Les enfants Doms (XXVIII-XXXII)

  • Le 23/07/2022
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Dom17

 

 

 

 

 

                                                XXVIII

 

    Un peu plus haut, Cariou eut la surprise de découvrir un salon légèrement cossu, construit en englobant la pente! On devait donc le traverser, pour atteindre un niveau supérieur, tandis qu'un homme, à l'air avenant, se levait déjà derrière un bureau, pour accueillir Cariou!

    "Une visite! s'écria l'homme qui en imposait, avec sa soixantaine! Je suis toujours heureux de découvrir des visages nouveaux!" Cariou regardait autour et il voyait beaucoup de livres. L'homme devait aimer l'étude et il rajouta: "Est-ce indiscret de vous demander le motif de votre visite?

    _ A vrai dire, je ne m'attendais pas à vous trouver sur ma route..., mais enfin je vais vers la lumière!

    _ Un idéaliste! J'en étais sûr! Vous avez l'allure noble, enthousiaste! En un mot, vous êtes beau, si je peux me permettre! Mais asseyez-vous, asseyez-vous! (L'homme désignait deux fauteuils.) J'adore les idéalistes! Ne le prenez pas mal, si j'utilise ce mot, mais je trouve les matérialistes si... terre à terre, si mercantiles! Ils ne songent qu'à leurs intérêts, fi! Excusez-moi!"

    L'homme se leva et se dirigea vers une imprimante, qui venait d'éjecter une page. Il la parcourut rapidement, puis il la jeta dans le gouffre! Cariou l'observa un instant et elle volait de-ci, de-là, avant de disparaître plus bas! "Où en étions-nous? reprit l'homme en se rasseyant. Ah oui! Comment vais-je vous l'annoncer?

    _ M'annoncer quoi? demanda Cariou.

    _ Mais que la lumière n'existe pas! Oh! Oh! Oui, je sais, vous êtes choqué! Pour vous la lumière existe et il va falloir un certain temps, et bien des efforts j'en ai peur, pour reconnaître le contraire! La vérité est toujours difficile à accepter! Excusez-moi!"

    L'homme se leva de nouveau et rejoignit l'imprimante, qui sortait une nouvelle feuille. Comme précédemment, il la relut sans s'attarder, puis il la laissa tomber dans le vide! "Je reste toujours très occupé! expliqua-t-il à Cariou. Même à la retraite, j'ai encore une vie très active! mais qu'est-ce qui vous fait croire que la lumière existe?

    _ Mais je la vois!

    _ Vous la voyez? Mais vous seriez bien le premier!

    _ Je comprends ce que vous voulez dire... Disons que je pars de la nature et de sa beauté extraordinaire!

    _ Eh oui! Et vous faites monter votre rêve jusqu'à nous! Vous êtes un être sensible et... c'est admirable! Je ne me moque pas de vous..., mais la réalité est beaucoup plus crue! Les gens sont égoïstes et il n'y a pas de miracles, pas de magie, ni de merveilleux! Il faut se camper bien droit devant sa destinée et la mort! Donner son fruit et partir! C'est plus courageux! Plus utile aussi!  

    _ Je ne crois pas que vous vous rendiez compte à quel point les gens sont égoïstes!

    _ Non? Tiens? Voilà une réponse... ou plutôt une réflexion qui n'est point banale! Alors, selon vous, ce serait moi, le naïf, le rêveur, l'idéaliste en somme?

    _ D'une certaine manière, oui... Qu'est-ce que vous faites avec ces pages, qui sortent de l'imprimante?

    _ Eh bien, je... (A ce moment, l'homme se rapprocha de l'imprimante et après quelques secondes, la feuille fit encore le papillon blanc!) J'écris mes mémoires, figurez-vous, dans lesquelles je continue, bien entendu, à exposer mes idées sur la vie!

    _ Bien entendu! Et autrement dit, vous vous servez encore de vos contemporains, pour vous sentir moins seul et important! Et vous appelez ça, se camper bravement devant l'éternité!

    _ Mais il est de mon devoir de concourir au progrès de l'humanité! Ma place dans la société est une preuve que j'avais quelque chose à dire!

    _ Je n'en doute pas! Mais vous trompez votre solitude en dominant les autres, en faisant autorité sur eux! Vous trouvez votre égoïsme si naturel que vous ne le voyez même pas! Et tellement préoccupé par vous-même, vous passez à côté de l'essentiel!

    _ Oh! Je n'ai vraiment pas de chances! Et quel serait-il cet essentiel?

    _ La beauté est cet essentiel! Mais on ne la voit que si on est un enfant!

