Les enfants Doms (XXIV-XXVIII)

  • Le 10/09/2022
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Dom24

 

 

 

 

 

                               XXIV

 

    De retour dans son bureau d'Adofusion, Sullivan restait en proie à une grande nervosité! Il avait laissé l'autociel bien en vue, afin qu'on pût la récupérer, mais il n'avait pas retrouvé son calme pour autant! Ce qui lui paraissait maintenant évident, c'était qu'il existait un lien entre les enfants haineux du Métavers et ceux qu'il venait d'affronter! Les premiers, comme les seconds, méprisaient absolument les adultes et voulaient même s'en venger!

    Rien n'arrêtait donc leur pouvoir! Ils commandaient au-delà des lois! C'était possible grâce à leur puissance psychique! Macamo avait voulu mettre en garde contre cela, en plaçant les enfants dans des bulles et en leur donnant la faculté de faire obéir tout l'être! Les enfants du monde réel pouvaient donc s'avérer dangereux, tel était le message et Sullivan l'avait éprouvé à ses dépens, mais là où il recommençait à suer, c'était quand il songeait à l'aspect numérique de ses derniers agresseurs!

    Ils s'en réclamaient même, comme si le Web était le plus important... et ne l'était-il pas au fond, car comment se jugeait-on, s'appréciait-on, sinon par les réseaux sociaux? Les jeunes n'avaient-ils pas constamment le nez sur leur Narcisse? N'était-ce pas leur boussole? Il était donc normal que le numérique investît de plus en plus le quotidien!

    Si on ajoutait à cela que la chirurgie était encore de la technologie, que les traitements, hormonaux par exemple, étaient aussi des symboles de la modernité et de l'ouverture d'esprit, que la science promettait un contrôle extraordinaire du vivant, on se demandait si la nature n'était pas devenue obsolète et si le psychisme ne règnerait pas un jour en maître, car, Sullivan le percevait obscurément, c'était le culte de soi le moteur, la ronce qui s'étendait!

    Sullivan voulait des réponses et qui mieux que le Magicien pouvait les lui fournir? Mais, à présent, le patron d'Adofusion regardait son casque du Métavers avec défiance! Il avait peur d'avoir de nouveau du mal à distinguer le réel de la virtualité, de voir dans les enfants du Web ceux de RAM et vice versa! La création de Macamo était peut-être déjà la réalité!

    De son côté, Cariou eut également une mauvaise surprise: à peine rentré chez lui, il fut plaqué au sol et menotté! "Excusez-nous, Cariou, dit l'un des anciens costauds de Dominator, mais avec votre arme, il faut prendre toutes les précautions!

    _ Mais vous n'avez plus de patron, que je sache!

    _ Exact, mais quelqu'un d'autre veut vous voir!"

    Vite on fila au-dessus de RAM, vers un bâtiment opaque, que Cariou supposa être de la Défense! On emprunta un passage, qui avait tout l'air d'un raccourci, et on entra dans une vaste pièce, bien éclairée, à la moquette épaisse et ornée de multiples drapeaux! Derrière un bureau acajou, un homme en uniforme se leva et se présenta: "Général Gallibur, c'est moi qui assure la sécurité de RAM, dans l'attente des élections! Et vous, vous êtes...

    _ Cariou! Euh... j'ai toujours du mal à dire ce que je fais...

    _ Peu importe! C'est votre arme qui m'intéresse, car elle pourrait constituer une menace!"

     Le général prit le LAL et l'examina. "Comment ça marche? demanda-t-il à Cariou.

    _ Pfff! Vous n'allez pas me croire!

    _ Essayez toujours!

    _ Ben, cette arme a été baptisée LAL, ce qui veut dire "La Lumière appelle la lumière"! Elle est destinée à faire sortir la lumière que nous avons tous en nous et que nous refoulons plus ou moins!

    _ Ah! Ah! Qu'est-ce que c'est cette lumière? Elle est émise par mon microbiote, qui serait fluorescent?

    _ Ah! Ah! Ah! fit l'un des costauds, en éclatant d'un gros rire!"

    Cela parut déplaire au général, qui sans sourciller tira sur le bonhomme! Celui-ci cessa son rire et se figea: ses traits se déformèrent et il eut soudain l'air d'une grenouille! Effectivement, il sauta sur une chaise et commença à faire: "Quoi? Quoi?",  avec une bouille somme toute sympathique! "Mais quelle est cette diablerie? s'écria le général.

    _ Vous êtes fou d'avoir tiré sur mon pote!" fit le second costaud, qui marcha sur le général.

