Les enfants Doms (XXIX-XXXIII)

  • Le 17/09/2022
  • 0 commentaire

Dom24 1

 

 

 

 

 

                          XXIX   

  

    "Les enfants, vous voulez que je vous raconte l'histoire de la planète qui a disparu?

    _ Oh oui! Chic alors!

    _ Eh bien, les enfants, c'était une drôle de planète!

    _ Hi! Hi!

    _ Figurez-vous que les gens y passaient leur temps à se photographier!

    _ Oh!

    _ Oui, ils se photographiaient du matin au soir et partout où ils étaient! Ils se photographiaient en train de faire leur toilette, de boire leur café ou même quand ils étaient en slip!

    _ Hi! Hi!

    _ Ils ne photographiaient pas seulement le visage, mais toutes les parties du corps! Leur ventre, leur dos, leurs orteils!   

    _ C'est pas vrai?

    _ Si et quand ils avaient un bouton, ils le photographiaient! Ils postaient leur photographies sur les réseaux sociaux et ils disaient: "Regarde comme mon ventre est plat, comme mon bouton est noir, Brrr!"

    _ Hi! Hi!

    _ Ils disaient: "Regarde sur la photo comme je suis belle ou beau! Regarde ma femme ou mon mari ou mon enfant! Regarde comme j'ai réussi! comme je suis fort! intéressant!" Ils ne parlaient que d'eux-mêmes! Ils ne s'intéressaient qu'à eux!

    _ Ils ne photographiaient pas les beaux paysages ou les animaux, grand-père?

    _ Si, mais uniquement s'ils étaient eux aussi sur la photo! Ils disaient: "Tu as vu où je suis? Tu reconnais ce merveilleux paysage, si célèbre? Tu vois la mer, la montagne, le joli village? Tu vois ce monument? Eh bien, je suis juste devant! C'est moi, là, avec bidule et machin! N'est-ce pas qu'on est super?"

    _ Hi! Hi!

    _ Avec les animaux, c'était pareil! "Je te présente mon chien, mon chat! Je te présente Dudule, mon hamster!"

    _ Hi! Hi!

    _ Et à chaque fois, il fallait répondre: "Ouah! T'en as de la chance! Il est merveilleux ton chien! Il est si mignon ton chat! Tu es fantastique!" Mais un jour, il est arrivé un drame!

    _ Han!

    _ Oui, c'était au bord de la mer! Les habitants, bien entendu, se photographiaient! Ils ne voyaient pas combien les vagues étaient belles, ni même comme le ciel était bleu, ce qui fait que personne n'a vu l'astéroïde s'écraser! Car même s'il existait une station spatiale, tout le monde s'y photographiait!

    _ Et alors grand-père?

    _ Eh bien, il y a eu une réaction en chaîne et la planète a explosé!

    _ Oh! Mais ça méritait bien une photo, grand-père!

    _ Mais qu'est-ce qui m'a donné des enfants pareils!"

 

                                                                                                    XXX

 

    Toujours à l'hôpital, Ratamor devait suivre des séances de thérapie collective, où tout le monde était en cercle, avec un maillon constitué par la meneuse, la psychologue clinicienne Lapie! "Allons, dit celle-ci, voyons si certaines choses sont acquises... Par exemple, Ratamor, qu'est-ce qu'un pervers narcissique?

    _ C'est Piccolo!

    _ Non, c'est une personne égoïste et dévalorisante! Et qu'est-ce qu'un effondrement narcissique?

    _ C'est Piccolo!

    _ Non, le pervers narcissique lutte au fond contre une faible estime de soi et il est possible qu'un événement lui fasse perdre tous ses repères! La réalité entre dans son monde! Et quels sont les signes visibles de l'effondrement narcissique?

    _ Ecoutez, vous savez que nous avons tous 2% de gènes néandertaliens? que nous sommes tous issus d'un métissage?

    _ Euh...

    _ Vous connaissez bien entendu la quasi impossibilité de situer une particule et pourquoi alors notre univers plus qu'un autre?

    _ Ecoutez, ce n'est pas le lieu pour...

    _ Et si dans le temps très court, où notre œil identifie les choses, notre cerveau choisissait ce monde?

    _ Suffit, Ratamor! Je suis excédée par vos façons de faire!"

    Ici, le professeur se tourna vers le cercle et demanda: "Quels sont les signes de l'effondrement narcissique?

