Les enfants Doms (XVI-XVIII)

  • Le 14/05/2022
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Dom8

 

 

 

 

                                               XVI

 

    Andrea Fiala avait trouvé refuge chez une amie et elle reprenait son activité d'écriture! Elle avait reçu un message crypté de Macamo, qui l'avait rassurée et auquel elle avait répondu! Toutefois, elle restait inquiète au sujet de Cariou, mais, pour l'instant, elle ne voyait pas comment l'aider! Enfin, elle pensa que le mieux était qu'elle reprît son travail pour l'OED: cela chasserait ses idées noires et continuerait la lutte! 

    "Peut-on vraiment renoncer à sa domination? se demanda Andrea. A priori non, car qu'est-ce qui nous est plus naturel que de nous sentir bien, heureux, triomphant, plein de force et d'espoir? N'est-il pas normal de réussir, de voir son travail payer, d'être salué, respecté? Comment pourrait-on vouloir s'éteindre, dire non à la promotion, à l'élévation sociale, au rayonnement du succès? Il faut voir comment certains animaux satisfaits chantent, expriment toute leur vitalité dans le soleil!

    Lutter contre sa croissance, n'et-ce pas se condamner soi-même à la névrose, à la maladie, à la dépression? Tout le monde connaît maintenant les dangers d'un refoulement excessif! Pourtant, les problèmes sont bien là! Ici, dans RAM, nous avons tout et nous ne sommes pas contents, ni en paix! La montée des partis extrémistes en témoigne! Face à une situation inquiétante et complexe, la tentation est grande de choisir la radicalité, qui semble "éclaircir" le ciel, rassurer en désignant des coupables ou en fermant les frontières! L'égoïsme n'aime pas la nuance!

    Mais, d'une manière plus générale, nous dévorons la planète, nous la polluons et épuisons ses ressources! Nous misons alors sur des énergies "vertes", plus respectueuses de l'environnement!  Nous gardons foi dans le progrès et nous pensons que les innovations futures nous sauverons, mais il n'est pas difficile de constater que dans bien des cas nous ne faisons que déplacer le problème! Telle nouvelle technologie a besoin de métaux rares et la voilà autant, sinon plus destructrice que la précédente! Ce que nous appelons la modernité, n'est-ce pas une grande fuite en avant, parce que nous sommes incapables d'ouvrir les yeux?

    C'est pourquoi certains préconisent de moins consommer ou un fonctionnement plus sobre, traditionnel, mais plus solide! Il s'agirait d'un "retour en arrière", d'arrêter une course à la sophistication technologique, de limiter nos besoins! Mais est-ce possible, même si on serait conscient de préserver la planète? Pour se contraindre, l'homme ne doit-il pas être obligé? Ne faut-il pas la catastrophe pour changer profondément son comportement? Peut-il accepter l'immobilisme, sans éprouver de l'angoisse? Que espoir aurait-il à s'enfermer? N'est-il pas né pour imaginer son univers absolument libre? S'il peut percevoir l'immensité, est-ce pour y renoncer?

    Inconsciemment, l'homme veut rêver! Il est là lui aussi pour s'enchanter de la gloire d'exister! La nature, dans sa force, ne lui dit pas autre chose! Il ne peut accepter de ne pas être le maître! Rien ne doit borner sa domination, sinon il dépérit! Il faut donc que celle-ci soit remplacée par quelque chose qui soit encore plus fort, plus avantageux! Quel gain pourrait orienter l'homme, au-delà de sa propre réussite? Et si on lui disait: "Tu n'auras plus peur! Ta vie sera pleine chaque jour, sans que tu aies besoin de vaincre! Tu n'écraseras personne et pourtant tu seras le plus fort! Ton espérance, ton éblouissement n'auront pas de fin! Ta connaissance sera toujours plus vaste! Ta liberté, personne ne pourra te la prendre! Tu seras le magicien, l'enchanteur, l'enfant! Tu seras jeune et vieux! le danseur des étoiles! la légèreté même! Tu riras du poids des autres! Tu seras la lumière parmi les morts!"