    _ Vraiment?

    _ Mais vous êtes quelqu'un d'important, qui s'est pris en main et qui sait! L'enfant admire et ne comprend pas les grandes personnes! Il ne recherche pas sa propre gloire, mais il aime c'est tout! Il n'est même pas préoccupé par son courage ou sa destinée, comme vous dites! Il aime et admire, c'est sa joie!

    _ Il doit s'attendre à bien des malheurs!

    _ Nul ne sait mieux que l'enfant combien le monde est dur! Aucun mal ne lui échappe! Mais le véritable malheur, c'est de vouloir être une grande personne... C'est un travail colossal! qui écrase bien des individus et qui conduit à bien des tristesses! L'enfant n'est jamais seul et il s'enchante! Il est léger!

    _ Je crois que nous n'avons plus rien à nous dire!

    _ En effet, nous sommes à sec, car je ne vous admire pas! Vos pages qui volent, c'est votre plumage!

    _ Vous allez tomber de haut!

    _ Mais il n'y a aucun piège! Au revoir!"

 

                                                                                                         XXIX

 

    Cariou sentait toute sa liberté et combien tout était possible! Il ne voyait aucun frein, aucune limite et sa perception de l'infini, même si elle était fragile, le remplissait d'un espoir intense, le comblait de bonheur! Cariou volait presque vers la lumière, mais soudain il s'étala de tout son long!

    "T'as pas vu la chaîne et tu t'es pris le pied, d'dans! fit une voix au-dessus de lui. Gros nigaud, va! Mais tu courais! Tu t' croyais tout puissant, hein? Mais c'est moi, l' gardien, ici, mon pote!"

    Cariou prit la position assise, en se malaxant la cheville et il regarda celui qui se disait le gardien! C'était un vieil homme, au corps noueux et aux traits secs, ce qui lui donnait un aspect vigoureux et il prit place sur une chaise, en face de Cariou. Puis, il cracha sur le côté!

    "J' comprends pas! dit Cariou. Vous êtes le gardien de quoi? La lumière n'est à personne!

    _ Où est-ce que tu as vu ça, mon garçon? Oh! Je vois! Tu es un de ces intellos qui croit tout savoir! Mais, moi, aussi, j'en sais des trucs!

    _ Mais je n'en doute pas! Et d'ailleurs, je suis toujours content d'apprendre! Mon ignorance ne me dérange pas, car je la reconnais volontiers! Je n'essaie pas d'être le meilleur! Mais la lumière est à tout le monde et vous pouvez vous-même l'aimer, la posséder, en jouir! Seule elle rend heureux!

    _ Mon Dieu, quel charabia! Tu viens de Mars, j' parie! Et t'es sous le coup de l'émotion d'un atterrissage forcé! Ah! Ah! Mais y s' trouve que j'aime bien mon coin tel qu'il est! avec pas trop de monde devant! J'aime pas les gars dans ton genre, qui la ramène tout l' temps, qui bouche le paysage!

    _ Ah bon? On vous doit des comptes?

    _ T'as pigé, p'tit! J' suis le gardien!

    _ Donc, on ne peut pas être heureux en votre présence!

    _ Si! Mais en restant discret, poli!

    _ On doit se limiter par peur, c'est bien ça?"

    L'homme, pour toute réponse, cracha! " Y aurait bien une autre solution! reprit Cariou.

    _ Dis toujours!

    _ Mais pourquoi vous ne vous épanouissez pas vous-même? Pourquoi n'allez vous pas vous-même chercher la lumière? Elle vous ferait rire comme un enfant, vous remplirait tellement d'énergie que toute haine vous paraîtrait ridicule! En tout cas, toute jalousie vous serait inconnue! Au contraire, la lumière se réjouit de se voir ailleurs, chez d'autres!

    _ Tu continues à pas être clair, mon garçon! Mais si tu crois que j' suis jaloux d' toi, tu t' fais des illusions, ah! ah!

    _ Vous êtes un tyran! J' comprendrais vot' réaction, si j'en étais un autre! mais ce n'est pas le cas! Je ne veux triompher de personne! J' suis comme une fontaine: ce que j'ai en moi ne demande qu'à sortir! C'est la vie qui pousse!

    _ Mais c'est parce qu' t'as été mal éduqué! Et c'est pour ça que j' suis là! pour t'apprendre les bonnes manières!

    _ Mais pourquoi vous ne vous ouvrez pas à la lumière? Elle vous donnerait autant qu'à moi!

    _ C'est compliqué... J'ai pas fait beaucoup d'études... et on se moque vite de moi! J'ai le cerveau pourtant, j'suis pas plus bête qu'un autre!

