Les Enfants Dom

  • Le 19/03/2022
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Dom

 

 

   Voici une nouvelle histoire, qui reprend cependant les thèmes que nous connaissons bien ici désormais! Je vais juste essayer d'écrire un bon récit de SF, cohérent et troublant jusqu'au bout, ce qui veut dire pas trop d'explications, d'actualités, ni surtout de foi! Souhaitez-moi bonne chance! (Vous pouvez aussi me dire ce qui ne va pas...)

 

 

                                   I

 

    RAM! L'une des dernières villes à accueillir l'humanité! On s'y est pressé devant la montée des eaux! C'est une cité gigantesque, sous le ciel orageux en permanence! Toutes les nations y sont représentées! toutes les couleurs, tous les langages, toutes les coutumes! Entre les tours, une circulation effrénée! des voitures, des scoots volants! des accidents, des véhicules qui tombent, sur des piétons effrayés, avant les sirènes hurlantes des secours!

    RAM, une île! entourée d'un océan de déchets mouvants! un océan noirâtre et puant, où seraient nés des monstres, comme dans les légendes! Des éclairs toujours! Des éclaircies parfois! Une pluie boueuse qui salit tout! Une tension permanente! Une haine sourde! La vie pourtant! avec ses appétits, ses devoirs, ses buts cachés, ses espérances, sa folie et ses suicides! Certains sont retrouvés dans la houle molle!

    RAM a trois niveaux! Il y a ce qu'on ne voit pas, sous terre! C'est là qu'on prépare la nourriture de RAM! C'est sa ferme! On y fait pousser des plantes, des légumes dans une lumière aveuglante! Il n'y a plus de racines, seulement des biologistes, portant des combinaisons et des lunettes sombres! On y pratique encore l'élevage, avec des animaux massés, inquiets!

    On y tue des bêtes, à l'abri des regards! Ceux qui travaillent là n'ont pas eu le choix, mais ils forment une confrérie, un monde particulier! C'est ce qui les fait tenir et c'est leur domaine! Malheur à celui qui s'égare ici, surtout il a un air méprisant! On ne le revoit jamais! A côté, on trouve des laboratoires secrets, où on fabrique de la viande et toutes sortes de produits chimiquement! On essaie tout, on manipule la vie dans tous les sens, on fait naître de la matière, des substances, qu'on modèle comme dans un rêve infini!

    Au-dessus est le deuxième niveau, le plus populaire! C'est la foule grouillante! Ce sont les commerces, les magasins, avec leurs étals ou leurs vitrines alléchantes! C'est là qu'on achète à manger, de quoi s'habiller, équiper ou orner son intérieur! Des riches s'y montrent, avec leurs emplettes, affichant leurs rires et leur insouciance, avant de s'envoler vers leurs appartements dorés! Car, même en ces temps catastrophiques, la "farce" de la société continue! Il s'agit encore de montrer son rang, sa fortune, sa réussite, sa supériorité!

    D'ailleurs, les mendiants sont là! miséreux, éteints, amers! Certains sont dignes, fiers, muets et semblent ne rien demander! D'autres, au contraire, tendent la main, insistent, ont un regard lourd de reproches, si on ne donne pas! Entre ces deux pôles, les nantis et les pauvres, le plus grand nombre, la majorité! Apparemment, une déambulation normale! Une vie réglée par le travail! Des attitudes reconnues de tous! Une cohérence pacifique! Mais en réalité des crispations, des mépris, un rapports de force constant! des pièges tendus, des silences humiliants, des connivences bruyantes! C'est que RAM épuise, vide! La ville refuge étouffe, écrase en toute impunité, sans se l'avouer!

    Au troisième niveau, le pouvoir! Une immense tour domine la ville entière! Sa paroi est lisse, opaque, ne renvoie que l'image du monde extérieur! Les premiers étages sont pour l'administration de RAM, mais plus haut?  On raconte d'étranges histoires sur le pouvoir de la tour! comme on invente à loisir sur ce qu'on ne connaît pas et qui intrigue! Mais on dit que le dernier étage permet de voir toute l'étendue de la ville, jusqu'à la mer, comme si on pouvait y surveiller chacun!

