diable

  • Paschic (15-19)

    R32

     

     

             "Eh! Mais dis donc!" Si tu m'avais dit ça, j' rais pas allé m'empaler sur les Djian!"

                                                                 Flag

     

     

                                                  15

    Paschic a trouvé une case dans le Labyrinthe, où il est heureux ! Il a un uniforme bleu, un chef et tient un balai ! Le chef passe le matin, forme des équipes et dit : « Vous, vous faites ce secteur ! Vous autres celui-là » et ainsi de suite ! Paschic est tranquille : il sait ce qu’il doit faire… et il commence son travail le cœur léger ! Il va ni trop vite, ni trop lentement ! C’est bien fait, en accord avec les horaires ! Quand la journée est terminée, la tâche elle aussi est finie et on peut parler d’une vie harmonieuse, en règle, avec un salaire, des cotisations… Jamais Paschic n’a été aussi paisible !

    Ses idées elles-mêmes ont changé, se sont simplifiées… Paschic est désormais d’accord avec tout le monde ! Il plaint ses collègues qui sont restés ombrageux, amers ! Mieux, il ne les comprend même plus ! Lui se distrait en jouant au tiercé, il espère gagner et cela l’occupe tout entier ! Ce jour-là est particulier, car le chef annonce la visite de la Machine dans la ville ! C’est un honneur et même un bonheur ! La parfaite sécurité qu’éprouve Paschic est bien entendu l’œuvre de la Machine et il lui en est pleinement reconnaissant ! C’est le pouvoir de la Machine qui assure la stabilité du pays !

    A l’heure dite, Paschic, libéré exceptionnellement de son travail, est sur le parcours de la Machine… Comme les autres, il est enthousiaste et crie : « Vive la machine ! Vive la Machine ! » L’ambiance est à la fête : on jette des cotillons et la Machine sourit devant sa population ! Le cœur de Paschic se gonfle de joie et il est abordé par Lapsie, qui le reconnaît et qui fait partie des collaboratrices de la machine… « Alors, Paschic, tu as l’air heureux, n’est-ce pas ? dit-elle.

    _ Oui, oui, c’est un jour merveilleux ! Vive la Machine !

    _ Ah ! Ah ! Où sont tes cauchemars d’hier ? Tu vois, en travaillant sur soi, on arrive à s’intégrer, à goûter le bonheur !

    _ Bien sûr, j’étais égoïste et aveugle ! victime de mes phobies ! J’ai maintenant quelqu’un dans ma vie… et on va sans doute se marier et avoir des enfants !

    _ Toutes mes félicitations, Paschic !

    _ Vous savez, c’est un peu grâce à vous et à la psychologie que j’ai pu m’en sortir et je vous en remercie !

    _ Merci, Paschic, mais je peux peut-être faire encore davantage pour toi ! Je vois que tu as la première barrette du balayeur… Je peux demander que tu obtiennes la deuxième !

    _ Non, c’est pas vrai ! Vous feriez ça ? Mais ce serait le paradis !

    _ On en reparle après le discours de la Machine, si tu veux bien… Sais-tu qu’il y a un feu d’artifice ce soir ?

    _ Mais oui, j’y serai avec tous ceux que j’aime ! Pour rien au monde je ne raterai ça ! »

    Paschic se rend sur la grande place, pour écouter le discours de la Machine… et son apparition déclenche une ferveur délirante ! Puis la machine impose le silence, par un large mouvement du bras… « Sororité, mes amis, dit-elle. La route a été longue, n’est-ce pas ? Mais nous voilà unis ! Nous voilà en sécurité ! Nous voilà une force ! (Acclamations!) Nous voilà animés par le même but, celui de notre bonheur, celui de la stabilité, de la paix, celui de ne constituer qu’une seul et même famille ! (Acclamations!) Naguère, l’homme opprimait la femme, mais ces temps sont révolus ! L’homme, dressé par la femme, sert aujourd’hui notre grande cause : donner un avenir radieux à nos enfants !

    Cependant, vous vous en doutez, le travail n’est pas terminé ! Nos ennemis restent nombreux et ils n’ont qu’un seul souhait : nous détruire ! Nous ne les laisserons pas faire ! Nous nous en protégerons et nous les vaincrons ! (Acclamations!) Ils sont malheureusement partout ! Il y a encore des hommes qui méprisent les femmes ! (Huées!) Ceux-là nous en faisons notre affaire, ils rentreront dans le rang ! La femme est le futur, elle doit régner ! Mais les ennemis peuvent prendre toutes les formes ! Ce sont les pays jaloux ! les idéologies décadentes, lâches, qui sapent l’autorité, la force, l’ordre ! Nous ne vaincrons pas sans ordre ! Il est primordial ! Mais l’ordre, c’est vous ! C’est vous la force, à condition que nous restions unis et que chacun fasse son devoir ! Vous appartenez au parti et vous avez votre rôle à jouer ! Je suis le chef et vous m’obéissez ! Vous êtes la main et je vous guiderai ! Vous êtes le feu et je vous dirigerai !

    Malheur à nos ennemis ! Malheur à leurs femmes et à leurs enfants ! Nous serons sans pitié, si on nous empêche d’être heureux ! Pas vrai les amis ? »

    A cet instant, Bona crie : « Vive la Machine ! Vive la machine ! » et la foule l’imite, y compris Paschic, qui hurle à tue-tête, grisé ! Il est heureux, il n’est plus seul, il fait partie d’un groupe et sa vie a un sens !

                                                                                                   16

    Paschic rentre chez lui, heureux, rayonnant : quel beau discours de la Machine ! Et tous ces gens qui sont ses amis ! Et le feu d’artifice ! Et la deuxième barrette promise par Lapsie ! Paschic se voit déjà balayeur de deuxième classe, donnant des ordres aux premières classes ! Qu’avait-il naguère à s’inquiéter, à se tourmenter ? Ah ! Quel monstre d’ingratitude n’avait-il pas été à l’égard de la Machine ! La vie est simple, quand on ne se regarde pas trop !

    Paschic sifflote et malheureusement s’égare dans une rue sombre… En fait, il n’y a pas fait attention, mais il a de nouveau changé de case dans le Labyrinthe… et le voilà dans un coin noir et humide ! Une petite voix faible s’échappe des ténèbres : « Pitié ! Pitié ! » fait-elle. Paschic s’approche et découvre un vieillard exsangue, sur des cartons ! C’est bien triste, mais Paschic ne peut pas sauver le monde… et il a bien d’autres choses à faire, notamment retrouver ses douces espérances, celles qu’il caresse à la lumière de son foyer ! « Pitié ! Pitié ! répète le vieillard.

    _ Ouais, ouais ! réplique Paschic. Mais il faut qu’ j’y aille ! Tiens, c’est tout ce que j’ai sur moi !

    _ Ne m’abandonne pas, par pitié ! J’ai été brisé par la Machine !

    _ Ah ! Ah ! Voilà le joli refrain du loser ! Moi aussi avant, je me plaignais comme toi ! Mais j’ai été guéri ! Je sais que la Machine est bonne… et on le sait quand on apprend le prix des choses… et la valeur du travail ! Le nouveau Paschic est arrivé ! Désormais, je suis responsable, bientôt chef de famille et je me dresserai dans l’aube naissante, en disant : « Voilà le jour qui commence… et c’est une joie ! »

    _ Co… Comment ? Tu ne me reconnais pas, Paschic ?

    _ Ah ? Parce qu’on pourrait se connaître ? J’ bosse, moi ! J’suis rentré dans l’ rang ! J’ suis plus un faiseur d’histoires !

    _ Mais… mais je suis ton rêve, Paschic !

    _ Hein ? Quoi ?

    _ Quand tu étais enfant, tu vivais avec moi, sous la même chaumière ! Tu t’en rappelles pas ?

    _ Pfff ! C’est loin tout ça !

    _ Évidemment, tu étais bien jeune à l’époque ! Mais nous vivions heureux ! Notre village était situé dans une vallée verdoyante… On sortait et on marchait parmi les marguerites ! Tu te rappelles du ruisseau… Il faisait tourner notre petit moulin… et les oiseaux chantaient tout autour ! Quelle vie magnifique nous était promise ! Je me souviens que tu étais amoureux d’une fille aux cheveux d’or ! Je me trompe ?

