Do do l'enfant Dom!

  • Le 20/02/2021
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Le bouquet bleu

 

 

 

                                                           "Là!

                                                           _ Quoi là?

                                                           _ Fantômas!"

                                                                       Fantômas

 

 

    Journal de Jack Cariou, station Charcot, mardi 16 février: le temps s'améliore un peu... Peut-être pourrons-nous bientôt sortir, nous dégourdir les jambes? Mais nous restons toujours sous la menace du virus... D'ailleurs, je m'aperçois ce matin combien l'énervement monte depuis quelques jours, chez tout le monde... et cela m'amène à me demander pourquoi!

    Qu'est-ce qui fait que nous perdons nos nerfs? C'est que nous voyons que rien ne change, n'est positif! Nous avons l'impression d'être face à un mur, contre lequel, gagnés par la colère, nous nous mettons à frapper! C'est l'angoisse qui nous pousse et le monde autour reçoit nos plaintes et notre agressivité!

    Heureux alors celui qui peut davantage s'apaiser, en se demandant moins à lui-même, en se reposant, car il a moins besoin de satisfaire son amour-propre, puisqu'il prend plus de plaisir au quotidien! En effet, fustiger les uns ou accabler les autres ne fait que rajouter au chaos ambiant! Terroriser n'est jamais constructif!

    Le sage se calme à mesure que les autres s'emportent et c'est ce qui prouve le bien-fondé de sa voie! L'angoisse entraîne le plus grand nombre, quand lui demeure tel un rocher! Il apprécie encore le jour, au milieu des cris et des invectives! Et ce n'est pas une question de temps libre et d'argent! C'est bien l'amour-propre souffrant ou l'égoïsme instable qui ont le plus de besoins et qui sont donc les plus sujets à la colère et au mépris!

    C'est aussi pour cela que la plupart veulent garder leurs illusions et fuient tout ce qui pourrait les inquiéter, les faire se remettre en question! Ils se trouvent déjà pauvres et il faudrait encore en céder! Pas question! Il vaut mieux croire sa haine ou son indignation justifiées! Cela donne de l'air! Mais, dans ce cas aussi, on ne voit jamais vraiment les aspects les plus sombres de la réalité et on ne peut ni guérir, ni se prémunir contre les prochaines catastrophes!

    Ceci est encore valable pour les journalistes, ne leur en déplaise, car ils forgent une société dans laquelle ils se retrouvent, malgré certains événements, qu'ils choisissent d'ignorer, ou plus exactement qu'ils refoulent! Nous voyageons sur un bateau imaginaire et seules les tempêtes nous forcent à nous changer! C'est dire combien notre évolution est longue et nous coûte cher!

    Mais, c'est ainsi: nous ne voulons voir que ce qui nous arrange!

    Mercredi 17 février: le vent est tombé, mais je suis réveillé par une musique, que je perçois comme une agression... C'est déjà assez dur comme ça! Je me lève mécontent et me dirige vers la source du bruit, pour le diminuer!

    Dans le couloir, je m'aperçois que la musique vient du secteur de Douguet... Il me faut passer un embranchement et plus j'avance et plus je trouve le son anormalement fort! C'est comme si on avait subitement abandonné la station, en laissant certains appareils fonctionner...

    La porte de Douguet est entrouverte... et il gît sur son lit! Il a des pansements sur le visage, mais ce sont ses yeux qui me frappent! Ils sont figés dans une surprise horrifiée et ne regarderont plus personne! Une main serre la télécommande, ce qui explique le volume de la chaîne... Je m'approche un peu, mais pas trop..., car j'ai déjà vu cette expression: elle était sur Mercier, le premier mort du virus!

    J'éteins la chaîne et je bute contre Friant! "Alors, mon salaud, t'es venu finir le travail!" me dit-il. Derrière lui se tiennent le professeur Morizur et même Sophie Prémel, qui me regarde avec de la haine, car elle croit sans doute toujours que je l'ai "snobée"!

    Morizur est un grand type, maigre et froid, quasi hautain! Il doit se faire une haute opinion de lui-même et avoir beaucoup d'ambitions! C'est un dominant et qui trouve juste de l'être! Pour lui, il y a les élites et les autres! Dans son esprit, c'est une question naturelle d'intelligence, de capacités! Il est né du bon côté, voilà tout!

    Mais l'intelligence n'a pas grand chose à voir avec le QI! Elle est difficilement quantifiable et même on peut vouloir ne pas la voir, comme je l'ai écrit plus haut! On comprend qu'il y ait une intelligence basée sur la logique et la raison, mais il en existe une autre qui émane de la sensibilité, qui rend la perception du réel extrêmement fine! Celle-là aussi utilise bien sûr la raison, pour atteindre l'entendement, mais elle est d'abord due aux sens, à l'instar de l'animal qui reconnaît un danger, avant même qu'il ne soit vraiment menacé!

   On peut ainsi juger du degré d'oppression d'un dominant, car chacun transmet quelque chose! Et certains ou certaines sont déjà des tyrans à cent mètres! Et c'est une forme d'intelligence que de s'en apercevoir, car cela évite de devenir une victime! Cette intelligence due au sens, et qui est peut-être plus primitive que celle du raisonnement, est un formidable atout pour la survie! Elle permet de comprendre le monde bien avant la parole! Mais le terme d'intuition ne lui convient pas non plus...

    "Vous vous trompez, Friant! J'ai entendu de la musique et je suis venu voir... et j'ai trouvé Douguet comme ça, mort!

    _ Mort? Il est mort? Vous l'avez tué! criait maintenant Friand, en essayant de voir par-dessus mes épaules...

    _ N'approchez pas, Friant! fis-je en bloquant le passage! Le malheureux a été tué par le virus! 

    _ Le virus? Encore vos histoires!

    _ Il a le même air que Mercier, quand celui-ci a été frappé!

    _ Hum! Il a peut-être raison, Friant, dit à son tour Morizur. Il vaut mieux être prudent!

    _ Je peux sans doute prouver que c'est le virus, car je dispose de tests!

    _ Des tests? Mais personne n'en a parlés!

    _ Je sais, c'est Gestin qui me les a confiés! Mais, sortons! Je vous propose de revenir effectuer le test, quand nous serons équipés!"

    Avant de continuer mon récit, il me faut revenir sur mon dernier échange avec le médecin de la station...

    Jeudi 18 février: le temps est sec... et la température à l'extérieur est de moins quinze degrés! Quand on regarde les choses par le hublot, on ne peut s'empêcher d'éprouver un léger malaise, car ce qui nous protège du froid nous paraît bien mince! Mais baste, il s'agit bien de vivre!

    Gestin a peut-être effectivement découvert un vaccin... Il faut dire que le "labo" ici est très performant! Mais il est nécessaire d'attendre, d'examiner s'il y a bien une immunité et je suis devenu le cobaye de Gestin! Pour l'instant, je ne ressens pas d'effets secondaires, mais suis-je vraiment protégé contre le virus?

    De son côté, Gestin résiste à la maladie, notamment en prenant des médicaments, sa "potion" comme il l'appelle, et il a mis au point des tests! Ce sont de longs bâtonnets, terminés par du coton, qu'on enfonce dans le nez et qui prennent la couleur bleu, au contact du virus! J'en ai plusieurs sur moi et j'explique leur fonctionnement à Friant...

    Puis, je prends un malin plaisir à lui "tisonner" le nez, de sorte qu'il s'agite et lève un bras pour m'arrêter! Mais je ressors le test et il est négatif! Friant est soulagé, mais en même temps il doute... Cependant, je ne lui laisse pas l'occasion de m'appliquer le même traitement... Je lui montre seulement une pochette avec mon nom et un coton blanc, ce qui doit le convaincre de ma bonne santé, et, comme je ne mens pas, nous nous mettons à nous habiller.

    Vêtus de combinaisons protectrices, nous entrons de nouveau dans la chambre de Douguet... et inutile de dire qu'il n'a pas bougé! Il a toujours ces yeux terrorisés, mais, sans m'apitoyer, je lui enfonce dans le nez un test et il réapparaît bleu! Friant acquiesce et nous nous en allons. Le corps sera enlevé plus tard, pour rejoindre ceux qui déjà "méditent" dans la chambre froide!

    Tout le monde, en fin de compte, est réuni dans le réfectoire... "Je n'ai que quelques tests! dis-je. Il y en aura d'autres, mais Gestin fait ce qu'il peut!

    _ Et qui nous dit que ces tests sont valables? fait quelqu'un.

    _ Friant était avec moi chez Douguet... Il peut témoigner!

    _ C'est vrai, j'ai vu la différence!"

    Il y a un murmure... "La priorité, c'est de tester les personnes qui étaient le plus en contact avec Douguet!" repris-je. Silence...

    "Voyons voir... Il y a bien sûr Friant... et il est négatif! Mais qui d'autres?

    _ Morizur, Prémel certainement! dit Friant lui-même!"

    Je vois les deux intéressés se raidir... "Hum! C'est-à-dire... fait Morizur.

    _ Jamais vous ne me mettrez une saloperie pareille dans le nez! s'écrie verte de rage la belle Prémel."

    Derrière les autres s'écartent... "Friant..." fais-je et tous les deux, encore vêtus de nos combinaisons, nous faisons asseoir celle qui pourrait être mannequin et qui très sérieusement est ici en tant que biologiste! Elle se débat et son corps élastique s'avère particulièrement vigoureux! Mais enfin sa tête est immobilisée et mon bâtonnet disparaît dans sa narine frémissante!

    Malgré la situation, je fais tout pour ne pas paraître brutal, car je respecte toujours la beauté et l'homme cède naturellement à la femme, car elle représente potentiellement l'avenir, la survie de l'espèce!

    Prémel a sans doute senti mes égards, puisqu'elle se calme et je crains maintenant lui avoir dévoilé quelque faille, mais le test est négatif et la jeune femme se libère... Nous nous tournons alors vers Morizur, qui hésite et qui a sans doute peur que le moment l'humilie devant les autres! N'est-il pas le chef?

    "Allez, professeur! fais-je. Vous savez bien que c'est nécessaire! Tenez, c'est Friant qui va vous tester!

    _ Eh bien, oui, hum! dans ce cas..."

    Ici, Morizur redevient un dominant: il s'assoit volontaire sur la chaise et met courageusement sa tête en arrière. Je laisse Friant opérer... Le bâtonnet roule entre ses doigts et sa couleur bleue est montrée en pleine lumière! C'est la stupeur! "Ce n'est pas possible! s'écrie Morizur. Je... je ne ressens aucun symptôme!

    _ Vous devez donc être asymptomatique! lui dis-je. Mais vous transmettez tout de même le virus!

    _ Mais.. mais...

    _ Il est indispensable que vous gardiez la chambre pour le moment, à moins que vous ne vouliez contaminer tout le monde! Gestin vous fera donner les médicaments qu'il utilise lui-même!"

    Morizur est assommé et il se laisse emmener par Friant... Les autres me regardent comme si j'étais le diable en personne... et je suis toujours surpris par notre enfantillage!

    Nous sommes là avec toutes nos histoires, sur une toute petite planète perdue dans l'espace, alors que nous mourons les uns après les autres, et pourtant cela ne nous choque pas, ne nous interpelle pas!

    C'est comme si nous étions dans un train à grande vitesse, sauf que le réseau ferré n'existe pas!

    Combien faut-il de domination, pour ne pas sentir la spiritualité nécessaire?

 
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