    On murmure encore que le pouvoir est entre les mains de créatures repoussantes, des êtres humains qui auraient perdu leur corps, n'en ayant plus besoin, à force d'immobilité! Les créatures ne seraient plus que des sortes de cerveau! Le mystère demeure... et crée la crainte, prisée par l'autorité! En tout cas, la ville fonctionne, il y a de l'ordre, quoique deux RAM coexistent! La nuit, la ville est autre, un véritable coupe-gorge! C'est l'heure des loups!

    Les bandes sortent de leur repaire, se répandent, pour se mesurer, s'affronter, conquérir des territoires, au service de la drogue et de la prostitution! On montre ses muscles, on joue les terreurs! On boit, on s'énerve, on menace, on "plante", on se venge, on tue, on tire! Des meutes parcourent la ville, repoussent la police, incendient des voitures! Les bilans de la nuit sont terribles! Il y a des cadavres abandonnés, à moitié brûlés! La violence s'arrête avec le jour, le service de nettoyage effaçant ses traces!

    Mais RAM s'agite tout le temps, à l'unisson des tempêtes qui s'abat sur ses murs! On ne peut sortir de la ville! Ailleurs, s'il n'y a pas la mer empoisonnée, ce sont des déserts brûlants! Il faut survivre, résister dans RAM! Il faut savoir jouir de son ciel fuyant! C'est une question de patience! La moindre feuille y est un diamant, un regret, un bonheur perdu! la moindre éclaircie la baguette de quelque fée!

 

                                                                                                                     II

 

    "Dis, grand-père, raconte-nous une histoire!

    _ Oh oui, grand-père, raconte-nous une histoire!

    _ Mais vous n'avez pas école aujourd'hui?

    _ Oh non! C'est les vacances!"

    On était dans un de ces écrins si rares dans RAM! un petit oasis, que cultivait un vieux monsieur! Il y avait là quelques rosiers, auxquels le vieil homme était particulièrement attaché et qu'il entretenait avec attention, quand il ne se plaisait pas à s'asseoir sur une pierre, comme maintenant, pour amuser ses deux petits enfants, un garçon et une fille!

    "Alors, grand-père, elle vient cette histoire! dit le petit garçon.

    _ Te voilà bien impatient! répondit le grand-père. Les histoires, il faut les trouver, il faut y réfléchir!

    _ Oh! Mais toi, tu en as toujours plein! fit la petite fille.

    _ Ah bon? Tu es sûre que ne tu ne trompes pas de grand-père?

    _ Hi! Hi! Mais non, y a ta moustache qui pique!

    _ Bon, bon, je vais vous raconter l'histoire de la Lumière!

    _ Ah!

    _ Chic!

    _ Eh bien, la Lumière s'ennuyait dans le noir et elle se dit: "Je vais voyager et partout où j'irai, j'apporterai de la lumière, de la chaleur et je rendrai les petits enfants heureux!"

    _ Oh!

    _ Elle fit sa valise et se mit en route! Mais la nuit était partout et on n'y voyait rien! Il manquait un éclairage et la Lumière créa alors les étoiles, comme ici il y a des lampadaires!

    _ C'est ce qu'il fallait faire!

    _ Oui, mais la Lumière trouva encore qu'il n'y avait personne et que c'était un peu triste! Elle se rendit sur une planète et commença par chauffer la mer!

    _ Hi! Hi!

    _ Oui et dans la mer de petites choses apparurent, qui bougeaient, comme si on les avait réveillées!

    _ Des cellules! Ou plutôt des molécules! affirma le petit garçon.

    _ Mais je vois que j'ai affaire à un connaisseur! répondit le grand-père. Les petites choses étaient déjà indépendantes et il fallait les laisser faire! La Lumière, qui avait tout son temps, se contenta de rester là et de regarder!

    _ D'abord, il y a eu des algues, non? interrogea le petit garçon.

    _ Et puis des monstres! s'écria la petite fille.