    _ C'est par peur alors que vous ne voulez pas de la lumière? C'est pour vous défendre que vous êtes dur?

    _ Tu recommences à m'embrouiller! Le tout, c'est que tu restes bien sage! que t'évite de t'agiter! Sinon, je vais être encore obligé de sévir!"

    L'homme sortit un poing d'acier de sa poche... "Ecoutez, je vous ai mal jugé, expliqua Cariou. C'est vrai que j' dépasse souvent les bornes! Vous avez raison! Ah! Ah! j' veux être le chef, le numéro un! Faut qu' je sache où est ma place! Et c'est là que les gens comme vous ont tout leur rôle! Vous rétablissez l'ordre, l'harmonie!

    _ C'est pas faux!

    _ Et je vais donc faire demi-tour et m'en retourner! C'est vous le gardien ici, j'ai pigé!"

    Cariou se releva lentement, tête basse, comme tout penaud d'une méprise et il commença à redescendre... "Au revoir!" dit-il à l'homme, qui se contenta juste d'opiner sèchement!

 

                                                                                                     XXX

 

    Cariou n'avait pas voulu affronter le "gardien", parce qu'il ne s'agissait pas de détruire, ni de vaincre! La lumière n'est nullement de la haine, mais de l'amour et de la compréhension! C'est bien pour ça qu'elle rendait heureux! Elle donnait du sens, créait de l'harmonie et chassait la peur! "Mais combien d'homme et de femmes ne sont-ils pas des gardiens? se demanda Cariou. Car depuis ma montée ici je n'ai rencontré que des gardiens! Ils l'étaient tous à leur manière! Mais qu'est-ce qui définit le gardien?

    Il ne connaît pas la lumière et empêche les autres de l'atteindre! Il dit que c'est impossible, que la lumière n'existe pas, que le plus urgent, c'est de gagner sa vie, que les désillusions ou la maladie surviennent tôt ou tard! Il y a mille raisons données par le gardien, qui barrent la route de la lumière! Il fait peur pour qu'on rebrousse chemin! Sa haine est palpable et sert d'éteignoir, car la lumière, en apaisant, préserve l'énergie, la vitalité! Celui qui vit dans la lumière rayonne, sa joie est visible et il ne prend pas au sérieux le gardien, qui veut alors le détruire!

    Evidemment, la domination est à l'origine du gardien, il ne saurait en être autrement! Le gardien n'est qu'un Dom, avec une domination plus sociable que celle de l'enfant Dom! Mais puisque le gardien vit grâce à sa domination, il ne peut supporter qu'on la menace, qu'on ne la respecte pas! Mais comment la lumière, qui est infinie, pourrait-elle "trembler", se "coucher" devant le gardien! Comment pourrait-elle dire au gardien qu'il est le maître? Comment un nuage ou une fleur pourraient se restreindre au monde du gardien? Cela n'a pas de sens!

    Le gardien, voyant qu'on lui échappe, hait donc et d'abord par peur, car la lumière enlève tous les repères du gardien, anéantit sa domination, sa raison de vivre et cette logique est maintenant bien connue! La peur produit l'agressivité et c'est encore celle-ci qui empêche le gardien de chercher, de vouloir la lumière! Il faut sortir du "rang", affronter l'inconnu et d'autres gardiens, etc.! Mais ce n'est pas seulement la peur qui fait que le gardien demeure le gardien!

    La domination, se sentir supérieur, important, est évidemment une source de plaisir et la tentation, c'est de ne jamais abandonner son pouvoir; c'est de tout faire pour continuer à goûter sa réussite ou sa sécurité! Il ne viendrait même pas à l'esprit du gardien de renoncer, de perdre et pourquoi le ferait-il, puisqu'il n'aime pas la lumière! Dans un couple, on peut s'améliorer, grandir, consentir à des sacrifices, par amour pour l'autre, mais ce n'est pas encore la lumière, cela reste tout de même égoïste, car en dehors du couple qu'existe-t-il?

    Donc, le gardien ne veut ni le bonheur pour lui, ni pour les autres! En cela, il n'est pas excusable! Il ne veut pas du soleil et il dira qu'il n'y a que de l'ombre! Voilà le gardien, son poison! C'est la haine qui signale le gardien! C'est son chien, ses crocs! On ne passe pas! On admire le gardien, sinon on meurt! Le gardien parle de liberté, de raison, mais il rêve de vous faire cuire à la broche, avec de la sauce!

    Sacré gardien!"