    _ Angoisse et agressivité! répondit-on en chœur!

    _ Ratamor, je vous promets un rapport salé auprès du directeur! éructa Lapie.

    _ En quoi excelle le pervers narcissique? interrogea encore le professeur, toujours en direction du groupe!

    _ La manipulation! clama celui-ci, qui maintenant rigolait!

    _ Bienvenue dans la réalité! jeta Ratamor à la psychologue.

    _ Ah! Parce que vous vous croyez intelligent! répliqua celle-ci. Mais vous n'êtes qu'un obscur névrosé! un mâle qui cherche à tâtons sa maman! un futur borderline qui finira par me manger dans la main!

    _ Qu'est-ce qu'un pervers narcissique? cria Ratamor en levant la tête!

    _ Une personne égoïste et dévalorisante!"  

 

                                                                                                         XXXI

 

    La reine Beauté errait dans RAM, confuse, éplorée! Elle était venue de son royaume détruit par les hommes et elle voulait de nouveau les prévenir qu'ils provoquaient aussi leur fin! Mais la laideur qu'elle découvrait dépassait tout ce qu'elle avait imaginé, au point qu'elle avait l'impression d'être elle-même sale!

    Des graffitis, un peut partout, disaient la haine de leur auteur ou leur égocentrisme! Des bouteilles vides, des chaussures abandonnées, du vandalisme témoignaient de l'ivresse de la nuit et encore des meubles laissés sur le trottoir ou des sacs poubelles crevés montraient que les hommes n'apprenaient rien et se moquaient de tout, sauf d'eux-mêmes bien entendu!   

    La reine Beauté entra chez un boulanger et s'approcha de lui, tandis qu'il faisait son pain: "Regarde sa croûte dorée et sent son odeur! lui dit-elle. Comme c'est beau et bon, n'est-ce pas?" Mais le boulanger ne la voyait même pas et avait le visage fermé! Il n'était préoccupé que de la température et obéissait à une sonnerie! "Mon Dieu, que se passe-t-il ici?" se demanda la reine!

    Elle vit un marché et se joignit aux femmes qui attendaient d'être servies! "Mesdames, leur fit-elle, voilà des cocos bien sympathiques, des salades bien fraîches et comme ces betteraves sont belles, avec leur couleur profonde! Nous avons bien de la chance, ne trouvez-vous pas?" Mais les femmes restaient tendues et pesaient pour que ce fût bientôt leur tour! "On dirait des fantômes! pensa la reine. Elles ne sont guidées que par la peur de manquer! Mais qu'est-ce qui se passe ici?"

    Elle alla dans une grande librairie, car elle supposait que les gens qui aimaient lire étaient aussi à même de contempler, d'apprécier la beauté! Mais à peine fut-elle à l'intérieur qu'un vendeur la bouscula, comme si l'endroit avait été une usine! Les livres arrivaient par pipe-lines et se déversaient sur les rayons! Chaque filon était exploité à fond par les éditeurs et la reine eut envie de vomir! De nouveau également les clients étaient sans âme, sous le crépitement des caisses enregistreuses!

    La reine Beauté errait dans RAM, éplorée et elle ne savait plus où se reposer! Le trafic la faisait sursauter et avait l'air dément! "Mais qu'est-ce qui se passe ici?" se demanda encore la reine, qui maintenant avait peur de perdre pied, de se mettre à paniquer! Partout régnait le mépris et l'égoïsme filait entre ses jambes, tels des serpents! Elle arriva quand même à sourire, quand elle découvrit de petites fleurs qui sortaient d'un mur et elle les caressa, pour leur donner du courage!

     Ailleurs, la psychologue Lapie fulminait dans le bureau de son chef! "On augmente les doses de ses médicaments! rageait-elle. Rien de tel pour inquiéter un patient et le diminuer!

    _ Qu'est-ce qu'un pervers narcissique? Une personne égoïste et dévalorisante!

    _ Vous n'allez pas vous y mettre vous aussi! Ratamor m'a humilié devant les autres! Je le lui ferai payer, coûte que coûte!

    _ Calmez-vous, ma chère! C'est le métier qui rentre!

    _ On pourrait au moins conseiller à l'administration de lui sucrer son permis de conduire, eu égard à ses troubles psychiques! Ce serait déjà ça!

    _ Et on enfreindrait la loi? Je crois que le mieux serait de le laisser sortir... C'est un élément incontrôlable!