    _ Eh oui! dit le grand-père. Des fois la vie était trop grosse, trop grande ou trop méchante! Et la Lumière disait: "Mais y vont finir par m' bouffer aussi!'

    _ Hi! Hi!

    _ A côté pourtant, il y avait des fleurs magnifiques et la Lumière les caressait, pour les rendre encore plus belles! comme elle jouait aussi avec l'eau, en lui donnant plein de petites perles! Et finalement les animaux étaient heureux, car ils étaient chauffés et avaient à manger! Et puis un jour, l'homme fit son apparition! Les êtres humains étaient là et eux aussi, ils découvraient la vie!

    _ Ils étaient pleins de poils et avaient des peaux de bêtes!

    _ C'est vrai! Mais maintenant la Lumière voyageait en eux et leur donnait des idées! Ils pensaient et souriaient! C'était la Lumière qui venait sur leur visage!

    _ Oh!

    _ Voilà une belle histoire, grand-père!

    _ Oui et maintenant vous vous rappellerez! A chaque fois que vous souriez, vous dites à la Lumière: "Continue ton voyage! Continue à faire de jolies choses et à rendre heureux les enfants!" Hein? Vous n'oublierez pas?

    _ Non, grand-père! C'est promis!

    _ Bien, y a maintenant votre maman qui vous appelle! A plus tard, les enfants!

    _ Au revoir, grand-père!"

    Le grand-père regarda affectueusement ses petits enfants s'en aller, puis lentement son visage se figea. Il savait que des hommes et des femmes pouvaient arrêter le voyage de la Lumière! Ils avaient ce pouvoir! Ils l'enfermaient et ne voulaient plus la reconnaître! C'était le drame de la haine et de la destruction! C'était le triomphe du chaos et de la mort!

 

                                                                                                                   III

 

    Niels Olsen, d'origine norvégienne, était un poissonnier de RAM, car il y avait encore quelques pêcheurs! Ceux-ci se frayaient un passage parmi les détritus, qui paradoxalement atténuaient l'effet des tempêtes, et ils arrivaient à trouver des zones moins encombrées, d'où ils ne ramenaient plus malheureusement qu'une seule espèce!

    C'était une sorte de poulpe mutant et dégoûtant, qui avait envahi les fonds! Sa chair gélatineuse et violette était acide et Olsen devait la préparer longuement, avant qu'elle ne perdît toute nocivité! Il avait de donc de rudes journées et maintenant il rentrait chez lui! Après le transport en commun, il marchait d'un air las quand il entendit: "RAM!"

    C'était un petit cri sec, comme un craquement! C'était d'ailleurs peut-être cela! Avec le vent qu'il y avait et la pluie qui à présent tombait, quelque chose derrière lui avait dû céder, mais le son se répéta plus près de lui, entre des poubelles semblait-il! Soudain, Olsen se figea, car il voyait une petite créature noirâtre... On eût dit un enfant sale et difforme! Elle leva une tête apparemment aveugle vers Olsen et prononça: "RAM", en découvrant ses dents jaunes!

    Le Norvégien était une force de la nature, mais il ne put rien faire contre l'horreur qui le gagna! Il traversa la rue et se mit à courir, mais il se rendait compte que la créature n'était plus seule: il y en avait d'autres qui se faufilaient sur le côté! Elles apparaissaient furtivement et étaient douées d'une agilité extrême! Dans sa peur, Olsen s'était perdu et il se retrouva dans un terrain vague, qu'il ne connaissait pas!

    Il glissa sur une butte boueuse et il fut mordu au pied! La douleur le fit grimacer, mais il parvint à chasser la créature à coups de pieds! Il se redressa, aperçut la porte d'un bâtiment et fonça vers elle! Derrière, le cri de RAM se multiplia comme un ralliement!

    Par chance, la porte n'était pas fermée à clé et Olsen entra dans le bâtiment! Il bloqua aussitôt la poignée, avec un court madrier qui se trouvait là! Ce fut un peu de répit et le Norvégien s'épongea le front! L'endroit paraissait désert et on n'entendait plus que la pluie tambouriner sur le toit!