 

                                                                                                       XXXI

 

    Cariou trouva assez facilement un autre chemin, pour rejoindre la lumière, car il n'en était plus très loin! Il en éprouvait déjà d'ailleurs la douce chaleur! Il connaissait cette paix ineffable, inaltérable, immarcescible! Qu'est-ce qu'on peut craindre, quand on n'est plus esclave de sa domination? C'est une histoire d'amour, de confiance! C'est un pas vers la lumière, c'est beaucoup de doutes, beaucoup d'errances et beaucoup de chagrins, car les gardiens veulent détruire la lumière et ceux qui la représentent!

    Ainsi Cariou sentit bientôt un sentiment très désagréable l'envahir, une souffrance pénible, alors qu'il avançait vers la lumière! Il en fut étonné et amer, car il s'attendait à une parfaite tranquillité, nullement à une gêne! Mais la lumière révélait ses blessures, elle y coulait comme du feu, elle réveillait toutes les hantises anciennes! Elle éclairait le cerveau et ce que voyait Cariou l'effarait, ainsi qu'il eût contemplé le massacre interminable d'un champ de bataille! 

    Son cerveau, invité à la paix, ne pouvait pourtant tenir en place et il est vrai que nous avons peur du vide et que nous cherchons incessamment quelque chose à faire! Mais Cariou voyait tous les instruments de torture, dont son esprit "disposait", et il y avait là de quoi le tuer des milliers de fois, de le briser en deux, puis en quatre, puis en dix, de le réduire en poudre, en cendres et de le balayer par la suite, afin que même dans le vide cosmique il n'en y eût nulle trace, nul souvenir!   

    C'était beaucoup trop, mais d'où cela venait-il? Mais les gardiens s'étaient acharnés sur lui! Il représentait un obstacle incompréhensible, une borne insondable! Il semblait défier toute domination, alors qu'il n'était encore qu'un enfant! On l'avait donc malmené par peur d'abord, épouvanté par cette étrangeté, mais par sadisme aussi, pour se sentir toujours le plus fort! On avait voulu le soumettre de toutes les manières possibles, quitte à le culpabiliser outrageusement, absurdement! On ne lui avait laissé aucun répit, on avait cherché la moindre faille, mais inexplicablement, il avait résisté!

    Au fond, il ne pouvait changer sa nature, mais, s'il semblait à l'extérieur intact, imperturbable, à l'intérieur il était dévasté! Malgré les apparences, il n'était plus qu'une pâte molle, un esprit sanglant, un être hébété! A force d'être coupé au scalpel, son cerveau n'était plus qu'un amas informe et Cariou se demanda par quel miracle il était encore vivant! Qu'est-ce qui tout du long avait pu lui garder une cohérence? Sa raison avait l'air d'un cheveu!

    Cariou avait bien conscience qu'il pouvait à tout moment de nouveau se détruire, se mettre en guerre contre lui-même et qu'il n'y avait que le temps pour cautériser tout cela! L'injustice qu'il avait subi lui apparaissait tel un abîme! Mais il s'excusa alors pour certains aspects de son comportement, car il ne mesurait même pas combien la dépression pesait, agissait sur lui! Ses traumatismes avaient encore une action souterraine et il était un peu comme ces jeunes feuilles, qui, au soleil, ont l'air flétries et mêmes mortes, avant de luire totalement!

    Il eût dû encore être rempli de haine, à l'égard de tous ceux qui l'avaient meurtri aussi durement, mais la lumière, en lui expliquant les choses, l'apaisait, ne serait-ce que parce que les peurs et la violence se transmettent de génération en génération! La lumière lui donnait bien plus qu'il ne pouvait l'imaginer et le faisait vainqueur, d'autant qu'autour on restait tendu, inquiet et agressif! Sa vengeance, c'était sa joie!

    Il en était là de ces réflexions, quand il se sentit tiré par les épaules et il émergea en pleine rue de RAM! Il avait été hissé par une bouche et il se retrouvait aux pieds des deux armoires à glace de Dominator! Il cligna des yeux, ne pouvant croire ce qu'il voyait! "Comment vous m'avez retrouvé les gars? finit-il par demander.

    _ On a des indics partout! fit l'un.

    _ Le patron veut vous voir! dit l'autre.

    _ Bon!"

    Cariou tendit la main et on l'aida à se relever! Puis, on monta dans l'autociel et en vol, Cariou soudain s'inquiéta: "Mais dites donc les gars, est-ce que les filles vous ont...?

   _ Non! répliqua sèchement celui qui pilotait.

   _ On a eu droit aux verges!" lâcha l'autre.

    Cariou regarda les deux hommes et éclata de rire! Ils étaient assis sur des coussins, ce qui prouvait qu'ils avaient encore mal!

 

                                                                                                       XXXII

 

    L'enfant Dom Stan Harris était devenu plus sombre, plus amer! Il ne s'enchantait plus de brûler une bibliothèque ou de vandaliser un lieu publique, comme s'il défiait sportivement la société! Il trouvait maintenant cela enfantin, car c'était surtout pour épater la Toile et donc des ados! Harris se sentait plus mûr et voulait être mieux considéré! Quant à scandaliser les pauvres gens, en martyrisant les animaux, c'était sale et trop bizarre! Il n'était pas un retardé mental tout de même!

    En fait, la disparition brusque d'Œil d'or l'avait quasiment laissé orphelin! Tant qu'il avait travaillé pour ce personnage, qu'il savait haut placé, il n'avait pas eu l'impression de se diminuer, mais au contraire il se croyait faire partie de l'élite, d'être un affranchi, un maître du jeu! Il jouissait de ce rôle important et secret! Mais la mort d'Œil d'or avait été un choc et du jour au lendemain, il s'était retrouvé sans but!

    Pour gagner sa vie, il avait essayé plusieurs postes, serveur, animateur, vendeur, mais à chaque fois il n'était pas resté longtemps, soit il ne supportait pas le patron, soit il était humilié par son faible statut social! Il était placé devant une réalité qui le décontenançait! Il volait aussi, pour ses besoins, mais il n'était pas une fripouille et il n'exultait pas devant le butin! Il était pris par une étrange mélancolie, car n'était-il pas un étranger dans le monde qui l'entourait?

    Il eût voulu arrêter le flux des choses, être le centre d'intérêt! Or, la vie était trop grande, trop rapide, trop indifférente! Chacun avait ses plaisirs, allait à ses affaires et le plus souvent ce n'était que niaiseries! Cette fille souriait et elle était moche! Ce cadre pressé roulait des mécaniques et n'était qu'un pantin! Cet homme était méprisant et son ventre tombait presque par terre! C'était la même pièce médiocre, rejouée chaque jour et en tout cas, personne ne pensait à Stan Harris!

      Où était le problème? Il n'avait sans doute pas le bagage suffisant, ni surtout les relations pour rejoindre la Tour du Pouvoir, devenir l'un de ces employés qui gravissaient les échelons, jusqu'à se rendre indispensable dans l'ombre des plus grands! Il était condamné à la rue, à l'anonymat! Il était à la merci de l'injure et de la laideur! Il restait seul, car tôt ou tard il faisait fuir les autres et il ne comprenait pas bien pourquoi, mais cette solitude le minait, le désagrégeait, ainsi que le mouvement, devant lui, eût été comme la mer, quand elle se retire en creusant sous les pieds!

    Il ressentait une angoisse qui le terrifiait! Il était tout le temps en sueur et devait se cramponner au sol, comme s'il risquait d'être éparpillé brusquement, en une poussière qui se serait dissoute dans l'espace! Il serrait les dents et regardait de plus en plus méchamment les gens! N'étaient-ils pas égoïstes, petits, mesquins? Si lui souffrait, pourquoi pas eux? Il allait leur donner une leçon, leur montrer qui était le maître! On ne s'occupait pas de lui, il détruirait donc! Sa haine était devenue incommensurable!

    Il quitta le banc, où il était assis, ouvrit son manteau et libéra le fusil à canon scié, qu'il y avait caché! Ses poches étaient pleines de cartouches, il y avait de quoi faire! Il attaqua bravement, sans pitié et il tira brusquement sur une maman, qui passait avec son enfant! Les deux s'écroulèrent, pleins de sang, et aussitôt la stupeur s'empara des témoins! Un homme, plus vif que les autres, tenta d'intervenir, mais il reçut en pleine poitrine la nouvelle décharge! La panique gagna alors tout le monde et on courait dans tous les sens pour se cacher! Harris continuait à faire feu et il fallut encore dix minutes, avant d'entendre les premières sirènes de la police!   

    Harris prit conscience que la situation changeait, mais peu lui importait, au contraire! Il s'était mis derrière un pilier, pour recharger son arme, et il se disait qu'il allait en faire voir aux flics aussi! Il vendrait chèrement sa peau et beaucoup de veuves pleureraient ce soir! Il quitta son pilier et sa cervelle vola en éclats! Il venait d'être abattu par un tireur d'élite et avait été tué sur le coup!

    Dans la rue, il y avait des gémissements, des morts et du sang qui coulait! C'était une vision de cauchemar!

 
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