épreuve... On croit être suivi et on se retourne, pour voir un couloir vide! Ou bien on se fige, car on a entendu des rires, jusqu'à ce qu'on comprenne qu'on est le jouet d'un bruit de fond ou d'un acouphène!

    On s'arrête encore devant des ombres, que font les coins, comme si on redoutait et désirait tout à la fois voir surgir je ne sais quel monstre! L'horreur même montrerait que nous existons, qu'il se passe quelque chose!

    Pour m'équilibrer, j'écris avec plaisir, dans ma chambre, où j'ai mes habitudes! Un vieux plaid, même déchiré, vient me réchauffer les jambes... J'ai une belle lampe de chevet, qui me verse une lumière chaude, et comme partout où je suis, j'ai construit autour de moi une ambiance studieuse!  

    On ne se refait pas évidemment et je suis toujours le même fil rouge: la domination et le sens de la vie! Je ne peux me lasser du sujet, c'est plus fort que moi! Mais j'ai l'impression d'être un brise-glaces, tant les obstacles sont nombreux et il est possible que l'horizon soit aussi vide que le cœur de ceux que je combats! Alors, la nuit éternelle m'engloutira..., avec mon secret ou ma folie!

    Mardi 9 février: il est tout de même un fantôme, quasi palpable, qui hante les lieux... C'est une très vieille dame hideuse et en haillons, toujours à se plaindre et qui soudain vous tranche la gorge, avec la plus belle férocité! C'est la haine, le sentiment qui règne le plus et qui finit par chasser tous les autres!

    Le froid n'y est pas pour rien, bien entendu, car il gêne, mais la haine est quasiment une maladie! Elle vient de ce que notre domination se sent menacée et plus cette seconde est impérieuse et plus la première est grande! C'est un sujet que nous avons déjà maintes fois traité et pourtant il ne cesse de nous interpeller! 

    En effet, la plupart sont haineux du simple fait que l'autre existe! Que l'autre ait une vie propre, qui doit être respectée, constitue pour eux une épreuve insurmontable! Comment expliquer un phénomène aussi déraisonnable, sinon parce qu'il vient d'un égoïsme forcené, immature, infantile; comme si le bébé qui est en nous ne voulait pas grandir, pour ne pas voir, ni avoir froid et peur?

    Nous sommes faits pour vivre en société, mais la haine nous en empêche justement et elle peut donc être vue tel un cancer qui nous détruit! C'est pourquoi, malgré l'enseignement des guerres, notre quotidien est toujours aussi impossible, violent et douloureux! Mais considérons les animaux...

    Dans le groupe, ils se situent selon qu'ils sont dominants ou dominés! Il est donc naturel que nous reproduisons ce comportement et on tient d'abord à être supérieur à l'autre, ce qui implique  qu'on le veut asservi; d'où notre haine si ce n'est pas le cas!

    Un combat s'engage pour savoir qui est le dominant et jusque-là nous ne faisons guère plus que les animaux! Cependant, si la hiérarchie assure leur survie, pourquoi est-elle empoisonnée chez nous? C'est que l'homme (et nous nous répétons sûrement!) a une conscience qui lui permet de s'affranchir un tant soit peu de ses instincts, ce qui lui donne une liberté, un choix, une connaissance, qui ne peuvent pas ne pas l'inquiéter, l'angoisser!

    Or, face à la peur, à l'inconnu, nous avons de nouveau recours à notre naturel, c'est-à-dire que nous renforçons notre domination et par là notre haine! On voit l'impasse! Ce qui convient aux animaux nous perd! Non seulement nous nous piétinons, mais en plus nous voulons soumettre la planète, ce qui la met en péril!

    Il faut donc donner à nos vies un autres sens que celui de la domination! Mais allez dire ça à des gens qui sont remplis de haine, qui sont prêts à n'importe quoi pour écraser ou avilir!

    Mercredi 10 février: mal dormi, froid... Par le hublot, je ne vois que de la neige en bourrasque, car ici la tempête peut souffler pendant des jours! Comme souvent, je suis quasiment hagard et je ne crois plus à ce que je fais... Parler de leur égoïsme aux gens, c'est comme soulever une poutre! On grimace, on ahane, puis on la laisse retomber avec précautions, pour ne pas coincer sa main ou blesser son dos!

    Pendant ce temps-là, notre interlocuteur est resté de marbre et ne montre aucun signe de compréhension! Il s'est glacé sous la menace! Pourtant, on parle de l'essentiel et même du bonheur! La haine de nouveau affleure et on peut même s'en vouloir d'exister, en étant aussi encombrant!   

    On se lasse d'être à contre-courant et on voudrait alors n'importe quoi, plutôt que de continuer à marteler des choses, que seul le néant écoute! J'étais dans cet état d'esprit quand elle est entrée! Elle a d'abord frappé, j'ai répondu et elle a dû faire un pas dans la pièce, mais je n'en suis pas sûr, car elle se déplace comme par enchantement! Elle, c'est Sophie Prémel!

    Dès mon arrivée à la station, je l'avais remarquée... et ce n'est pas possible de faire autrement! Sa vitalité, sa sensualité captivent tous les regards, comme si chacun était un figurant du film dont elle est la vedette!

    Cela ne m'avait pas gêné, car Sophie Prémel était avec le groupe des dominants et je sais que ce sont au fond les plus faibles; ne serait-ce que parce qu'il leur faut toujours éprouver leur supériorité, ce qui réduit leur existence à un miroir!

    Mais la santé appelle la santé, la force la force! C'est une garantie de plaisir pour le sexe et plus inconsciemment, c'est la condition pour une progéniture saine! L'acte d'amour n'est jamais autant réussi que quand il y a l'espoir d'un monde meilleur, par la transmission des gènes! C'est le désir infini de l'autre qui provoque ce rêve... et c'est pourquoi les dépressifs, qui ne trouvent pas leur environnement favorable, s'en désintéressent!

    Mais Sophie Prémel m'adresse pour la première fois la parole et j'assiste à une véritable symphonie! Mon regard va de ses yeux clairs et profonds, à sa bouche corail et légèrement humide! Elle tourne autour de mon lit, en pivotant sur un doigt... et cela me permet d'admirer ses hanches fuselées et fermes!

    Elle se redresse, ainsi que sa poitrine parfaite! Elle a une moue et souffle sur une mèche, qui dégringole d'une chevelure de lionne! Je me tends inexorablement!

    Elle se rapproche encore et m'embaume! Elle me parle, mais que dit-elle? Je n'écoute même pas! Je suis captivé par chacun de ses gestes, comme le cobra par son maître! Puis, elle me frôle de sorte que je peux imaginer les plaisirs les plus crus! Mais elle me calme en levant un sourcil!

    Je suis comme un assoiffé dans le désert! Je crains même de devenir son caniche! Ma solitude me paraît absurde, mon combat une planche de tortures! J'ai l'air d'un morceau de sucre qui se dilue! Je voudrais la prendre dans mes bras, boire à sa source... et pourtant, il y a une chose que je ne perds pas de vue, malgré le brouillard: pourquoi ai-je droit à cette visite?

    Voyons... La reine, que j'ai sous les yeux, a pu apprendre ma résistance face à Douguet et ma collaboration avec Gestin! Cela place un homme, si je puis dire, et j'acquiers peut-être le statut de dominant! Mais je n'y crois guère, je n'ai pas vraiment le profil: il me faudrait encore être riche, pour satisfaire Sophie Prémel, qui veut la puissance et la sécurité!

    Ce qui me paraît plus juste et plus sombre, c'est qu'elle est envoyée par le "clan" adverse, que mène le professeur Morizur, à qui je n'ai pas encore eu l'honneur de parler! En me rendant esclave d'Eros, on m'écarte de la route, pour atteindre Gestin! C'est bien combiné, car vraiment je suis tout petit et la vague de la sensualité peut m'emporter facilement!

    Mais, au final, c'est Sophie Prémel elle-même qui me délivre, en se trompant sur mon inertie, qu'elle prend pour de l'indifférence! Son amour-propre, impérieux et impatient, se révolte et l'injure succède à l'œillade! "Qu'est-ce que je fais ici, Cariou? hurle-t-elle presque. Vous me désirez, je le sais, mais vous n'avez même pas le courage de vouloir vous satisfaire! Vous n'êtes qu'un minable, un pauvre minable (on dirait du Douguet au féminin!)!"