    _ Hum.. peut-être pas… Je… je revois certaines choses…

    _ Bien sûr ! Mais tu as été traumatisé le jour de l’attaque !

    _ L’attaque ?

    _ Oui, un jour, les forces de la Machine ont détruit le village ! Tout a brûlé et nous avons été séparés ! Toi, tu as été pris en esclavage… et moi, j’ai dû m’enfuir dans la forêt ! J’avais reçu un coup d’épée en plein front et j’ai erré, erré !

    _ Ce n’est pas vrai ! Mon rêve est avec moi ! Et la Machine est bonne ! Elle m’aime ! C’est grâce à elle, si je peux manger, m’habiller, ne pas être comme toi : perdu, sale et seul !

    _ Pourtant, ce que je te dis est vrai ! C’est moi, ton rêve !

    _ Tu veux me rendre triste ! Tu veux que je pleure, en pensant combien la Machine est méchante !

    _ C’est l’égoïsme de la Machine qui nous a brisés !

    _ C’est faux ! Le remède au mal est en nous ! C’est Lapsie qui me l’a dit ! Je ne veux pas pleurer sur mon rêve perdu ! Je ne veux pas de la nuit et du froid ! Je ne veux pas voir les gens haineux et égoïstes ! Je veux rêver ! Je suis heureux !

    _ A ta guise, mais la Machine ne te laissera pas tranquille ! Elle a besoin de toi comme esclave ! Tu dois nourrir son rêve, en étant soumis ! Son rêve, c’est de commander, sentir sa supériorité !

    _ Non, non et non ! Lapsie m’a dit…

    _ Elle aussi est une machine !

    _ Je veux être intégré ! être comme tout le monde !

    _ Sais-tu pourquoi la machine a détruit notre village ? Mais parce qu’elle te méprisait Paschic et elle te méprise toujours ! Elle te voit comme une lavette !

    _ Salopard !

    _ Paschic, la lavette ! Ah ! Ah ! Paschic, le demeuré ! Le paillasson de la Machine ! »

    Mais Paschic n’écoute plus ! Il court dans le noir, en se bouchant les oreilles !

                                                                                                        17

    Paschic a rejoint ses camarades travailleurs, mais, encore troublé parce que vient de lui dire son « rêve », il balaie avec deux fois plus d’ardeur, jusqu’à ce qu’un collègue lui demande : « Paschic, tout va bien ?

    _ Ouais, ouais…

    _ Dis donc, t’es un gars apprécié ici, mais tu pourrais peut-être t’engager un peu plus…

    _ Qu’est-ce tu veux dire ?

    _ Eh bien, tu pourrais adhérer au Parti…, d’abord parce que tes droits seraient défendus et ensuite, tu travaillerais à notre grand idéal !

    _ C’est quoi, votre grand idéal ?

    _ Eh bien, nous, nous sommes des travailleurs, des prolétaires et nous sommes exploités par la classe dirigeante, celle des capitalistes ! Ce à quoi on veut arriver, c’est que c’est nous, les travailleurs, qui gouvernions, que nous soyons tous égaux et des camarades ; la richesse étant partagé entre tous !

    _ Moi, je veux bien, du moment que je ne suis plus seul, et avec vous, mes camarades ! Et puis l’idée du méchant représenté par le capitaliste et qu’il faut abattre, c’est pas pour me déplaire !

    _ Bon, très bien…

    _ Non, parce que je t’ai pas dit, mais j’ viens d’ rencontrer une créature, par là-bas, dans le noir, sur des cartons ! Elle se prétend mon rêve ! Elle dit que la Machine a bousillé ma jeunesse, car, tiens-toi bien, toujours d'après elle, nous serions tous égoïstes, riches ou pauvres, depuis la naissance, du fait de notre origine animale !

    _ Quelle idée ! Nous, nous voulons le bien !

    _ C’est exactement ce que j’ai répondu ! que je ne voulais pas entendre ces salades ! Sinon y a plus d’équipe ! Faut ouvrir les yeux et se retrouver seul ! Et ça, moi, j’en veux plus ! pour rien au monde ! Tu m’assures que ce sont les capitalistes, les méchants !

    _ Promis juré !

    _ Et donc, toi, tu es un responsable du Parti, mais tu ne te sens aucunement supérieur à moi, ni même aux capitalistes ! Tu travailles uniquement pour la justice ! 

    _ Il faut bien diriger… et puis, j’ai plus d’expérience que toi…

    _ Mais tu n’as aucun plaisir à commander ? Je pourrais tout aussi bien te donner des ordres…

    _ J’imagine que oui, si tu le mérites…

    _ Ne sommes-nous pas tous des camarades ? Tu comprends, j’ voudrais surtout pas que mon rêve ait raison ! Et ta voiture, tu me la prêtes, vu que j’en ai pas ! Elle est au Parti somme toute !

    _ Doucement, doucement, c’est moi qui l’ai payé, ma voiture !

    _ Non ? T’as capitalisé, pour l’avoir ! Tu as fait preuve d’égoïsme, afin de satisfaire ton amour-propre !

    _ Ma voiture est nécessaire !

    _ Que tu dis ? Ne serait-ce pas l’heure d’une auto-critique ?

    _ Tu m’énerves à la fin ! J’ te kiffe de moins en moins !

    _ Mon Dieu, mon Dieu, mon rêve a raison : nous sommes tous égoïstes par nature… et la Machine m’a pris ma jeunesse, pour s’essuyer les pieds !

    _ Puisque je te dis que les méchants sont les capitalistes !

    _ Répète-le moi, tu veux, je suis au bord de la crise d’angoisse !

    _ Les méchants sont les capitalistes ! Le bonheur est la victoire du prolétariat !

    _ Les méchants sont les capitalistes… et le bonheur est la victoire des prolétaires !

    _ Voilà ! Ça va mieux ?

    _ Ouf ! Oui ! J’avais la vérité aux fesses, comme un chien féroce ! Et… il est parti !

    _ Allez, encore une fois : les méchants sont les capitalistes… et le bonheur est...

    _ La victoire du prolétariat ! Ah ! Ah ! Ça marche ! Mon rêve ? Enfoncé, disparu ! Dis, avec tes relations, tu peux m’avoir ma troisième barrette !

    _ Euh, faut qu’ je vois avec le chef…

    _ Non, parce qu’ j’ai absolument besoin d’une voiture !

    _ Mais si t’es promu, ça doit rester entre nous, sinon ce s’ra de la corruption !

    _ Évidemment ! Quand j’ pense que j’ai failli ouvrir les yeux ! J’ai vu l’abîme tout d’un coup ! »

                                                                                                    18

    Paschic continue à balayer tranquillement, sans s’apercevoir qu’il s’écarte de ses collègues, pour se retrouver dans une zone isolée du Labyrinthe… Tout y est étrangement calme, au point d’en être inquiétant ! Soudain tombe au sol une petite créature… Elle paraît gluante et elle s’accroche à Paschic, en disant : « Dom ! Dom ! » Paschic est pris de dégoût, mais des dizaines d’autres créatures, pareilles à la première, sortent maintenant du mur ! Et toutes n’ont qu’un seul cri : « Dom ! Dom ! »

    Paschic effrayé s’enfuie, court éperdu, mais devant lui les créatures ne cessent d’apparaître ! Il y en a pourtant une qui n’est pas semblable aux autres… Elle a une taille normale et c’est une femme et quelle femme ! Elle est sublime dans une flamme ! Tout son corps est incandescent et rien que sa vue brûle ! Elle appelle Paschic : « Oh ! Viens, Paschic ! dit-elle. Ne suis-je pas séduisante ? Ne suis-je pas synonyme de plaisir ? Est-ce que je te laisse indifférent ?