    Pourtant, là-bas, au centre de l'édifice, il y avait une forme blanchâtre, troublante! Olsen s'approcha et son angoisse ne faisait que croître, car il suspectait quelque chose de terrible! C'était un adolescent, au corps d'albâtre! Il était nu et allongé sur une sorte d'autel, il mangeait mollement du raisin!

    Du raisin! Le Norvégien n'en avait vu que dans les livres! L'adolescent jeta sa grappe, d'un geste négligent, puis se mit debout! Il fit face à Olsen, qui recula bien qu'il fût de loin le plus fort! Le poissonnier allait de nouveau s'enfuir, mais, quand il se retourna, il fut cloué sur place! Toutes les créatures, qui le poursuivaient, étaient là... et il y en avait des centaines! Elles étaient muettes, immobiles, comme si elles attendaient des ordres!

    Olsen revint alors à l'adolescent, puis lentement il s'affaissa! Il tomba à genoux et demanda pitié à l'adolescent! Il pleurait, ce qui fit rire le jeune homme! "Oui, tu es mon esclave! s'écria celui-ci! Alors rampe! Rampe l'esclave!" Olsen fit ce qu'on lui demandait! Il se tortillait sur le béton, devant celui qu'il appelait maître! Mais l'adolescent, avec une moue de mépris, le repoussa du bout du pied vers la masse noirâtre des créatures!

    Elles n'attendaient que ce signal et elles se jetèrent sur Olsen, pour le dévorer, en criant: "RAM! RAM!"

 

                                                                                                             IV

 

    Jack Cariou se réveilla déboussolé: il avait encore mal dormi! Cela lui arrivait désormais presque chaque nuit! L'inquiétude le minait, mais RAM ne faisait rien pour arranger les choses! Il régnait dans la ville une tension constante, qui s'exprimait même par le bourdonnement des bâtiments!

    Cariou avait la sensation de n'être nullement reposé, mais il regarda sa montre et il devait se lever! Il habitait dans une seule pièce, si on ne comptait pas la cuisine et la salle de bains, et il recevait peu de lumière, comme la plupart des logements de RAM! Mais par ailleurs, ici, il n'y avait pas de tables conviviales, de divans moelleux pour accueillir le visiteur, ni de bibelots qui auraient suscité sa curiosité, voire son envie!

    Cariou ne disposait que d'une seule chaise et menait une vie solitaire! Seul un écran témoignait de sa relation au monde, car Cariou ne faisait pas vraiment partie de la vie de RAM! Il ne s'y retrouvait pas! Les joies, les préoccupations des autres lui demeuraient étrangères!

    Il sortit et immédiatement il fut saisi par le vacarme du trafic! Des véhicules décollaient, atterrissaient, fonçaient! Il y en avait de toutes sortes! Beaucoup étaient taillés et brillaient tels des diamants! La richesse s'affichait! Plus c'était gros et plus on en imposait! Des scoots effectuaient des acrobaties dans le ciel! Des surfers même rasaient Cariou!

    De temps en temps, une musique épouvantable couvrait le tout, mais le plus souvent c'était les sirènes d'ambulances qui déchiraient l'air! Elles représentaient les cris d'angoisse de RAM! Car la peur enlevait l'attention et on finissait dans un building! Cariou tombait subitement sur des gens perdus, à côté de leur véhicule accidenté! Pour eux, la vie ne serait plus la même!

    Cariou aimait marcher, même si le bruit autour ne lui permettait pas d'avoir une idée claire! C'était une question d'équilibre! Il sentait son corps exposé et devait s'efforcer de rester détendu et cet exercice n'était pas possible, quand on conduisait, à l'abri du regard des autres! Cependant, beaucoup d'hommes qu'il croisait portaient des matraques!

    C'était sans doute autorisé par la loi..., pour un usage essentiellement dissuasif et pourtant, les propriétaires de ces armes avaient un air menaçant et se posaient en maîtres! Les femmes également disposaient de fouets électriques! Elles les faisaient soudain claquer dans le vide et certaines en riaient, mais on sentait qu'elles étaient déterminées et dures!