    _ Quoi? Qu'il retrouve sa petite vie pépère et moi, je resterais ici, à me faire un sang d'encre! Et la justice?"

 

                                                                                                 XXXII

 

    Soudain l'attaque eut lieu, alors que personne ne s'y attendait! Des enfants Doms, en grand nombre, s'élevèrent au-dessus de RAM, dans leur bulle, et commandèrent à leur armée de se lancer à l'assaut! On vit alors des milliers, des millions de Followers se déverser dans les rues! Ce fut comme si une fourmilière géante avait décidé de dévorer la ville! C'était un flot couleur d'encre, ininterrompu de petites créatures aux dents jaunes et aux yeux aveugles! Cela avait la force d'un tsunami et emportait tout sur son passage!

    Des femmes, des enfants furent engloutis! La masse heurtait les murs telles des vagues et même des autociels étaient saisies, quand d'autres, prises de panique, allaient s'écraser contre des immeubles! On entendit bientôt des sirènes, mais rien n'arrêtait le ruissellement! Les gens étaient happés, ensevelis dans leurs occupations! Ils se demandaient comment gagner plus ou gravir les échelons, ils songeaient à acheter telle chose ou à avoir un appartement plus grand, ils voulaient piéger un de leurs ennemis, répondre à machin... et brusquement les créatures les renversaient, les piétinaient, les mordaient, les tuaient et les faisaient disparaître!  

    Un cri et puis plus rien! Sauf une sorte de bourdonnement, une rumeur comme en produit la mer! C'était des "RAM, RAM" à l'infini! C'était la tempête grondante, ivre, folle! Cela n'avait plus rien d'humain! Les Followers semblaient la nature déchaînée, vengeresse! Elle allait faire payer aux hommes tous leurs méfaits, tous leurs abus, leurs mensonges, leur destruction! C'était un concert de dents! une force impitoyable, irrésistible! Le flot terrorisait, coinçait, écrasait, recommençait, enfonçait les portes, noyaient les véhicules, montaient apparemment sans limites!  

    C'était la catastrophe, la fin pour beaucoup! C'était la nuit éternelle, l'aile d'un cauchemar, qui recouvrait subitement la ville! Au-dessus, les enfants Doms excitaient leurs soldats, leurs fourmis! RAM serait bientôt à eux! Ils triomphaient, ils dominaient! Ils imaginaient une grande boule psychique à leur merci! une entité qu'ils posséderaient entièrement! un monde clos qui ne serait que le reflet de leurs désirs, de leur pouvoir! Ils dirigeraient tout et auraient leurs esclaves! Au fond, ils allaient juste plus loin que les adultes! Ils poussaient jusqu'au bout la façon de vivre des aînés! Mais leur égoïsme n'aurait plus de scrupules! RAM serait le fruit de leur nombril, comme s'ils lui avaient donné naissance! L'après commençait!

    Les règles allaient changer! La domination psychique serait reine! Dans le cosmos une perle noire était née! La nature était vaincue! Le royaume des enfants Doms s'étendrait jusqu'aux confins! La mort aussi serait soumise! La science maîtresse du réel! Les hommes n'avaient-ils pas toujours voulu s'imposer comme l'animal, qui n'a de cesse de chasser l'intrus ou ses rivaux? Les enfants Doms se sentaient maintenant supérieurs et ils ne voyaient que leur création!

    Leur avait-on appris la pitié, la retenue, la vérité, l'effort? Les avait-on éclairés? Leur avait-on parlé d'espoir? On leur avait menti! On avait paradé devant eux, on les avait pris pour des idiots! On s'était gorgé sous leurs yeux, en faisant mine d'être responsables et pauvres! On s'était moqué d'eux jusqu'à plus soif! le travailleur comme le riche! l'élu comme le commerçant! le psy comme le syndicaliste! Qui avait les pieds sur terre, était sincère, lucide? Qui avait vaincu ses peurs? Qui ne jouait pas? La boue se déversait sur RAM, mais c'était celle de son cœur! 

 

                                                                                                 XXXIII 

 

    Andrea Fiala fut elle-même surprise par la marée noire! Mais elle avait l'habitude d'avancer les yeux ouverts, elle n'était pas l'esclave de son égoïsme, elle ne cherchait pas à dominer l'autre, mais elle le voyait aussi réel qu'elle, ce qui fit qu'elle sut réagir à temps! Alors que certains étaient en pleine discussion, pour qu'on les regardât, et que d'autres portaient un casque, incapables d'entendre le monde extérieur, Andrea vit clairement le flot de petits monstres, d'autant qu'elle les avait déjà affrontés, et elle plongea dans l'ouverture d'un bâtiment en rénovation! 