    _ Non… non... »

    Paschic baisse la tête, car il sait que s’il regarde cette femme, il sera ébloui, amoureux même ! Ses défenses pourraient céder, d’autant que quand la femme se déplace ou parle, des flammes s’échappent de son corps et viennent toucher Paschic jusqu’au fond de l’âme ! Une voix monte dans Paschic et gémit presque : « Pourquoi résistes-tu, Paschic ? dit-elle. Pourquoi refuses-tu ce plaisir ? Cette femme est magnifique ! Inutile de l’examiner ! C’est du feu ! Son corps est parfait ! Et toi, Paschic, tu remontes chaque jour la dure pente de ta conscience, de tes explications, de tes croyances ! Il faut incessamment que tu te reconstruises, que tu te justifies ! Chemin amer qui te laisse épuisé ! Alors que le plaisir, le bonheur est là ! »

    A cet instant, Paschic est interrompu par quelqu’un qui jette dans son dos : « En hésitant, Paschic, tu te fais du mal ! Tu ne va pas avec elle, car tu sais que c’est une Dom ! C’est tout ! » Paschic se retourne et voit de nouveau son Rêve, toujours sur des cartons et qui, en ce moment, s’évertue à rallumer un affreux cigare ! « C’est une Dom, Paschic, reprend le Rêve. Tu le sais ! Comme tu sais que toute cette ardeur, dont elle fait preuve, est produite par sa peur, son angoisse ! Elle est perdue, Paschic, d’où son feu ! Elle brûle, car elle veut un homme, une relation pour s’apaiser ! Or, toi, Paschic, t’es un cas ! T’es pas un Dom ! Pour eux, t’es une énigme, Paschic ! T’es le rocher au milieu de la tempête !

    _ Ouais, mais elle est… si belle, si désirable !

    _ Et elle te désire justement parce que tu n’es pas un Dom ! Tu arrives à tenir debout sans vouloir dominer ! Tu es une paix unique ! Incroyable ! Car dominer, c’est dévorant et ne guérit pas l’angoisse ! La domination est un rideau de fumée, qui détruit même ! Mais toi, Paschic, tu sais combien coûte de ne pas être un Dom ! C’est un travail sur soi de tous les jours ! Combien de renoncements, Paschic ! Combien de peurs n’as-tu pas vaincues ? Combien d’années d’errance ? Et ton amour, pour la vérité, etc. ! Alors laisse tomber, Paschic ! C’est une Dom !

    _ Mais… mais on pourrait peut-être s’aimer tout de même ! Je lui expliquerai pas à pas ! Elle me donnera son corps et moi, ma sagesse !

    _ Hi ! Hi ! Paschic, tu sens ce feu ? Il est le reflet de son angoisse ! Et toi, tu penses l’apaiser, la calmer, sans te brûler ! Tu crois qu’en te jetant dans la passion, tu vas lui apprendre tout ce que tu sais et qui t’a demandé une vie ! Mais, mon pauvre Paschic, tu vas y laisser la peau ! Elle finira par te dévorer, sans même penser à mal !

    _ Je… je…

    _ Allez, rien n’est plus fort, plus extraordinaire que de n’être pas un Dom, que de les repousser parce qu’ils ne connaissent pas la vérité, qu’ils la refusent ! Qu’ils soient attirés par toi est une preuve que tu ne te trompes pas !

    _ C’est vrai…

    _ Ils te demandent maladroitement de la lumière, du sens, en dominant encore…, alors que justement il faut abandonner sa domination pour être en paix ! T’as pas fini de les attirer, crois-moi !

    _ D’où viennent les Doms, le Rêve ?

    _ Mais du GVI !

    _ Du GVI ?

    _ Oui, du Grand Vide Intérieur, situé au centre du Labyrinthe ! Le GVI produit de l’angoisse et les Doms se multiplient ! »

    Entre-temps, la femme dans la flamme a disparu et Paschic ne peut s’empêcher d’en éprouver une certaine tristesse… « C’est pas un déchirement, Paschic, reprend Rêve qui crache. C’est un choix ! Tiens, y a un Dom qui t’ bouffe le pantalon ! »

                                                                                                         19

    « Le GVI, les Doms ! C’est bien joli tout ça, mais ça veut dire quoi exactement ? s’interroge Paschic. Et si les Doms viennent du GVI, d’où vient le GVI ? Hein ? » A cet instant, Paschic bute dans un grand gars, qui lui dit : « Mais où vas-tu comme ça, mon zèbre ?

    _ Ça t’ regarde ?

    _ Un peu qu’ ça m’ regarde ! Car on passe pas à côté de moi, sans me regarder ! C’est qu’ je compte moi ! »

    « Bon sang ! Un Dom ! » se dit Paschic, qui réplique : « Pour moi, t’es pas intéressant ! Et puis je te dois rien, j’suis libre, s’pas ! Alors du vent, l’animal !

    _ Oh ! Oh ! Comment tu m’parles ! Oh ! Oh ! On m’ parle pas comme ça ! Tu sais pas qui j’ suis ! Je suis le baron de Messygue ! Troisième du nom ! Mes ancêtres tenaient déjà la région, quand les tiens se tuaient à ramasser des pommes de terre ! Évidemment pour ma purée ! Alors on me doit adoration et soumission !

    _ Ah bon ? Mais, si je suis aussi minable, pourquoi rechercher mon intérêt ? En quoi ma médiocrité peut-elle t’aider ?

    _ Euh… Bah, j’ dirais qu’une louange est toujours bonne à prendre !

    _ Menteur ! Je te fais impression, tu vois que je ne suis pas n’importe qui et tu te dis que toi aussi tu fais partie de l’élite et qu’il est impensable qu’on ne s’en rende pas compte, en te montrant de l’indifférence !

    _ C’est vrai ! J’ai des qualités, je réussis et, ma foi, je suis assez bien de ma personne !

    _ Le problème, c’est que moi, je me moque de l’élite !

    _ Comment ça ?

    _ Je suis au plus bas sur la hiérarchie sociale ! Je n’ai aucun pouvoir… ou plutôt celui que j’ai est spirituel, intérieur ! Il est justement l’anti-pouvoir social ! Il n’est pas basé sur la supériorité, ni sur la soumission ! Je ne cherche pas à dominer ! Je trouve ça ridicule !

    _ Mais moi, j’ai besoin de ton intérêt, que tu reconnaisses ma valeur !

    _ Je sais : sans ça t’es paumé ! Mais, même en constatant que je te fais impression, tu ne veux pas suivre mon exemple !

    _ Ah non ?

    _ Non, parce qu’il faudrait d’abord que tu renonces à toi-même ! que tu places ton succès dans autre chose que ton ego ! Il faudrait que tu aies confiance sans vaincre, sans contrôle, sans te regarder dans le miroir ! C’est pas toi qui es important, c’est l’amour !

    _ Bon sang, qu’est-ce que tu es ? Une sorte de beatnik ?

    _ Tu vois ma force ? Eh bien, possède-la !

    _ Pour qui tu te prends au fond ? Tu te crois supérieur ? T’es un minable ! Mais j’ vais t’ dresser, moi ! Tu vas à apprendre à me respecter, tu vas voir qui es ton maître !

    _ Mais on ne peut pas obliger les gens à aimer ! Ce qui vient du cœur doit être libre, sinon ce n’est pas sincère !

    _ Ça, c’est ce qui a sur la papier ! Mais il suffit de se montrer persuasif et tu finiras par m’admirer !

    _ C’est ce que me disait la Machine…

    _ Comment ?

    _ Rien, rien, des réminiscences… Ne pouvant être aimé, tu vas avoir recours à la tyrannie !

    _ Exactement ! Ce qui ne cède pas doit être écrasé !

    _ Et la haine naît de la peur…

    _ La peur ? Ah ! Ah ! Parce que tu crois que j’ai peur de toi, l’avorton ? Ah ! Ah !

    _ Mais tu n’as pas peur de moi, mais de la vie ! Mais pour ne plus sentir ta peur, tu veux dominer, être le centre d’intérêt ! Si le monde est comme ta chambre, puisque tu le commandes, alors ta peur disparaît !

    _ Tu m’ fatigues ! »

    Le type siffle et d’autres gars surgissent, des Doms comme des couleuvres et voilà Paschic battu et attaché à une claie ! Le type s’approche, maintenant vêtu d’une blouse blanche ! Il caresse la tête ensanglantée de Paschic et lui dit : « Il va falloir que tu m’aimes, tu sais ! que tu m’admires ! » Il tient une tenaille et commence à arracher les ongles de Paschic ! « Aime-moi, dit-il. Trouve-moi formidable, unique, exceptionnel, magnifique ! Bon, résolument bon ! »

  • Rank (110-115)

    R27

     

                  "Dites-moi que je la reverrai là-haut!

                    Oui, mon fils, vous la reverrez!"