    Et elle s'en va; ses formes sveltes se fondant dans le sillage de sa chevelure fauve! Elle eût montré un peu de désarroi et j'eusse cherché ses lèvres! Inutile de dire que j'ai mis beaucoup de temps à m'en remettre!

    Jeudi 11 février: dans la nuit j'ai été réveillé par un froid intense, anormal! Après examen, mon chauffage était éteint et je me suis dirigé vers la chaufferie, pour essayer de réparer la panne. Je ne voulus pas allumer les couloirs et me guidai seulement avec les éclairages de secours; c'était largement suffisant! De temps en temps, j'entendais, au-dessus de ma tête, le bruit soyeux de la neige, qui était en train de nous ensevelir!

    La chaufferie est une vaste pièce nue, où ronronne le circuit, dont on découvre le fonctionnement, au fil des voyants de plusieurs tableaux! J'étais en train de déchiffrer ce dédale, quand j'entendis derrière moi une voix dire: "Alors, j'ai fait sortir le loup du bois!"  C'était Douguet, qui visiblement m'avait fait tomber dans un piège! "Il est de temps de régler nos comptes... Tu penses pas, le morveux?"

    J'ai plus de cinquante ans et je suis fatigué d'avoir peur..., surtout de gens comme Douguet! Il était plus fort que moi et savait sans doute se battre, mais je connaissais son caractère et je prévoyais son attaque! Comme il était impatient et égoïste, il voudrait m'anéantir le plus vite possible! Si je pouvais résister un tant soit peu, je le conduirais dans mon domaine, celui de l'endurance et de la souffrance, ce qui lui serait nouveau et le déstabiliserait!

    Je me mettais en garde, me couvrant bien le visage et tout le haut du corps! Douguet bien entendu en ricana, mais je me moquais de son mépris! Puis, il chargea et fit pleuvoir ses coups, comme je l'avais prévu! Ma défense tint bon et je reculais juste pour diminuer le choc! Soudain, entre ses bras, je plaçai un uppercut, qui le toucha au menton! C'était un geste préparé!

    Il fut plus surpris que blessé, mais j'avais réussi à briser son élan! De nouveau, cependant, il fonça et je me protégeai contre sa fureur! Il n'était pas possible qu'il pût soutenir ce rythme et je profitai d'une petite baisse d'intensité, pour me pencher et le frapper dans les côtes, avec deux crochets du droit, de toutes mes forces! Il grimaça et encore une fois s'écarta!

    Il était là où je voulais qu'il fût! Le doute commençait à le gagner et il réengagea plus mollement! Je lui refis mal de la même façon: un cobra n'aurait pas été plus percutant! et cette fois Douguet hésita, entre sa garde et se tâter les côtes! Dans l'ouverture, mon direct du gauche chercha la distance et je pus déclencher le droit! J'écrasai sa joue et son nez et j'alternais: gauche, droite; gauche, droite! Je me défoulai sur la pâte de son visage et je vidai une colère depuis trop longtemps contenue!

    Je fus tout de même tiré en arrière, en même temps qu'on me criait: "Mais arrêtez! Vous allez le tuer!" Je me calmai et approuvai celui qui venait d'intervenir: Friant, l'un de ceux qui étaient avec Douguet, quand je fus sommé de choisir mon camp!

    Je laissai le blessé aux soins de Friant et regagnai ma chambre... Je ne regrettai rien... J'étais fier d'avoir résisté et puis c'était le matin! Après une brève toilette, malgré mes membres douloureux, j'apportai à Gestin son petit déjeuner! C'est moi qui lui sers ses repas...

   Il ouvre sa porte et je pousse le plateau...  Puis, quand il a refermé, on discute comme dans un confessionnal... Debout dans le couloir, je l'entends qui commence à manger, mais cette fois-ci je me figeai: " Cariou, dit-il, je crois avoir trouvé un vaccin!"      

 
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