    Est-ce que l'homme ne serait pas intéressé? Est-ce qu'il n'aurait pas "envie de signer"? Il demanderait: "Comment? Quel philtre permet ce bonheur? Que dois-je faire?" Et on lui répondrait: "Là, là! C'est un secret! Il est dans la beauté!" Et on laisserait l'homme interloqué!"

 

                                                                                                                XVII

 

    Cariou était au réfectoire de la prison et il prenait ses marques... C'était le déjeuner et il régnait une certaine excitation, malgré le lieu. Une serveuse s'arrêtait à chaque table et on voyait les détenus tendre vivement leur assiette, mais à ce moment-là madame Birkel fit son apparition! Elle avait un visage sévère, comme si elle venait d'être victime d'une injure!

    Qu'est-ce qui la tourmentait ainsi? Elle se mit à crier sur un jeune homme, qui prenait visiblement plaisir à manger: "Allez vas-y! Bouffe! Bouffe! Mais bouffe!" Le silence se fit et le jeune homme s'était figé! Une rougeur couvrait ses joues et il ne savait plus quelle attitude adopter! Il avait honte et madame Birkel se redressa: elle avait l'air plus satisfaite, comme si elle s'était nourrie de l'ardeur qu'elle venait d'éteindre! 

    "Elle est comme ça, la Birkel! murmura une voix à l'oreille de Cariou. Elle se réjouit d'humilier! Elle veut tout le monde sous son contrôle et elle nous appelle ses enfants! Tu parles! Les gars n'osent pas moufter, car après on est passé à tabac par les gardiens ou pire!"

    Cariou se tourna vers celui qui lui parlait et il découvrit un vieux détenu. "Je m'appelle Amir Youssef, dit-il, toujours à voix basse.

    _ Jack Cariou."

    Les deux hommes inclinèrent légèrement la tête, pour se saluer, mais la serveuse était maintenant à leur hauteur! Chacun tendit son assiette, mais Cariou ne fut pas servi! "Apparemment, expliqua Youssef, la Birkel ne vous a pas à la bonne! Vous avez déjà dû lui déplaire!" Puis, il commença à manger, à côté d'un Cariou dépité!

    Dans la cour, après le repas, Cariou essayait de se consoler en s'offrant aux rares éclaircies, quand une armoire à glace s'approcha! "C'est toi Cariou? demanda-t-elle. Tu vas déguster!" Derrière le costaud, il y avait déjà un petit attroupement, qui voulait assister au spectacle! Cariou regarda celui qui devait le corriger et il s'aperçut qu'il n'était pas méchant! La lumière, chez lui, n'était pas enfermée! Au contraire, elle ne demandait qu'à sortir et rayonner et l'homme devait faire peser sur elle l'un de ses épais sourcils, pour la masquer!

    Sans doute agissait-il ainsi que contraint et forcé! Cariou se décida à libérer totalement la lumière! Il la saisit près de l'œil et l'étira, ce qui surprit totalement l'autre, au point d'en être hébété! Le temps fut comme suspendu, puis soudain le costaud, qui avait éprouvé une légère douleur, mais comme quand on enlève une épine, tomba à genoux en pleurant, répétant: "Pardon! Pardon!"

    Cariou le releva et l'embrassa! Puis, il lui dit: "La vie est dure, n'est-ce pas? Les hommes sont sans pitié!

    _ Oui, oui, approuva l'autre, le visage plein de larmes.

    _ Mais maintenant, tu as une raison d'espérer! Sois heureux!

    _ Oui, oui!" reconnut le costaud, qui s'en alla.

    Il était à la fois lourd et léger et il ne prêta aucune attention à ceux qui avaient assisté à la scène et qui étaient médusés! Dès lors, Cariou eut une aura spéciale: on se demandait qui il était et on ne lui chercherait pas de noises, car il avait été placé de fait sous la protection du grand gars costaud, qu'on craignait!

 

                                                                                                            XVIII

 

    Fahim Macamo était devant une page blanche... On lui demandait de travailler à une appli consacrée aux ados, mais il la concevait pour les enfants Doms! En effet, ils étaient bien présents et ils constituaient une menace et s'ils ne formaient pas encore sans doute la majorité, ils ne faisaient que porter à l'extrême la domination qui commandait inévitablement les autres ados!

    En élaborant un produit pour les enfants Doms, Macamo répondrait donc aux besoins de tous les ados et le Metaverse, en mettant en scène les problèmes du quotidien, devait servir à les résoudre! La technologie pouvait changer le comportement des enfants Doms et assurer ainsi la cohésion de la société! Seulement voilà: que savait Macamo sur les enfants Doms? La plupart de ses connaissances venaient de Cariou! C'était lui qui avait éveillé Macamo, bien que celui-ci fût réceptif, à cause de son mal-être!

    Par exemple, Macamo ne supportait pas d'être bousculé aux caisses des magasins, par des gens qui se croyaient seuls au monde, qui ne comprenaient pas qu'on dût attendre, parce que les autres existaient! Il avait fallu les mots de Cariou, l'éclairage sur la domination, pour que Macamo vît une explication à l'égoïsme et combien la gêne qu'il subissait était loin d'être anodine, puisque la peur était profondément liée à la domination! "Si le Dom ne domine pas, il hait!" C'était une des règles mises en évidence à l'OED!  

    Macamo songeait à plusieurs difficultés... Par exemple, l'enfant Dom n'aimait pas l'ordre, ce qui est convenu! Pourquoi? Mais tout simplement parce que rentrer un tant soit peu dans un moule, dans une normalité, c'est diminuer sa domination, ce qui cause de l'angoisse! Ainsi, l'enfant Dom pouvait très bien se mettre à détruire les services nécessaires à son quotidien, comme la mairie, la bibliothèque ou le véhicule des pompiers! Donc, si une appli, par son succès, devenait comme une institution, tôt ou tard, elle ferait fuir les enfants Doms! Seul le sentiment de faire partie d'une élite les retiendrait, en rassurant leur égoïsme! Cela était encore vrai pour l'utilisation des marques, qui "situaient" les individus!

    Les enfants Doms étaient toujours à la recherche de la nouveauté, pour se distinguer des autres ados! Cette particularité rendait la croissance de l'appli problématique, d'autant que son patron, Owen Sullivan, lui, était obsédé par le chiffre des abonnés! A la première réunion commune, au cours de laquelle Macamo avait été présenté au reste de l'équipe, Sullivan n'avais pas cessé de parler de croissance, ce qui expliquait même pourquoi il n'hésitait pas à racheter ses concurrents! Au fond, Sullivan avait une peur terrible de voir les limites de son entreprise, car il lui aurait fallu alors accepter le temps et la mort!

    Il lui était nécessaire de croire qu'il pouvait gouverner le monde, le faire à son image! Il criait à son équipe: "Domination! Domination!" Et effectivement son empire médiatique se développait comme une bulle dominatrice et Macamo avait soudain compris que son propre patron était un enfant Dom dans un corps d'adulte! Sullivan montrait un destin, une solution que la domination maladive pouvait trouver! Mais ce n'était pas vraiment une adaptation! Bien au contraire!

    Sullivan était le maître! Il régnait sur des milliards de personnes, si on considérait que sa plateforme transformait la vie de ses abonnés, leur devenait nécessaire! Il était craint plus qu'aimé également dans son entreprise! Là encore sa domination se voulait absolue, à sens unique! C'était lui qui décidait et non les arguments! L'enfant Dom Sullivan ne s'était pas ouvert aux autres! Il ne les voyait pas dans leurs richesses, avec leur caractère unique! Il ne les respectait pas, mais il s'en servait!

    Et Adofusion grignotait le monde, par peur essentiellement!

 
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