                                                           Le Facteur sonne toujours deux fois

     

                                                110

    « Alors qu’est-ce que tu veux faire dans la vie, Paschic ? » La question vient d’un conseiller d’orientation, en visite dans l’école de Paschic, qui boude et a les mains dans les poches ! « Ben, répond Paschic, je veux être un agriculteur pour écraser les gens avec mon tracteur ! Ah ! Ah !

    _ Mais enfin les agriculteurs n’écrasent pas les gens !

    _ Non, mais je veux montrer ma colère, comme eux ! Car moi aussi, j’ai beaucoup à dire ! Ou bien alors, j’ s’rais pêcheur ! Je brûlerais des bâtiments, pour me réchauffer l’hiver !

    _ Ah ! Ah ! Tout ça n’est pas très sérieux, Paschic !

    _ Non, non, attendez, je veux être un internaute débile, qui déverse sa haine toute la sainte journée ! La nuance, pas pour moi ! Ou alors j’dirais que le problème, c’est le gouvernement ! J’ me tournerais les pouces !

    _ Voyons, Paschic, nous sommes là pour choisir un travail, un métier !

    _ Ah bon ? Vous voyez quelqu’un travailler dans c’ pays ? Qu’est-ce qui est difficile ? Pointer ou calmer sa haine ? Se changer soi-même ou casser c’ qui nous dérange ?

    _ Ben…

    _ Vous voyez, personne ne bosse ici ! Pourquoi, moi, j’ devrais faire plus ? Laissez-moi haïr, monsieur le conseiller ! Laissez-moi être bête et égoïste ! Vous savez c’ qui m’ fait peur ?

    _ Non…

    _ C’est la solitude de l’intelligence, de la compréhension ! Bon sang, j’ comprends qu’ les autres se débinent ! Se retrouver tout seul, ça donne froid dans le dos ! Je veux être dégueulasse, faire partie du groupe ! Vous savez, s’il y a des opérations pour enlever l’ cerveau ?

    _ Ah ! Ah ! Vous exagérez, Paschic…

    _ Être sans sentiment, la planque ! On s’ respecte, on est aux p’tits soins pour soi, mais pourquoi ne pas traiter les autres de la même manière ? Nous sommes tous humains, pas vrai ?

    _ C’est vrai, Paschic !

    _ Mais allez par là est extrêmement dangereux !

    _ Ah bon ?

    _ Bien sûr, ça conduit à la croix ! Moi, c’ que je veux, c’est être au chaud, dans la porcherie, avec les autres ! « La porte ! » j’ crierais, si jamais on veut m’ déloger !

    _ Écoutez, Paschic, je ne vous suis pas très bien… Moi, mon rôle, c’est de vous trouver une formation qui vous plairait…

    _ Ben, j’ vous l’ai dit ! J’ veux être un voyou, un paresseux, comme tout l’ monde ! Pas question d’ me lever hors de la tranchée ! En c’ moment, j’ suis pour les femmes et les agriculteurs ! Et vous savez pourquoi ? Parce que j’ suis du côté du plus fort ! Pas fou le Paschic, il regarde d’où vient l’ vent !

    _ Bon sang, Paschic, vous avez des possibilités ! Il y a bien une profession qui vous permettrait de vous développer et de devenir utile dans la société !

    _ Et mon courage, mon amour, mon dévouement, qu’est-ce que j’en fais ? C’est bien ça qui gêne, non ? Écoutez tant que ça, c’est avec moi, je demeurerais suspect ! Maintenant, si vous me dites qu’il y a une consigne pour l’intelligence, j’y cours, j’y vole ! A moi alors le groupe, l’intégration ! A moi la place dans la meute ! A moi les toasts à la haine ! Enfin au chaud ! les pieds allongés sous la table ! Qu’est-ce que je peux rêver de mieux ?

    _ Vous me désorientez, Paschic…

    _ Vous m’en voyez désolé, monsieur le conseiller ! Pourtant, ma demande est simple ! Aidez-moi à m’intégrer, débarrassez-moi de ma compréhension, de ma compassion ! Rendez-moi mon égoïsme, mon aveuglement ! Si vous y parvenez, je signerai ce que vous voulez !

    _ Euh…

    _ Il n’y a pas une formation qui enlève tout jugement, tout esprit d’aventure ?

    _ Il y a bien les partis politiques et notamment les extrêmes…, mais ce ne sont pas a priori des formations !

    _ Aïe ! En fait, vous et moi, monsieur le conseiller, nous sommes un peu comme au temps du Rideau de fer, quand un Allemand de l’Est voulait passer à l’Ouest ! Et c’est vous le passeur et moi, le transfuge ! Fournissez-moi de faux papiers, construisez-moi une nouvelle identité ! « Paschic : gueulard, haineux, sans discernement ! » Voyez, je passerais inaperçu ! Les autres vont me voir comme l’un des leurs ! Le paresseux type !

    _ J’ vais voir c’ que je peux faire ! Mais j’ vous préviens, ce sera cher !

    _ Qui veut la fin... »

                                                                                                     111

    Paschic est dans la rue et mendie… « A vot’ bon cœur, mesdames messieurs ! Donnez ce que vous pouvez ! Ayez pitié du pauvre Paschic ! Un p’tit mépris, monsieur ? Merci ! Du dédain, madame ? Merci ! N’hésitez pas à me haïr ! C’est votre monnaie !

    _ Désolé, mais j’essaie de comprendre, d’aimer ! Je n’ai rien pour vous !

    _ Pour la prochaine fois alors ! Ayez pitié du pauvre Paschic ! Merci madame ! Merci monsieur ! Non, je n’accepte tout de même pas les coups de pieds ! Juste le mépris ! La violence est hors la loi ! Respectez les clous ! Merci madame, votre haine m’accompagne ! Merci monsieur, votre haussement d’épaules fera ma journée ! Ayez pitié du pauvre Paschic !

    _ Comme on se retrouve, minable !

    _ Lapsie ! Toujours un plaisir de te revoir !

    _ Tu n’as pas honte, Paschic, de mendier ! d’avoir l’air d’un gueux ! Pouah, tu pues, Pashcic !

    _ Ta haine remplit mon escarcelle, Lapsie ! C’est Noël pour moi !

    _ Mais enfin, quand deviendras-tu un homme, un battant ?

    _ J’ai choisi la voie de la sagesse, de la vie intérieure !

    _ Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Dis plutôt que t’as peur, que tu n’ sais pas t’imposer !

    _ La haine nous aveugle…

    _ Tu sais ce que j’aime, Paschic, c’est la force ! J’aime quand j’ gagne et quand j’entends les os de mes adversaires craquer ! Alors je suis fière d’être debout ! Tandis que toi, tu as tout de la larve ! Assisté, va !

    A cet instant, Paschic se lève et touche la joue de Lapsie ! Puis, il la prend doucement dans ses bras… Lapsie a d’abord de la répulsion, puis elle s’abandonne et se met à pleurer ! Paschic vient de lui enlever la « barre de fer » qui la faisait souffrir ! Elle est émue… et elle regarde Paschic étrangement ! « Mais…, mais d’où te vient ce pouvoir, Paschic ? s’écrie-t-elle.

    _ Je suis le maître de ma haine, et c’est pourquoi je suis fort ! Je viens de te transmettre un peu de ma paix…

    _ J’ai soudain retrouvé l’espoir… Est-ce possible ?

    _ L’effet ne durera pas…, car il est le résultat d’une longue pratique… C’est un engagement de tous les jours et qui est pourtant possible pour tous… Mais…

    _ Tu as raison, ma haine revient ! Je te vois de nouveau misérable, Paschic, et cela me fait peur ! Tu es anonyme parmi les anonymes !

    _ Et pourtant je rayonne, n’est-il pas vrai ? Mais tu préfères rejoindre le troupeau, crier avec les loups ! Tu préfères ton malheur à ma paix !

    _ J’aime le pouvoir !

    _ Il n’est que du vent ! Les mille démons qui t’effraient, je les fais danser comme je veux ! Je suis le rocher et tu n’es que tourments !

    _ J’ai bien senti ta force étrange, mais je ne suis pas prête… Je dois…

    _ Ton fardeau, c’est ta soif de réussir, de vaincre !

    _ Mais enfin quel est ton secret ?

    _ Je suis le pauvre Paschic, celui qu’on hait et méprise…

    _ Je ne comprends pas…

    _ Tu veux la justice et moi, je te dis : « Fais mille pas avec ton ennemi ! » Tu te souviens ?