    Cariou arriva dans une zone commerçante et il goûtait déjà son calme, quand le sol se souleva et la rue entière se torsada, de sorte qu'elle ne forma plus qu'une spirale, qui entraîna brusquement Cariou sur sa pente! Pour ne pas être happé, il se concentra sur une petite fleur, qui sortait d'une fissure! Il lui accorda toute son attention, il admira le violet doux de son pétale et l'or de ses minuscules anthères et le monde retrouva son aspect normal!

    Les murs étaient de nouveau bien droits et au-dessus courait le ciel tempétueux de RAM! Mais Cariou le savait mieux que quiconque: il venait de subir une attaque, une attaque psychique! Et il chercha des yeux qui en était l'auteur!

 

                                                                                                             V

   

    C'était un jeune gars adossé à une façade! L'air de rien, il consultait négligemment son Narcisse, un petit écran connecté à RAM et qui servait de source d'énergie! Cariou, qui s'approchait, songea un instant à s'en prendre à lui! Il commencerait par envoyer le Narcisse dans les airs, puis il giflerait cette jeunesse, comme pour la réveiller!   

    Mais, aux yeux des autres, il aurait été le seul agresseur! On l'eût jugé fou et dangereux! N'attaquait-il pas sans raisons quelqu'un de plus faible que lui et qui était à peine sorti de l'adolescence? Son compte aurait été bon! Pourtant, pour Cariou, la perversité du jeune gars ne faisait aucun doute et quand il passa devant lui, il lui fit sentir combien il n'était pas dupe, par toute la tension qu'il transmit à ce moment-là!

    Plus loin, il avait retrouvé son calme et sous une arcade, il entra dans un bâtiment et ouvrit une porte, sur laquelle une plaque disait: "OED, import-export"! En fait, depuis la montée des eaux, il n'était plus question bien entendu d'échanges avec l'étranger, puisque la ville était isolée et vivait en autarcie, mais ainsi personne ne venait solliciter la société OED, qu'on pouvait penser disparue!

    Cariou pénétra dans une salle d'accueil ordinaire, mais qui ne servait que de décor et après une autre porte, il se tint droit dans ce qui ressemblait à un cagibi! Là, un scanner, extrêmement sophistiqué, l'examina de la tête aux pieds, le reconnut et déclencha l'ouverture d'un panneau, qui menait à la véritable OED!

    Cariou salua ses collaborateurs les plus proches, Fahim Macamo et Andréa Fiala! Fahim Macamo était originaire du Mozambique, un pays d'une grande pauvreté, et il avait appris à fabriquer à peu près n'importe quoi, à partir de presque rien! C'était lui le "technicien" de l'OED, qui inventait des appareils utiles à l'entreprise et le numérique était son dada!

    Andréa Fiala était tchèque et psychologue! Elle avait la pénétration, la patience objective des nombreux érudits et philologues, qui avaient façonné l'histoire de sa nation! Elle gardait toujours une certaine tranquillité, qui rassurait et évitait les emballements!  

    "Tiens, regarde ça, Jack! dit Macamo. Je te présente le Narcisse dernier cri! Le N 10!"

    Cariou prit l'objet et aussitôt l'image le captiva! On eût dit les plis capiteux d'une robe rose et des slogans glissaient sur ses ondulations! Puis, l'image devint saccadée, avec des couleurs violacées, pour éclater dans une seule note d'or, comme si on était à un orgasme, et les applications usuelles apparurent!

    Cariou mit quelques secondes à s'en détacher, puis il se tourna vers Fiala: "Qu'est-ce que tu en penses, Andréa?

    _ J'ai réécrit tous les slogans... Tu vas voir, tu vas être édifié!"

    Cariou se mit à lire la feuille qu'on lui avait tendue: "RAM t'aime! Tu es sa merveille! Tu es sa force! Tu es sa lumière! RAM t'attend!"