    Celui-ci allait de nouveau faire feu, quand Cariou bondit et dans la courte lutte qui s'ensuivit, le général tira lui-même sur sa personne! Il céda quasi aussitôt et devant Cariou qui avait repris le LAL, il ne fut plus qu'un jeune homme bien coiffé, en culottes courtes, avec une grande écharpe qui lui enserrait le cou! Il s'approcha de la fenêtre et dit: "L'automne! Les arbres perdent leurs feuilles et la mort rôde! Avez-vous remarqué comme l'ombre des branches donnent des muscles aux murs? Mais c'est de la poésie! Face au péril, nous saurons où est notre devoir!"

    Cariou s'approcha du second costaud: "Je suppose que vous allez me laisser partir..., lui dit-il.

    _ Oui, j'ai perdu toute confiance dans le général!

    _ Ne vous en faites pas pour vot' copain! Il va bientôt retrouver son état normal... Quand on n'est pas vraiment méchant, les effets du LAL ne durent pas! Pour le général, vous saurez quoi dire..."

    Le costaud se contenta d'opiner et Cariou retrouva sa liberté!

 

                                                                                                XXV

 

    Andrea Fiala s'amusait beaucoup! Galvanisée par son expérience avec l'employée de l'administration, elle sortait son LAL à tout va et tirait comme ça lui chantait! Elle voulait réparer le monde, l'éclairer, le rendre heureux et magique! Elle voulait de la fête, des couleurs, de l'amour et plus de cette grisaille, de cet égoïsme sans fin, de ce cloaque sans fond! Elle s'enchantait des transformations, de la vérité produites par le LAL, d'autant que sa charge semblait inépuisable!

    Rencontrait-elle un gros gars, campé sur le trottoir et amoureux de sa queue, si bien qu'il attendait des hommages, et Andrea, le LAL à peine sorti de son sac, faisait feu et l'individu devenait minuscule, se mettait à pleurer et se calmait avec une glace, qui pouvait préfigurer son sexe!  "Le brave petit garçon!" se disait Andrea!

    Mais elle avait autant à faire avec les femmes et si, dans un magasin, elle se sentait pressée par l'une d'entre elles, elle lui tirait dessus à bout portant, sûre de son bon droit! La femme touchée alors prenait sa véritable forme, celle d'une punaise puante, ce qui provoquait un grand émoi autour d'elle! "Je vais vous montrer de quel bois je me chauffe! murmurait Andrea! On va voir qui est qui et qui fait quoi! Finis le mensonge, la boue!"

      Mais bientôt Andrea se rendit compte qu'elle ne pouvait continuer ainsi, car il eût fallu faire feu quasiment à chaque rencontre et ce n'était pas possible! Andrea avait déjà mal au bras et elle décida d'utiliser le LAL seulement si c'était nécessaire, si cela portait ses fruits! D'ailleurs, il se passait quelque chose autour de la Tour du Pouvoir et Andrea se mêla aux spectateurs, pour savoir de quoi il s'agissait, alors qu'on lâchait des ballons!

    "L'événement est de taille, mesdames, messieurs! disait un présentateur dans un micro. C'est une grande première pour RAM et le monde! Voilà pour la première fois, dans l'histoire de l'humanité, la machine à Amour! Une réussite technologique sans précédent! Le summum des programmes mis au service des sentiments! Attention! Attention, top départ pour la machine à Amour! Le début d'une nouvelle ère!"

    Autour de la machine des hommes en jaune s'affairaient... Ils étaient devant un tableau de manettes extrêmement complexe et ils se demandaient laquelle ils devaient actionner! A côté d'Andrea, on entendait parler avec respect et même crainte d'intelligence artificielle et d'algorithmes! Puis, quelque chose fit du bruit et la machine se déplia, avec difficultés cependant, pour devenir une sorte de robot géant, ayant tout de même des traits humains, mais comme glacés, dépouillés, métalliques!

    "Je suis l'Amour! fit la créature, alors que tout le monde retenait son souffle! J'aime les hommes, chaque homme... Euh... La vie est un mystère! Car qu'est-ce que l'Amour, la conscience, cette... cette faculté extraordinaire! Euh..." La machine avait visiblement du mal à parler! Elle semblait chercher son texte! "Sacrifice! reprit-elle. Don de soi! Euh... Je vous aime vous tous! Vous pouvez m'injurier! Hi! Hi! Je vois plus loin! Vous m'aurez pas comme ça, ça non!

    J' peux crever le ciel! Hi! Hi! J' peux aimer à en mourir, pour vous donner de... euh, de l'espérance! Ouais, c'est ça mec! J' suis hypra cooolll!" Ici, les hommes en jaune s'activèrent, derrière la machine, grâce à une estrade... et visiblement, ils n'étaient pas d'accord! "La foi, j' connais! J' maîtrise! Tu peux m'écraser le pied, vas-y, mais vas-y, qu'est-ce que t'attends? J' répondrai pas, non monsieur! Le don de soi! La confiance! J' vois plus loin, j' t'ai dit! Hi! Hi!

    On va aller au bout du ch'min, toi et moi! On va crever le ciel! On va montrer qu' la vie a tout du mystère! La foi, c'est pour toi et moi, c'est l'aventure! C'est l'amour, quoi! Euh... La raison, c'est la justice! Mais on ira plus loin! Par amour et pour l'amour! Euh..."

    Soudain, la machine se mit à fumer, à gargouiller et grincer! Les hommes en jaune quittèrent l'estrade et le public recula d'instinct! "Tu peux m' mépriser! continuait le robot. Vas-y! Mais vas-y qu'est-ce que t'attends? Grâce à la foi, j' te f'rai rien! Alors, vas-y! Fais-moi plaisir! Dis que j'suis nase! Je veux l'entendre de ta bouche! Fais-ça pour moi, par amour pour moooi!"

    La machine ferma les yeux, tomba à genoux, tendit la main et s'écroula! Il y eut un silence gêné et pour une rare fois, on entendit le vent dans RAM!

 

                                                                                                        XXVI

 

    "Qui sont ces enfants qui attaquent?" demanda Sullivan au Magicien.

    Le directeur d'Adofusion, malgré ses réticences, était retourné dans le Métavers et il interrogeait le Magicien! Celui-ci tendit le bras vers les yeux de Sullivan et en retira de la lumière! Sullivan était médusé, tandis que le Magicien commençait à jouer avec la lumière! Il la faisait passer d'une main à l'autre, puis il la jeta vers le ciel et immédiatement Sullivan fut pris dans son sillage!

    Il fonçait à la vitesse de la lumière à travers l'espace et il vit les galaxies et les étoiles venir vers lui! Des fleurs gazeuses s'ouvraient sous ses yeux, avec des couleurs somptueuses! Plus loin, une explosion gigantesque faisait sentir à Sullivan toute sa puissance! C'était sans limites, d'un souffle incommensurable, comme si Sullivan avait été projeté dans un tas de diamants, qui n'en finissaient par de s'éparpiller sur la nuit cosmique!

    Sullivan retrouvait sa jeunesse! Il était l'enfant qui jouait aux cow-boys et aux indiens et qui mourait dix fois, vingt fois avec plaisir, se relevant toujours, inépuisable! Alors coulait en lui une énergie folle, avant que ne l'éteignissent la souffrance, l'injustice et le mal! Il retrouvait cette force incroyable et il croyait rêver! Il était de nouveau innocent, confiant et il se demandait pourquoi il avait cessé de croire que tout était possible!   

    Il fut submergé par une émotion totale, infinie et un bonheur suprême le combla, en le faisant frissonner! Il avait la larme à l'œil et il remercia spontanément, sans réfléchir! C'était plus fort que lui! Il avait retrouvé l'espoir, un espoir sans ombres et avec lui une paix éternelle! Il comprit sa soif et celle de chacun! Il vit les entraves et les cages des hommes! Pire, en rêve, il s'approcha des enfants Doms...

    Ils ne jouaient plus! Ils étaient graves, comme écrasés par leur savoir! Ils étaient fermés sur leur Narcisse! La chape de plomb qui pesait sur le monde les oppressait aussi! Ils devaient être grands pour affronter les choses! C'était comme s'ils n'avaient jamais été innocents! On entendait toujours des cris de joie, dans les cours de récréation, mais très vite le poison de la peur faisait son effet, car il semblait n'y avoir personne pour répondre et tranquilliser!

    L'enfant Dom se voyait seul ou presque! Comment chétif aurait-il pu résister? Ne tremblait-il pas déjà sur ses jambes! Les adultes ne semblaient-ils pas des somnambules, n'étaient-ils pas apeurés eux-mêmes, ravagés par des luttes stériles, égoïstes? Pour survivre, l'enfant Dom se créait une bulle, se durcissait dedans, ne vivait que pour elle, voulait l'imposer partout! C'était nécessaire, quoiqu'épuisant!