    _ Je ne crois pas…

    _ Ma paix est bien réelle cependant…

    _ Il faut qu’ j’y aille !

    _ Bien sûr ! Un peu de haine, un peu de mépris, pour le pauvre Paschic ! Donnez ce que vous pouvez ! Merci madame, merci monsieur !

    _ Au revoir, Paschic !

    _ Au revoir, Lapsie ! Va porter la bonne nouvelle !

    _ Je dirai à la Machine que je t’ai vu !

    _ Dis lui qu’il n’est jamais trop tard pour avoir la paix ! Elle aussi souffre comme toi !

    _ Et si tu te trompais, Paschic ? Regarde, tu n’es rien !

    _ Je te le répète, je fais danser tes monstres ! Je suis la lumière et la paix !

    _ Et la vérité ?

    _ Comment être fort avec le mensonge ? C’est pour cela que je suis le pauvre Paschic ! »

                                                                                                   112

    Au QG du Troisième Reich féminin, c’est l’ébullition ! On attend la visite de la Machine ! Le Führer de ces dames ! Lapsie et Bona, dans leur uniforme noir impeccable, marqué par le sigle FF, pressent leurs subalternes ! « Schnell ! Schnell ! » crient-elles et les bottes astiquées vont et viennent ! Depuis longtemps, les hommes ont été dressés, domestiqués, déstructurés ! Ils ne servent plus qu’à donner leur semence et encore ! A force d’être harcelés, écrasés, broyés, ils ne peuvent plus entrer en érection, ce qui provoque le mépris des femmes !

    Cependant, certains résistent, tel Paschic, qui a rejoint le maquis ! « Heil la Machine ! » font Bona et Lapsie, quand apparaît leur chef, qui les salue négligemment ! La Machine a les traits tirés et semble vieillie ! Elle ne dort plus et on finit par se demander où est son génie de naguère ! En effet au début de la guerre féminine, elle multipliait les coups d’éclat, avait des intuitions merveilleuses ! Les lignes masculines étaient enfoncées ! L’homme courait en déroute ! Les prisonniers se rendaient par milliers !

    Mais, maintenant, on perd des batailles, on ne progresse plus aussi vite qu’avant, on a du mal à tout contrôler ! N’a-t-on pas vu trop gros ? Est-ce une folie que de vouloir éradiquer l’homme ? Le nouvel ordre féminin ne peut-il pas s’imposer ?

    La photo de Paschic est bien en vue sur le mur, car il fait partie des derniers hommes dangereux… En dessous du cliché, les récits glaçants se succèdent ! Ici, il aurait tiré la langue à une fermière ! Là, il aurait refusé d’embrasser une FF, ce qui constitue une injure ! L’esclave doit obéir au maître ! Là-bas, il aurait craché sur un portrait de la Machine !

    La Gestapo le traque sans relâche ! On parle du Monstre des Vosges et on fouille chaque tas de foin ! On interroge, intimide, torture ! On examine chaque piste et la prise de cet ennemi du féminisme ne serait plus qu’une question d’heures ! Mais la Machine n’est pas convaincue et sa colère légendaire éclate : « Je me fous de ce que les Américains puissent aider Paschic ! Je le veux à un croc de boucher ! On ne défie pas la Machine ! Et la solution finale pour les hommes, on en est où ?

    _ On a ouvert un nouveau camp… Les trains ont été multipliés par quatre !

    _ Ce n’est pas suffisant ! Le Grande femme doit régner sur le monde ! Tous les hommes sont là pour la servir !

    _ Ya ! Ya ! Meine Machine !

    _ L’émasculation de masse ! La gloire lesbienne ! Rappelez-vous votre serment : le vagin ou la mort !

    _ Heil meine Machine ! »

    Un messager claque des talons et donne un billet à Lapsie, qui dit : « Les troupes de Paschic se dirigent vers le sud ! Nous les tenons ! » Chacune s’approche d’une carte : « Ils vont tomber sur la troisième division des panzers de von Paula ! exulte Lapsie. Ils seront broyés !

    _ Prévenez von Paula qu’il n’y aura pas d’ quartiers ! renchérit la Machine. Ce chien de Paschic ne doit pas nous échapper !

    _ Et si les Américains… coupe Bona.

    _ Je me fous des Américains ! s’emporte la Machine, qui d’un coup fait sauter toutes les positions de la carte. Je veux la peau du mâle en parchemins ! Nos ennemis sont partout et ils essaient de nous manipuler, de nous diviser !

    _ Heil ma Machine !

    _ Vous savez, ce n’est pas moi qui ai commencé ! Ce sont les hommes qui m’ont déclaré la guerre ! Moi, je ne rêvais que d’une chose, rester tranquille ! Quand tout cela sera fini, je retournerai à ma peinture ! Car j’ai encore une âme d’artiste, figurez-vous ! Je suis pour la paix, mais ce sera impossible tant que l’homme n’aura pas payé le prix ! 

    _ Et les femmes intelligentes, réfractaires ?

    _ Quel sort réserve-t-on aux traîtres ? Le billot et la hache ! Comment peut-on s’opposer aux FF ? »

    Soudain la sirène d’alerte aérienne retentit et il faut se mettre à l’abri ! On entend éclater les bombes et le sol tremble ! De la poussière tombe du plafond ! On tousse et on voit de plus en plus mal ! « Himmel ! Que fait la DCA ? tonne la Machine. » Mais personne ne lui répond : c’est l’enfer sur Terre !

                                                                                                       113

    Paschic, en tenue de prisonnier et avec d’autres, doit étendre des barbelés autour du camp de la Machine… Une gardienne vient cependant le chercher et Paschic inquiet se met à la suivre… On passe des sentinelles et à la grande surprise de Paschic, il est laissé dans le bureau de la Machine ! Il a soudain peur, car les colères de la Machine sont terribles et il se demande quelle faute il a commise !

    Pourtant, la Machine apparaît apaisante : « Ah ! Paschic, je suis heureuse de te voir ! Un verre de schnaps ? » Paschic ne répond rien, tellement il est surpris ! Voyant son embarras, la Machine se montre encore plus prévenante : « Assieds-toi, Paschic ! Détends-toi ! Oublions pour un temps nos différends ! Après tout, je suis ta mère ! » Paschic s’assoit docilement, mais reste sur ses gardes… Ce qu’ignore la Machine, c’est qu’elle a conditionné Paschic jusqu’au tréfonds ! Chaque geste, chaque mot est maintenant pesé par Paschic ! Il ne sera plus jamais naturel, il est marqué à vie ! Il est caché tout au fond de lui, comme un animal craintif dans son terrier !

    Il a dû s’enfouir pour survivre ! « Tiens Paschic, tu ne vas pas me dire que tu vas refuser un bon verre de schnaps ! Ah ! Ça fait du bien ! J’ai voulu te voir, Paschic, pour t’expliquer certaines choses… Je sais que tu m’en veux… et que tu peux me voir comme un monstre, mais tu ne connais pas la vérité ! Vois-tu, nous les femmes, nous ne sommes pas libres ! Je t’avoue que je voulais même pas me marier ! Mais c’était impensable pour l’époque, surtout dans mon milieu !

    On devait se marier, Paschic, et faire des enfants ! Eh oui, c’était comme ça ! Encore un p’tit verre ? Remarque que je suis quand même bien tombée avec ton père… On a formé une belle équipe, lui et moi, et on t’a pas raté non plus ! Pas vrai ? Hi, hi ! Mais, Paschic, la société, avec ses diktats masculins, ne laisse pas de peser sur la femme ! Il faut encore qu’elle soit une bonne épouse, une bonne ménagère, qu’elle soit l’honneur de son mari, toujours là pour ses enfants, etc., etc. !

    Cela nous demande beaucoup, Paschic ! Cela nous ronge même, nous dévore ! Ainsi, sous le joug du devoir, j’ai pu m’irriter, perdre le contrôle et me montrer injuste, trop directive à ton égard ! Tu vois, je reconnais mes fautes, mais je tiens à ce que tu saches que je ne suis pas entièrement responsable ! J’étais moi-même sous emprise ! Je me débattais pour conquérir ma liberté ! J’avais aussi mes chaînes ! »

    Un silence se fait ! Paschic est abasourdi ! Il est encore dans le brouillard, dans cette sorte d’hébétude qui lui est coutumière, car il se demande toujours s’il est bien réel, s’il existe vraiment, tellement il a été enfoncé en lui-même par la Machine ! Les propos qu’il vient d’entendre enfin le pénètre et il se met à rire, à rire !

    Cette réaction imprévue gêne la Machine, qui dit : « Sans doute que le schnaps te fait trop d’effet ! J’aurais dû m’y attendre ! » « Alors comme ça, pense Paschic, je n’ai pas servi de paillasson à la Machine ? Elle ne m’a pas bousillé, au nom de ses plaisirs ? Je ne suis qu’un dommage collatéral, dans sa lutte contre les diktats masculins ? Elle n’est pas d’un orgueil épouvantable ? Ce n’est pas seulement son monde qui doit triompher ? Toute résistance ne doit pas être écrasée ? Elle ne m’a pas massacré, dès que je la dérangeais ? Se sentant opprimée, elle a opprimée davantage ? Se sentant esclave, elle a voulu des esclaves ? »

    Paschic arrête subitement de rire : il est effrayé de s’être laissé aller et de nouveau il se ferme ! Il attend qu’on le laisse partir… La Machine est à des années-lumière de la réalité ! Cependant, elle est de nouveau gênée… Elle ne comprend pas le silence de Paschic, bien qu’il soit son œuvre ! « Écoute Paschic, dit-elle, il faut que tu réfléchisses un peu à cela… C’est nouveau pour toi… Tu peux t’en aller... »

    Paschic se lève et une fois dehors, il respire ! Il regarde le camp, les barbelés, les miradors… Il repense aux sévices, aux humiliations, aux coups, aux mensonges, aux perfidies, à cette incroyable injustice qui l’a détruit, aussi sûrement qu’un char qui lui aurait passé dessus, et tout cela ne serait dû qu’aux diktats masculins, qu’à une situation pénible vécue par la Machine elle-même ?

    Paschic est partagé entre le rire et les larmes, c’est typique du voisinage du désespoir ! Mais, ce soir, il va se faire la belle ! Depuis des mois, il construit un tunnel, patiemment ! Lui, la vérité, il la veut, d’où son acharnement ! Il n’en a pas peur, comme la Machine ! Ou bien elle existe, ou bien tout n’est que vent ! Paschic ne restera pas dans la demi-mesure de la Machine, son hypocrisie, son égoïsme ! Il a trop vu le mal qu’elle fait !

    Et puis, il se rend compte que la Machine a encore parlé d’elle, qu’il a encore été question d’ sa gueule et c’est bien là le problème ! La Machine n’aurait pas été un bourreau, si elle avait dépassé son nombril, si elle avait aimé plus qu’elle, plus grand qu’elle ! Les diktats masculins ? Alors que Paschic n’est plus que du sang mêlé de boue !

                                                                                                    114

    Paschic est DA (District Attorney) et en plein procès, il interroge la Machine, qui est accusée d’avoir tué son mari ! « Madame la Machine, racontez-nous encore une fois ce qui s’est passé cette nuit-là…

    _ Ben, j’étais seule à la maison et j’ai entendu du bruit… J’ai d’abord crû qu’une fenêtre s’était ouverte, puisqu’il y avait du vent et de la pluie dehors… Et puis, j’ai vu cette forme qui se dressait peu à peu le long du mur… C’était horrible ! Elle semblait interminable, avec des bras comme des tentacules !

    _ Votre Honneur, intervient Lapsie, l’avocate de la Machine, ma cliente est visiblement très éprouvée… Serait-il possible de faire une pause ?

    _ Maître, nous avons bien conscience de l’épreuve que traverse la Machine… Néanmoins, elle est l’accusée et elle va donc continuer son récit… Poursuivez madame la Machine…

    _ Oui, votre Honneur… J’étais absolument terrifiée ! Ce n’était même pas humain ce qui me menaçait ! C’est alors que je me suis rappelé l’arme que je place dans ma table de nuit… Je m’en suis saisie et j’ai tiré !

    _ Cinq fois ! fait Paschic.

    _ Je vous l’ai dit : j’étais terrifiée ! Puis je me suis approché, car la « chose » ne bougeait plus ! Et c’est là que j’ai reconnu Edgar ! mon pauvre Edgar !

    _ Vous n’aviez pas reconnu votre mari ?

    _ Comment aurais-je pu le reconnaître ? Il m’avait dit qu’il serait à son club !

    _ Madame la Machine, depuis quand avez-vous cette arme ?

    _ Cinq ans environ !

    _ Pouvez-vous dire au jury pourquoi avez-vous acheté cette arme ?

    _ Ben, la maison est assez isolée et…

    _ N’avez-vous pas déclaré à une amie qu’Edgar vous faisait peur ?

    _ C’est vrai… Il avait changé avec le temps… Il était devenu plus autoritaire… Il me reprochait mes amies, mes sorties, mes joies ! J’ai tout sacrifié pour lui, mais rien ne pouvait le satisfaire ! Il était… il était toxique !

    _ A un tel point que vous avez acheté une arme pour vous défendre ?

    _ Objection votre Honneur ! s’écrie Lapsie. Le DA fait les questions et les réponses !

    _ Objection retenue !

    _ Très bien, reprend Paschic, je vais poser ma question autrement ! Madame la Machine, ne pensez-vous pas que l’achat d’une arme est exagéré, pour régler un problème de couples ?

    _ Edgar me dévorait ! Il me bouffait ! La prochaine étape, je le savais, ce serait des coups ! Et il n’était pas question qu’on en arrive là ! J’étais prête à me défendre !

    _ Votre Honneur, poursuit Paschic, je voudrais montrer une vidéo…

    _ Objection votre honneur ! coupe Lapsie. La défense n’a pas été informée de l’existence de cette vidéo !

    _ Que le ministère public et la défense veuillent bien approcher ! dit le juge. Monsieur le DA, est-ce vrai que vous avez caché à la défense l’existence de cette vidéo ?

    _ Mais pas du tout ! Elle se trouve page 19 dans la liste des pièces remise à la défense !

    _ Noyée dans un tas d’ saloperies ! réplique Lapsie.

    _ Maître, surveillez vos propos ! dit le juge. Monsieur le DA, êtes-vous bien sûr que cette vidéo peut faire évoluer l’affaire ?

    _ Elle l’éclairera d’un jour tout à fait nouveau !

    _ Très bien, j’autorise le visionnement de cette vidéo, mais soyez convaincant, monsieur le DA !

    _ Merci votre honneur…

    _ Très bien, le jury est prévenu qu’il va voir une vidéo, annonce le juge. »

    A l’écran, on découvre une petite épicerie, dans laquelle entre la Machine ! Immédiatement, les autres clients se mettent à genoux, pour montrer leur déférence et l’épicier ne cesse de faire des courbettes ! Il semble même donner de l’argent à la Machine ! « C’est bien vous que l’on voit sur l’image ? demande Paschic à la Machine.

    _ Euh… Oui…

    _ Tout le monde tient à vous marquer du respect, car vous êtes très connue dans ce quartier… et pas seulement celui-là ! En fait, il s’avère que les trois quarts de la ville vous appartiennent et que votre vrai nom est le Mépris ! Est-ce exact ?

    _ Edgar était toxique ! Il me menaçait !

    _ Vous vous appelez le Mépris et vous régnez sur la ville ! Mais Edgar était le problème ?

    _ C’est lui qui avait la force physique !

    _ Nous savons que vos affaires périclitent… Mais Edgar n’avait pas un sou… Cependant, vous faites actuellement la une, en vous présentant comme une femme qui a défendu sa vie, face à un conjoint violent… N’est-ce pas là une manière de vous remettre en selle ?

    _ Et alors ? Le train MeeToo profite à tout le monde et pourquoi pas à moi ? J’ai jamais eu d’ chances dans la vie ! Mais je n’ai pas tué Edgar pour ça !

    _ Non, vous l’avez tué parce que vous le méprisiez !

    _ Espèce de sale mâle prétentieux ! J’ai qu’à claquer des doigts et demain tu m’ supplieras d’ t’épargner !