    "Evidemment, rajouta Fiala, on excite les sens, ce qui amollit la vigilance, afin que le message pénètre mieux!

    _ Eh ben, mes enfants, répondit Cariou regardant tout à tour Macamo et Fiala, la machine tourne à plein régime!"

 

                                                                                                        VI

 

    Stan Harris regarda sa montre: le musée devait être fermé maintenant, il pouvait sortir! Il s'était caché dans les toilettes, en attendant la fin des visites, et il gagna sans bruit une longue salle, où tombaient par intermittences les rayons bleutés de la lune!

    Là, des vitrines montraient les vestiges d'une civilisation ancienne, mais les morceaux de poteries ou de tissus, l'une des premières écritures, des bijoux d'une surprenante beauté et même une momie au visage grimaçant n'intéressaient pas Harris! Au contraire, il était venu détruire tout cela!

    Pourquoi? Il n'en savait trop rien lui-même! Mais ici, tout l'agaçait! D'abord, il y avait la façade, devant laquelle il passait souvent et qui avait toujours cet air propre, avec ces gardiens sérieux et ces visiteurs très chics! Ensuite, l'intérieur l'avait rempli de dégoût, car il était entré une fois et il en avait profité pour repérer les lieux!

    Mais cet ordre qui régnait, comme s'il avait été immuable, ces bois cirés, ces explications à n'en plus finir ou encore ce silence respectueux lui avaient donné un sentiment d'étouffement, d'angoisse, qu'il allait maintenant faire voler en éclats!

    Il était comme ça! Il n'aimait pas ce qui était figé, reconnu par tous! Il avait l'impression qu'on amputait sa liberté, qu'on cherchait à le soumettre! Il avait alors besoin de détruire, de frapper les esprits! C'était plus fort que lui! D'ailleurs, il était déjà fier de certains de ses coups!

    Notamment, une nuit, il s'était joint à des voyous, qui rossaient un type à terre et quelle n'avait pas été sa sensation, quand  sa chaussure avait rencontré le corps mou! Il avait goûté la puissance!

    Mais il savait encore être plus personnel! Pendant des semaines, il avait attrapé des rats, car ils pullulaient sous RAM! Puis, il les avait lâchés dans une maternelle, créant la panique! Il y en avait eu de l'émoi! Le quotidien était bouleversé! Il triomphait!

    Cependant, cette nuit, il passait à un niveau supérieur! Finies les gamineries! Tout l'étage devait exploser et la ville en parler! Un maître était né! Il régla ses bombes incendiaires et se pressa vers une cage d'escalier! Sans difficultés, il émergea sur le toit et au bord du vide, un sourire aux lèvres, il se filma juste au moment où les vitres étaient pulvérisées, par des flammes qui montaient derrière lui!

    Qu'allaient dire les copains? et tous ceux qui suivaient son profil?  Mais soudain il se figea! Il n'était pas seul! Une ombre s'était détachée d'un conduit... Un gardien? Il n'allait pas être déçu! Harris prit son élan et d'un saut prodigieux, il se retrouva sur le bâtiment voisin! Cela aussi, il l'avait envisagé!

    Il se retournait déjà, pour se moquer du gêneur, quand celui-ci à son tour franchit le vide et toucha le toit pas très loin! "Oh! Oh! se dit Harris. Voilà un drôle de client! S'agit pas de moisir ici!" Dès lors, il demanda à son jeune corps tout ce qu'il pouvait donner! Il passait tous les obstacles, avec force et souplesse, comme s'il avait été question d'une danse!

    Il dégringolait, glissait, rebondissait et fut enfin dans la rue! Il avait semé le type! Sûr! Il se permit de siffloter! Il avait réussi son coup! Mais un grand gars lui coupa la route! Il le reconnut tout de suite, à cause de sa combinaison! Se voyant perdu, Harris reprit son rôle d'adolescent pleurnichard! "C'est pas moi, m'sieur! s'écria-t-il! J'ai rien fait!

    _ Oh si! c'est toi! répondit l'homme, qui frappa Harris, le plongeant dans l'inconscience!"

 
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