    Toute l'énergie de l'enfance se concentrait en un point, ne se libérait pas, restait tendue tellement qu'elle devenait un gouffre, un trou noir, hostile, méprisant, destructeur! Sullivan en fut dégoûté en même temps qu'il en eut pitié! L'enfant, qui aurait dû sourire, être confiant, était sombre comme le ciel des hommes! Où était l'amusement, la légèreté? Qui pouvait aider ces enfants? Sullivan se rendit compte du bienfait du programme de Macamo, d'autant que lui-même en avait bénéficié!  

    La beauté était la clé de la confiance!

 

                                                                                                   XXVII

 

    Nuit était à sa permanence, entouré de quelques collaborateurs... "Les sondages ne sont pas bons! dit-il. J'y suis au coude-à-coude avec Tanaka... Il faudrait un coup d'éclat, pour me relancer... Hum, on a retrouvé ce type, Cariou? Il est pour quelque chose dans le suicide de Dominator... et surtout, on dit qu'il possède une arme mystérieuse... Y a sûrement moyen d'exploiter le sujet, d'une manière ou d'une autre!

    _ Je m'en occupe! répondit Brax, le chef des Loups, autrement dit de la sécurité!

    _ Oui, approuva le duc de l'Emploi. Il faudrait remettre la main sur ce gars-là! D'après Dominator, il était le seul à comprendre ces enfants... Comment il les appelait déjà? Ah oui, les enfants Doms! Car la situation, Nuit, devient de plus en plus désastreuse! Plus personne ne veut bosser! De quoi je vais vivre, moi? On parle de bien-être, de s'occuper de soi! C'est bien joli tout ça, mais qui va payer?

    _ Vous avez raison, fit Nuit. On manque de personnel sur les chantiers et on en est même ralenti!

    _ Je m'en occupe! jeta Brax.

    _ Vous vous en occupez? s'écria le duc de l'Emploi. Et comment? Vous allez forcer les gens à travailler? Je crains que ce ne soit un peu plus compliqué qu' ça! C'est un véritable phénomène de société! Les gens démissionnent! Les vaches refusent d'aller aux champs! Comment les traire dans ces conditions? Excusez-moi, je m'énerve!

    _ Le problème aujourd'hui, c'est que personne n'a confiance en personne! fit quelqu'un en retrait.

    _ Mais vous êtes qui vous d'abord?" demanda le duc encore irrité.

    L'individu, assis sur un canapé, était grand, chauve et portait une veste à carreaux, tandis que ses chaussures paraissaient celles d'un clown! "Docteur Web, pour vous servir!

    _ Docteur Web?

    _ Ouais!

    _ Il est avec nous, expliqua Nuit, il nous aide pour la campagne!

    _ Minute! répondit Web. Je vous suis utile, c'est un fait, mais je ne vous appartiens pas! Vous m'avez demandé, j' suis là! Mais si Tanaka me veut aussi, elle m'aura!

    _ J' m'en occupe!" coupa Brax.

    Le chef de la sécurité se planta devant Web, qui se leva, avant de préciser: "Il ne vous servira à rien de faire preuve de violence avec moi! Je suis numérique! Pas vraiment matériel, quoi!

    _ Numérique? C'est un autre nom pour lâche! répliqua Brax, qui eut un sourire pour son esprit! Puis, il frappa soudain, mais, son poing ne rencontrant que le vide, il tomba en avant sur le canapé!

    _ Je vous avais prévenu! dit Web, qui se rassit, alors que Brax se retirait penaud. Personne ne croit personne! C'est un mal du siècle! Pourtant, tout le monde a besoin de moi! Je suis le miroir de tous ici!

    _ C'est bon, doc! fit Nuit. Vous êtes le meilleur!

    _ Vous continuez à me prendre pour une bille! Mais je vous tiens par les parties, Nuit! Je peux vous faire tomber d'un seul claquement de doigt! Demain, je fais courir la rumeur que vous abusez sexuellement de vos ouvriers et...

    _ Et ma campagne sera fichue! Je sais tout cela, doc! Voyons, calmez-vous! Tout le monde est un peu énervé... et c'est bien normal! Aaaah!"

    Nuit venait de pousser un grand cri! "Qu'est-ce que vous avez? demanda le duc.

    _ Une... une feuille! Elle vient de tomber sur mon bureau!

    _ Elle a dû entrer par la fenêtre... C'est une feuille de chêne, je crois...

    _ Mais... mais vous savez que je ne supporte pas la nature! Elle me rend malade, c'est plus fort que moi! Pourquoi croyez-vous que je bétonne à tour de bras?

    _ J' m'en occupe!"

 

                                                                                                   XXVIII  

 

    Tanaka cherchait elle aussi un second souffle! Même si elle luttait pour les pauvres, elle n'était pas satisfaite de la tournure des événements! Plus elle devait répondre aux attaques du parti adverse et plus elle devenait haineuse et dure! Elle sentait que c'était le pire d'elle-même qui s'aiguisait, que c'était son ego blessé qui enrageait! Or, au fond, elle n'avait jamais voulu le pouvoir et son engagement ne venait que d'un trouble face à la souffrance et au dénuement!

    Elle percevait que la société était injuste à cause de son égoïsme, mais pouvait-on combattre celui-ci tout en développant le sien? Les médias louaient ses qualités d'oratrices et même Dramatov lui avait fait savoir qu'il en était content! Devant la foule ne s'enflammait-elle pas, ne s'enivrait-elle pas d'elle-même, ne s'écoutait-elle pas, ne se demandait-elle pas si elle était bonne? Où étaient ses pauvres à ce moment-là?     

    Tanaka doutait, d'autant qu'elle savait qu'on ne changeait pas les hommes par la violence! Bien sûr, il était facile d'imaginer une économie vissée, des lois qui empêcheraient la course au profit et l'exploitation du plus faible, mais l'histoire avait montré que l'égalité forcée n'était qu'une illusion, ne menait qu'à la dictature, car tout simplement nous étions tous égoïstes! On ne corrigeait pas la nature par l'autorité, même si elle était indispensable! On ne demandait pas aux autres de la modestie, avec la vanité du chef!

    Cependant, il fallait que le monde changeât! Tanaka se rappela alors Cariou et qu'il avait essayé de lui faire voir un autre chemin... Lui aussi avait à cœur la paix et la fin des souffrances, mais il avait parlé d'amour et de confiance... Tanaka l'avait jugé naïf et même privilégié, mais elle aurait bien voulu l'avoir auprès d'elle à cet instant! Tout au contraire, ce fut Durin, le député de gauche, qui interrompit ses pensées, pour lui présenter une nouvelle recrue!

    "Yumi, dit-il, voici un homme qui va nous être utile! Il s'appelle Justico! Il a un long passé de travailleurs et c'est une figure dans son quartier! Il n'a qu'un but: la justice sociale!"

    L'homme était massif, avec des traits marqués, comme s'il connaissait la guerre et s'y apprêtait! "Soyez le bienvenu! dit poliment Tanaka.

    _ Enchanté, m'dame! Alors prête à casser du riche? Les profiteurs, on va les faire ramper! On ne cèdera pas d'un pouce, vous pouvez m'en croire! Quand je pense aux bourgeoises, je sens un feu qui m' brûle le bas-ventre! Jamais rencontré autant d' mépris et de gaspillage que chez elles! Sur les boulevards, elles te toisent comme si t'étais qu'un sale rat! Mais faut d'abord s'occuper du mari! Le gars d' la bourse! Lui, on va l' dresser!"

    Tanaka n'en croyait pas ses oreilles et elle songeait: "Ce Justico pauvre? Allons donc! La peine n'enlève-t-elle pas tout amour-propre? Or, il en regorge! Comment lui faire comprendre qu'il est comme ses ennemis?"     

    Ailleurs dans RAM, Cariou respirait de nouveau l'air de la rue, quand il croisa un prédicateur! "La fin est proche! clamait celui-ci aux passants. Repentez-vous! Car votre juge arrive!" Cariou haussa les épaules et se détourna, mais le prédicateur l'interpella: "Eh toi, là-bas, ça ne t'intéresse donc pas ce que je dis!"

    Cariou fut surpris, mais très vite il répondit:  "Tâchez d'abord d'aimer la vie, car c'est l'œuvre du juge!   

    _ Comment le pourrais-je, quand mes frères se livrent au péché? 

    _ Si vous n'êtes pas heureux, vous n'aiderez personne!

    _ Mais monsieur a réponse à tout! N'est-ce pas admirable?

    _ La vérité, c'est que tu recherches le pouvoir, le contrôle sur les autres! C'est pour cela que tu les menaces!"

    L'homme ne répondit pas, mais s'ouvrit comme un portefeuille et il happa Cariou entre deux de ses plis, pour l'écraser! Cariou gémit sous la douleur, mais il parvint à saisir son LAL et à tirer vers le centre! Il resta un être bizarre, tel un accordéon debout et qui souffrait de ne pas pouvoir se détendre complètement!

   Il s'efforça à la dignité et s'éloigna avec un son lugubre! 

 
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