    _ Je n’ai pas d’autres questions, votre Honneur ! »

                                                                                                         115

    La Machine, Bona et Lapsie fument des cigares, en sirotant leur whisky… « Non mais écoutez-moi ça ! s’écrie Bona, le nez dans le journal. « Paschic, un heureux dans la rue ! Question du journaliste : « Monsieur Paschic, comment faites-vous pour paraître aussi serein, aussi détendu ! On dirait qu’une bonne étoile vous protège ! » Réponse : « Vous voulez mon secret ? Je ne fais que ce qui m’amuse ! ainsi je garde la joie de vivre et je ne fais pas suer mes concitoyens ! » Question : « Que ce qui vous amuse ? Mais faut travailler dans la vie ! » Réponse : « Et qui vous dit que je ne travaille pas en m’amusant ! Vous connaissez la formule : « Heureux les purs, car tout leur est pur ! » 

    _ Nom d’un chien ! s’insurge Lapsie. Qu’est-ce qui faut pas entendre comme conneries ! Lui pur ? Quelqu’un pur ?

    _ C’est surtout mauvais pour les affaires, rétorque la Machine. Quelqu’un qui s’amuse sur mon territoire, c’est très démoralisant pour ceux qui sont sous ma domination ! Ça leur donne des idées…, des idées de grandeur, de rébellion !

    _ C’est encore mauvais pour MeeToo, renchérit Bona. Accorder de l’attention à c’ type, c’est moins de lumière pour les femmes ! Et puis, c’est de nouveau le mâle triomphant !

    _ J’ crois que nous sommes toutes d’accord, ajoute la Machine, il faut lui régler son compte une bonne fois pour toutes ! Je ne vais pas laisser c’ morveux me marcher sur les pieds !

    _ T’as raison, fait Lapsie. J’ai justement acheté du nouveau matériel que je voudrais bien essayer ! On va voir comment le « pur » arrête les balles ! »

    Chacune prend ses armes et on les entend les vérifier ! Pistolets, fusils, couteaux et même grenades sont embarqués et la voiture du trio démarre. Pendant ce temps-là, dans sa petite maison, Paschic se pénètre d’un oud mélancolique, en accord avec l’éclairage tamisé ! Soudain, les vitres éclatent, les tableaux tombent et des balles perforent les murs ! Les tirs paraissent incessants et Paschic, après avoir été blessé à la jambe, s’est traîné derrière le divan !

    Le silence se fait un moment, mais c’est que les filles approchent et entrent dans le salon… Elles marchent sur les débris et entendent les plaintes de Paschic ! La Machine contourne le divan et loge dans Paschic deux balles, dont l’une dans la tête ! Le travail est terminé et les tueuses se pressent vers leur voiture, alors que déjà au loin retentit une sirène ! Un voisin a dû prévenir les secours…

    Le lendemain, les filles regardent la télé et notamment le JT : « Une tuerie s’est produite hier soir, dans le quartier résidentiel de Hampshire, explique la journaliste. La victime, nommée Paschic, a immédiatement été conduite à l’hôpital, où elle combat entre la vie et la mort ! On ignore encore quelles sont les causes de ce crime et quels en sont les auteurs... »

    « C’est pas vrai ! s’écrie Bona. Vous avez entendu ? Ce fumier est encore vivant !

    _ Je lui ai pourtant mis une balle dans la tête ! précise la Machine.

    _ Ça devrait suffire, réplique Lapsie. S’il est encore vivant, c’est à l’état de légume !

    _ Il y a quand même un doute… poursuit la Machine.

    _ Dans c’ cas, y a plus qu’une solution ! fait Bona.

    _ Ah oui ? Et laquelle ? demande la Machine.

    _ Tautonus ! C’est un spécialiste ! Rien ne lui résiste !

    _ OK ! dit la Machine. Je le mets sur le coup ! »

    A l’hôpital, Paschic émerge discrètement du coma et il entend un médecin dire à un de ses collègues : « J’ sais pas comment c’est possible ! La balle dans le cerveau ne l’a pas tué !

    _ Mais il gardera des séquelles !

    _ Sans doute ! Reste à savoir à quel stade il sera diminué ! »

    Les deux médecins s’éloignent et Paschic se rendort ! Quand il se réveille à nouveau, il fait nuit et tout semble calme…, mais Paschic reconnaît soudain une voix dans le couloir : celle de Tautonus ! Celui-ci parle avec une infirmière, comme si lui-même faisait partie du personnel ! Vite, il faut trouver une solution pour Paschic !

    Il fait l’effort de sa vie ! Il avance en boitant et en suant vers son placard ! Il se saisit de son manteau et d’un bonnet, qui vont prendre sa place ! Puis, il détache les fils qui l’encombrent et les glissent sous les couvertures ! L’alerte est sûrement donnée, mais Paschic n’en a cure et il se cache dans le placard, vaste comme une salle de bains ! De là, il voit Tautonus qui entre sans tarder et qui d’une main sûre tire avec un silencieux, sur la forme du lit ! Tautonus n’a pas le temps de vérifier son œuvre et il disparaît ! Enfin, Paschic peut s’écrouler !

    Bien plus tard, quand il sortira de l’hôpital et malgré son handicap, car il ne sera plus lui-même, il sera sans pitié pour le crime !

     

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    R11

     

                   _"Quand j'aurais récupéré la carte, moi, Lucifer, je pourrais me venger de ce Dieu débile!

                   _ Mais, maître, Dieu ne peut pas être aussi mauvais, puisqu'il vous a créé!

                   _ Qu'est-ce que tu as dit?"

                                                                             Bandits, bandits

     

                                                            62

          Les temps sont noirs ! La Machine a pris la direction du Comité de salut public féminin et les accusations pleuvent ! On organise les plaintes, vraies ou fausses, on repère des cibles, qu’on fait tomber ! On sape la domination masculine sur tous les fronts ! On arrête, on condamne, on mène à l’échafaud ! Le soupçon plane sur la ville, nul n’est à l’abri ! Qui triomphe et chante aujourd’hui est traîné dans la boue et oublié demain ! Ce que femme veut, Dieu le veut ! La moindre petite fumée se transforme en un gigantesque brasier !

          La délation fonctionne ! Les sous-comités recueillent les renseignements, toutes les frustrations : pensez, plus de cinq mille ans (il faut bien donner un chiffre!) de domination masculine, sous le joug de l’homme, pour rien, d’une manière inexplicable, seulement à cause de la force physique, de la brute, du féminicide, du viol ! Mort aux tyrans ! Mort aux tyrans ! Que de justice à rattraper ! On fait chuter l’idole et on la déchire ! On la dépèce sur la scène publique ! Le moindre soupçon et c’est fini !

          Le Comité agit principalement dans l’ombre ! Ses antennes sont partout, ses chausse-trappes aussi ! La femme déçue se frotte les mains : elle a droit à une deuxième chance ! Elle avait parié sur le mauvais cheval, pour atteindre les sommets, elle va pouvoir se rembourser pécuniairement, mais surtout dans son amour-propre ! Elle avait espéré, calculé, on lui avait promis, elle s’était donnée et elle s’est retrouvée sur le bord de la route, larguée ! La voiture de secours arrive, on va pouvoir poursuivre l’égoïste, le profiteur !

          On raconte éperdue qu’on a été victime d’un courant d’air, qu’on était sous emprise, fragile, naïve, innocente ! Une main a été levée ! A quelle date ? Le 23…, non, non, excusez-moi, le 24 ! On invente de nouvelles maladies, aux noms anglo-saxons ! Elles n’ont qu’un sexe, le masculin ! Il n’y a pas de femmes perverses narcissiques ou paranoïaques, que des hommes ! La femme, cet être pur, n’est qu’une victime manipulée, abusée ! La Machine rigole ! Elle le savait que Rank était un beau fumier ! L’heure de la vengeance a sonné !

          « Dites donc, l’abbé..., fait la Machine.

    _ Hmmm, répond vaguement l’abbé Convention, tout à son gâteau et son thé.

    _ Rank a un secret sur moi… et je ne voudrais pas qu’il le divulgue ! Cela pourrait profiter à nos ennemis !

    _ Humph ! Quel secret ? Humph…

    _ Eh bien, c’est assez gênant, mais Rank pourrait éventuellement dire que je ne suis pas ce que je prétends être…, que je suis une méchante, ou pire encore ! Vous savez combien Rank est dérangé !

    _ Moi, j’ me chargerais bien d’ Rank, s’écrie Bona, présente elle aussi à cette petite réunion informelle. J’ vous le ramène pieds et poings liés et là j’ lui fais rentrer dans l’ crâne combien vous êtes une femme formidable, fantastique, exceptionnelle !