    Derrière la vague faucha ceux qui prenaient la vie pour une scène de théâtre ou leur chambre à coucher! Mais Andrea, malgré son réflexe, n'était pas sauvée, car aucune porte n'empêchait les Followers de s'engouffrer sur ses pas et elle montait un escalier en ciment, quand elle fut prise aux jambes! Un sentiment de dégoût et de panique s'empara d'elle, mais elle se rappela qu'elle possédait le LAL et qu'il devait être efficace contre cette masse hideuse, puisqu'au fond celle-ci était aussi de nature psychique!

    En effet, les Followers étaient des êtres immatures, avec une lumière très faible! Leur individualisation était loin d'être terminée et le LAL trouvait un égoïsme sans défenses, qui se répandait subitement en un liquide sale! Les pieds d'Andrea étaient maintenant comme dans un marécage, mais elle put se dégager! Hélas, ce n'était qu'un répit, car de nouveau le flot abondait et Andrea pesa de toutes ses forces contre une porte, qui heureusement s'ouvrit! Aussitôt passée, elle la referma et il parut évident que les créatures ne pouvaient utiliser la poignée!

    Encore tremblante, mais essayant de retrouver tout son calme, Andrea examina les lieux et se vit dans une grande salle nue, en plein travaux, mais qui servait de refuge à d'autres gens! Ils étaient une dizaine, à regarder par les fenêtres ce qui se passait dans la rue, et Andrea s'approcha naturellement d'un homme isolé, mais qui paraissait plus réfléchi, plus équilibré que ses voisins! "Andrea Fiala..., se présenta la jeune femme.

    _ Owen Sullivan", répondit l'autre.

    Puis tous deux se turent, car dehors le carnage continuait et outre son horreur, il donnait un sentiment pénible d'être prisonnier! "Vous voyez ces enfants dans leur bulle? dit Sullivan. Ce sont eux qui commandent ces bestioles!

    _ Oui, les enfants Doms!

    _ Les quoi?

    _ Les enfants Doms, de dom... ination, car ils n'existent que s'ils sont les maîtres!

    _ Oh! très bien! Mais je croyais qu'ils n'étaient que virtuels! J'ai un programme chez moi qui les met en scène!

    _ Owen Sullivan? Vous êtes le patron d'Adofusion, c'est ça?

    _ Mais oui!

    _ Macamo m'avait parlé de vous!

    _ Macamo? Mais c'était mon ami!

    _ Je travaillais avec lui à l'OED!

    _ L'OED? Mais j'y suis passé! Tout y est détruit! Mais qu'est-ce que c'était exactement?

    _ C'était une organisation qui luttait justement contre les enfants Doms!"

    A cet instant, ils furent interrompus par l'éclat d'une autre personne! C'était un gros type qui criait: "Eh bien, moi, je ne vais pas me laisser faire! Avant la montée de la mer, j'étais raseur de talus! J'avais pas mon pareil pour les peler! Mon engin est encore au sous-sol et écraser cette vermine me rappellera quand je faisais pisser les mûres et détaler les lapereaux! Bon sang que c'était bon!

    _ A votre place, répliqua Sullivan, j'attendrais que ça se calme un peu! Pour l'instant, vous risquez d'être noyé sous le nombre!"

    L'individu cracha: "Y s'ra pas dit que McGrégor ait eu peur d'un flot de taupes! fit-il. Vous allez voir un artiste au travail! Attention aux yeux, les femmes!"

    Celui qui s'appelait McGrégor se laissa glisser par des câbles, en direction du sous-sol, et après quelques minutes, on vit effectivement son engin sortir du bâtiment! Ses lames entrèrent en action et elles éclaircissaient la masse des Followers, à mesure qu'elles les cisaillaient! Les roues énormes faisaient aussi de la bouillie, mais tellement qu'elles finirent par stopper!

    L'engin fut alors recouvert comme par un essaim et apparemment la cabine ne devait pas être complètement hermétique, car le flot la laissa étrangement vide, quand il reprit sa course ! A l'intérieur du bâtiment, tout le monde baissa la tête!

 
  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire