Dom fleuve!

  • Le 19/09/2020
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Fleuve dom

 

 

 

 

 

                                                                                                  "Mais c'est de la prévarication!"

                                                                                                                                      Topaze

 

    Mamadou Gnoka avait invité ses amis de l'OED, Sarah Taylor et Dieter Stein, dans son pays natal, la République du Congo, encore appelée Congo-Brazzaville! Les deux Européens, à l'aéroport, s'étaient brusquement sentis dans un autre monde! L'air était chaud, parfumé et sur la route menant à la ville, on découvrait une végétation différente, mais surtout des couleurs et des attitudes incroyables!

    Des femmes marchaient sur le bas-côté et resplendissaient tels des arcs-en-ciel! Elles avaient le corps droit et portaient au sommet de leur tête des légumes ou quasi un tronc d'arbre! Leur sourire éclatant apparaissait très vite et d'une manière générale, le visiteur allait de surprise en surprise! Un camion par exemple avait dans sa benne un autre camion, ou un bus passait sans pare-brise!

    Des cases de plus en plus nombreuses signalaient la proximité de la ville, dont le centre était constitué de bâtiments modernes, ce qui faisait bien entendu la fierté de la nation! Mais le dépaysement était extrême et il fallut un certain temps à Sarah et à Dieter, pour s'accommoder de tous les changements du quotidien! L'eau, notamment, reprenait toute son importance, ne serait-ce que par les moyens déployés pour lui donner du débit! Dans la maison de Gnoka, elle devait d'abord monter dans un réservoir situé en hauteur!

    Mais les deux visiteurs aimaient ce qu'ils voyaient! les véhicules qui cahotaient sur le chemin! les enfants qui allaient à l'école, indifférents à la poussière! des citronniers ou des papayers dans le jardin! des exploits! Comment, par exemple, un policier pouvait-il sortir de sa case, où on n'y voyait goutte, avec un uniforme impeccable? C'était tout un peuple qui chaque matin s'éveillait, avec la plus belle énergie, malgré la pauvreté!

    "Demain matin, dit Mamadou à ses invités, nous partirons pour la cambrousse! On va profiter de places libres dans un avion, qui va dans un district où j'ai de la famille! Hein, qu'en pensez-vous?"

    Les deux Européens ne se le firent pas dire deux fois, tant ils rêvaient de découvrir la nature africaine; eux qui jusqu'ici n'avait vu que les abords de la ville; et effectivement ils ne furent pas déçus!

    Le lendemain, à l'aube, le petit avion décolla et très vite le soleil dispensa ses rayons! Des marais miroitants apparurent, tels des éclats de mica! Mais le plus spectaculaire, ce qui rendit muet nos passagers, ce fut la savane qui s'étendait à perte de vue, comme la mer, et qui comme elle était vierge de toute habitation!

    Une campagne sans civilisation leur paraissait proprement sidérant et là-dessus glissait paresseusement l'ombre des nuages, amplifiant ainsi, s'il était encore possible, une impression de majesté, de grandeur imperturbables et infinies! Seuls quelques rochers, d'un ocre rouge, se détachaient, à l'instar de vieilles dents, qui rappelaient l'incroyable ancienneté de ces sols!

    Le vol durait , comme si l'avion franchissait l'océan, et les hommes n'en avaient l'air que plus petits! Mais enfin on aperçut le lit argenté d'un fleuve et on perdit de l'altitude, pour atterrir rudement sur un terrain étroit et herbeux! On était arrivé!

    Tout le village était là, car il était bien isolé et assistait à un événement, d'autant que l'avion transportait également un médecin! Celui-ci fut vite emmené vers les malades, car c'était les soins qui manquaient le plus! Mais une petite foule resta pour Sarah et Dieter: on les regardait avec une attention quasi extraordinaire, qui mêlait aussi bien la curiosité que la bienveillance!

    Il y avait là non seulement des enfants, à peine vêtus, qui ne les quittaient pas des yeux, mais aussi des infirmes, qui n'hésitaient pas à se traîner, pour avoir leur place! Jamais peut-être Sarah et Dieter n'avaient senti une telle chaleur, un tel désir de connaître, alors que la pauvreté des lieux était évidente! Les cases y étaient encore plus rudimentaires qu'ailleurs! Mais qu'importe! On accompagnait les visiteurs, en étant gonflé de vie!

    La barrière de la langue finit tout de même par les laisser plus libres et Sarah alla se promener... Elle était exceptionnellement émue, tant le village lui semblait un miracle accroché au fleuve! Il était si petit, il avait l'air si fragile, à côté de l'immensité qui l'entourait! Comme la vie ici devait être bien solidaire, pour résister!

    Sarah connaissait l'état d'esprit particulier de quelques îles, mais elles étaient déjà si civilisées! Un noyau aussi soudé et fervent, c'était une telle découverte pour l'Anglaise, qu'elle marchait à pas comptés, comme sur la lune!

    Puis, ce fut le déjeuner et le traditionnel poulet au riz, qui avait dû courir toute sa vie, pour avoir une chair aussi ferme! Mais on avait donné aux visiteurs le meilleur de ce qu'on avait et ils devaient donc faire honneur au repas! "Le chaman veut te voir, Sarah! déclara Mamadou.

    _ Le...? fit Sarah, qui se léchait les doigts.

    _ Le chaman, le guérisseur, le sorcier quoi!

    _ Ah bon! Et tu sais pourquoi il veut me voir?

    _ Non, mais il t'a remarquée à ta descente d'avion.. D'ailleurs, toi aussi t'as pas dû l' rater!

    _ Quoi?

    _ Oui, c'est l'homme qui tire sa petite caisse! Il a eu les jambes arrachées par une mine, à une autre époque!"

    L'après-midi, on entra donc dans la case du chaman, où il faisait noir comme dans un four! Mais ici des objets, que jette par tonnes l'Occident, étaient considérés tels des trophées ou des trésors! Un sachet plastique était réutilisé des milliers de fois et gardé avec un soin extrême! Une vieille armoire, fabriquée en série ailleurs, était devenue une marque de dignité! Des embouts de canalisations, qui ne pouvaient servir, semblaient briller dans un coin avec l'éclat des diamants!  

    Devant ce décor, les visiteurs devinrent plus humbles et le chaman se mit à parler. "Il utilise un dialecte, expliqua Mamadou qui traduisait. Il te dit Sarah que tu as le visage comme une fleur... et qu'en toi se développe l'"Esprit"! Il se réjouit pour toi!

    _ Ah?

    _ Il rajoute que tu dois aller voir le fleuve, ce soir, car il te parlera! C'est le fleuve qui lui a tout appris!

    _ Et les crocodiles? demanda Dieter.

    _ Y a trop de courant ici, pour eux! répondit Mamadou. Sarah, nous partons demain... Donc, tu auras le temps, si tu le veux, de faire ce que dit le chaman!

    _ Euh...

    _ Ne fais pas cette tête, Dieter! On trouvera bien quelque veuve désireuse de t'accueillir pour la nuit!"

    Sarah n'avait pas répondu à Mamadou, tellement elle était troublée: son visage donnait du plaisir au vieil homme, de sorte qu'il en riait! Mais elle, depuis longtemps, menait un combat âpre et elle se sentait perdue, vulnérable et même dolente! Ce qu'elle avait suscité lui était étrange!

    Le soir, toutefois, elle se rendit au bord du fleuve et la clarté lunaire était si vive que Sarah avait l'impression de marcher sur du givre! Le fleuve aussi avait sa blancheur, car il charriait de grandes nappes de pollen, qui lui-même brillait! Cependant, c'était le silence qui surprenait le plus l'Anglaise: il était aussi doux que profond et jamais peut-être les oreilles de Sarah  n'avaient goûté une telle sensation de velours, qui confinait à la magie!

    Seul le fleuve glougloutait à gros bouillons et soudain effectivement il parla à Sarah! Elle vit l'humanité se débattre, cherchant toujours à se développer et se débarrassant de tout ce qui l'en empêchait! C'était bien normal, mais elle restait également prisonnière de sa domination et donc de ses peurs! Elle ignorait même son égoïsme et pourtant elle haïssait dès qu'il était menacé et elle était même prête à tuer, pour le défendre!

    Ainsi, les hommes passaient devant la lumière de la vie, sans la voir, et disparaissaient dans la nuit, comme les particules du fleuve, sous les yeux de Sarah! Emportés par leur domination, leur orgueil, ils méprisaient la beauté du monde, alors qu'elle pouvait les sauver! A ceux qui savaient l'admirer, celle-ci affirmait avec force l'existence de Dieu et sa paix!

    Le fleuve courait et autour tout était parfaitement tranquille! Sarah repensa également aux nuages qui glissaient au-dessus de la savane et à leur calme majesté! Alors, elle pleura! Elle pleurait de tristesse, mais aussi de joie! Elle songeait avec douleur à l'immense gâchis des hommes, mais jamais non plus la présence de Dieu ne lui avait paru aussi proche, aussi évidente!

   Elle fut déchargée de son fardeau! Elle rayonna! Elle fut libre, à l'infini! Elle fut comblée d'amour et ses derniers sanglots étaient comme la rosée sur les roses!

   

    Cependant, en France, Dan Curtis se rongeait les sangs! Il devait louer une voiture et il savait ce qui l'attendait! La seule agence, qui ne pratiquait pas de tarifs prohibitifs, se trouvait dans un hypermarché et donc il y avait d'abord les lieux! C'était tellement grand, qu'on avait l'impression que les gens se trouvaient dans une autre ville! Evidemment, quand on était réduit soi-même à la taille d'un atome, on se sentait facilement perdu et même méprisé! Par conséquent, à l'accueil du service, chez les clients comme du côté du personnel, il y avait de la tension, de la peur et de l'agressivité! Comme l'architecture semblait écraser tout le monde, on ne respectait personne!

    C'était une véritable épreuve de force, que de louer une voiture! Il y avait surtout trois DTN (ou peu s'en fallait!) derrière le guichet! Trois femmes! L'une, massive, avec des épaules carrées, essayait d'emblée de vous détruire! Elle n'aimait pas son travail et sa haine débordait! Elle cherchait la faille du client et triomphait si une erreur, une pièce qui manquait par exemple, rendait la location impossible! On suait à grosses gouttes devant elle, alors qu'elle perçait le bateau qui la faisait flotter!

    Une autre luisait de satisfaction, comme un biscuit au beurre! Elle était la discrétion même et ne se trompait jamais! Vous pouviez lui faire un compliment et il était accueilli comme par une tombe! L'univers de cette femme était une quatrième dimension, dans laquelle il valait mieux ne pas s'aventurer! Ce qu'on en apercevait, c'était des soleils morts, une banquise éternelle, que parcouraient d'étranges traces de sang! Et toujours ce petit sourire glacial et suffisant!

    La dernière décrochait le pompon! Elle avait la tête comme une hache et pensait encore séduire! Son attitude était celle d'une directrice, mais elle perdait les clés, les dossiers et même les voitures! On partait une heure plus tard, épuisé, et on n'avait qu'une envie, se garer sur le bas-côté et dormir deux siècles! Elle avait la haine tenace, à mesure que son incurie se révélait! C'était la détresse d'un cœur solitaire, au-dessus d'un chaos de carrosseries!

    Mais Dan devait y aller, car, toujours entre deux voyages, il ne disposait pas de véhicule et il avait promis à sa nouvelle collègue, Diane, qu'il allait l'aider à protéger ses chevaux! Ceux, qui vraisemblablement se trouvaient derrière les mutilations, ne pouvaient qu'être des DTN épouvantables! Ils étaient devenus les maîtres de la nuit, même si beaucoup de questions restaient en suspens!  

    Dan prit un transport en commun et à côté de lui, un couple s'embrassait! "Pourquoi ai-je ouvert les yeux? pensa Dan. Qu'ai-je à faire des Doms? N'est-il pas là le bonheur, dans l'abandon avec un autre?"

    Dan se mit à rêver et croisa le regard de quelqu'un qui semblait lui dire: "Toi, tu perds rien pour attendre! Quand le moment viendra, on s'occupera de toi!" Cette haine réveilla Dan et il eut d'autres réflexions: "Au fond, nous sommes seuls et c'est normal! songea-t-il. Ne voulons-nous pas nous connaître, être nous-mêmes?  Il nous faut nous séparer des autres, de même que nous avons quitté le ventre maternel! Ce n'est qu'en tenant debout sur ses propres jambes, qu'on peut être lucide, voir sa domination et la neutraliser!"

    Ainsi vivaient et pensaient les hommes, quand ils ne faisaient pas le mal!

 

 
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