    _ Merci Bona, mais pour l’instant, c’est à l’abbé que je parle…

    _ Oh ! Mais de toute façon, répond l’abbé, Rank vous doit obéissance ! C’est l’une des règles les plus sacrées de la religion !

    _ Comme j’aime à vous l’entendre dire, l’abbé ! En effet, Rank me doit tout, il est ma chose ! Et pourtant, s’il venait à raconter certains faits, sous un certain angle disons, il s’rait sans doute à même de me mettre dans l’embarras ! La révolution féminine elle-même serait touchée ! Nous ne serions plus des victimes innocentes, mais également des bourreaux !

    _ Comment ? Comment Rank oserait-il vous salir ? s’insurge Bona. Vous êtes divine, magnifique, sans pareille ! Rank est un mufle, un ingrat, un sournois, un… rat ! que j’écraserai volontiers ! Couic !

    _ Merci encore Bona, mais maintenant je voudrais que tu la fermes ! J’ai besoin de la caution de l’abbé, pour parer les attaques de Rank ! On ne l’arrêtera pas avec des mots doux, c’est un fanatique !

    _ Vous voulez ma caution ? Mais vous l’avez, ma chère madame ! Qu’est-ce le poids d’un fils, par rapport à celui de sa mère, sur la balance de Dieu ! Vous êtes devoirs, responsabilités et sacrifices ! Un amour infini coule dans vos veines ! Tandis que Rank, cet amoureux des Majorettes ! ce chef de chantier de chez Lego…

    _ Encore un peu de gâteau, monsieur l’abbé ?

    _ Volontiers, merci ! Quant à vos péchés, car je vois une ombre de culpabilité sur votre visage, je pourrais vous rassurer dans un confessionnal ! Dès demain, si vous voulez !

    _ Cela me fait chaud au cœur d’être soutenue ! Cette époque est pleine d’avenir pour la femme et je tiens à y participer pleinement !

    _ Bien sûr ! rajoute Bona. Gloire à notre nouvelle héroïne ! »

                                                                                                                     63

          Paschic est au milieu de la caserne et il essuie la colère de la Machine ! « Qu’est-ce que c’est qu’ ça, soldat Paschic ? des traces d’œufs sur votre uniforme ? Montre-moi tes mains ! Elle ne sont pas propres ! C’est comme tes cheveux, ils n’ont pas la coupe réglementaire ! Ton baraquement également est sale ! Le lit est mal fait, l’armoire en désordre ! Ici, ce n’est même pas balayé ! Tu as laissé une serviette humide dans la salles de bains… Quand c’est comme ça, il faut en mettre une sèche pour celui qui arrive ! Les toilettes, tu ne les aères pas suffisamment après ton passage, ce qui fait que les autres doivent supporter tes mauvaises odeurs ! Par ailleurs, j’ai rencontré ton prof d’anglais, il m’a dit que tu n’en faisais pas assez, que tu t’ la coulais douce ! Tous tes profs sont unanimes : tu te laisses aller, tu fais ce que tu veux, comme ici ! Tout le monde doit être au service de monsieur, car seul monsieur compte ! Tu prends vraiment les autres pour des cons !

    _ Je t’assure que non !

    _ Silence soldat Paschic ! Nous avons les preuves de votre trahison ! Tu es allé raconter à tes p’tits copains combien on était dur avec toi, que nous étions sans cœur !

    _ C’est pas vrai !

    _ C’est pas vrai ? Alors, en plus d’être fainéant comme un pou, tu serais un menteur ! Je te l’ai dit que nous avons des preuves ! Tes plaintes sont remontées jusqu’à nous par d’autres parents ! Tu dis partout que tu as une vie de martyr, que nous sommes injustes ! Par là, tu donnes du grain à moudre aux ennemis de Tautonus, tu menaces sa carrière, tu ouvres la porte à l’étranger, tu favorises notre ruine, alors que c’est grâce à nous que tu as un calot, un uniforme, un toit et à manger !

    _ Mais je n’ai pas dit du mal de….

    _ Silence soldat Paschic ! Vous êtes coupable de haute trahison ! Vos dénégations n’y changeront rien ! Par conséquent, soldat Paschic vous êtes dégradé ! mis au banc de l’armée, jusqu’à ce qu’elle juge que votre attitude a changé ! Il est impensable que vous ne soyez pas rempli de gratitude ! »

           Il y a un roulement de tambours et la Machine arrache violemment les maigres galons de Paschic ! Puis, elle lui prend son sabre de bois et le brise en deux ! Paschic se tient dignement sous l’oeil des quelques spectateurs… Cependant, il tient à déclarer : «  Si j’ai pu me plaindre auprès d’autres, c’est par désespoir… Je… je penses que tu es injuste…

    _ Qu’est-ce qu’un minable comme toi peut savoir de ce qui est juste ou injuste ?

    _ Voilà, c’est ton mépris qui est injuste !

    _ Mais j’arrêterai de te mépriser, quand tu seras à la hauteur ! Tu auras droit au statut d’adulte, quand tu seras moins égoïste ! Car à quoi penses-tu sinon à tes plaisirs !

    _ Mais toi aussi, tu penses à tes plaisirs ! Prendre plaisir, c’est bien laisser aller sa colère, son mépris ou sa haine ! C’est satisfaire son ego ! Autrement plus difficile est de se réfréner, de prendre sur soi ! Et c’est ce que j’apprends chaque jour, moi !

    _ Comment ? Mais comment tu m’ parles ! Ce n’est pas possible ! Mais tu répliques ? C’est… c’est… TAUTONUS ! »

           La Machine vient de hurler et Tautonus accourt ! En une seconde, il a compris la situation et il renverse Paschic, puis le bourre de coups par terre ! Paschic n’est plus que douleur et il ne bouge plus ! La Machine alors s’adresse à la cantonade et son message vaut bien sûr en premier lieu pour Paschic : « Nous venons tous d’être les témoins d’événements extrêmement graves ! A la haute trahison, Paschic a rajouté la rébellion ! Vous êtes chauffés, nourris, blanchis et la moindre des choses que l’on attend de vous, c’est de la reconnaissance ! Comme vous le savez, la carrière de Tautonus est difficile ! Tout peut s’écrouler demain ! Il nous faut donc nous serrer les coudes, nous montrer solidaires ! C’est ce que ne comprend pas apparemment le soldat Paschic… et il en subit les conséquences ! Ne m’obligez pas à vous soumettre le même traitement ! Au contraire, que l’exemple de Paschic vous soit odieux ! Ce s’ra tout… Rompez ! »

           Il se met à pleuvoir et le soldat Paschic reste seul et couché sur le sol… Ce sont des gouttes ou des larmes qui coulent de ses yeux ? Où est-il ? Qu’est-ce que c’est que ce monde ? Il va falloir qu’il se remette debout ! qu’il ne crève pas de toute l’amertume qui est en lui ! qu’il rentre toute sa haine, toute sa colère ! Certains le voient déjà vieux, comment pourrait-il en être autrement ? Dans son logement, la Machine se croit insultée, être la victime d’un monde d’hommes ! Tautonus lui répond qu’elle a tout à fait raison, car il pense à la stratégie du lendemain !

                                                                                                                     64

          La Machine descend dans sa salle de tortures… Elle est préoccupée… Tout la déçoit, l’exaspère… D’abord, on ne peut compter sur personne ! Tautonus est un homme et donc bête ! Mon Dieu, il faut tout lui expliquer ! et quelle naïveté ! Il croit que ses amis ne vont pas le trahir, lui planter un couteau dans le dos ! Comme s’ils ne voulaient pas eux-mêmes le pouvoir et qu’ils n’attendaient pas dans l’ombre leur tour ! "La politique, c’est un tas d’ fumier, avec des rats d’dans ! Tautonus est comme un enfant et je dois lui apprendre à trancher les gorges, avant qu’on découpe la sienne !"

           Ainsi vont les pensées de la Machine, sur les marches boueuses et glissantes de sa prison ! « Bon qu’est-ce qu’on a ici ? fait-elle intérieurement. Alors, bourreau, du nouveau ? Fait un peu froid chez vous, mais j’imagine qu’un peu d’exercice permet de s’ réchauffer , hein ?

    _ Bien le bonjour, madame ! répond le bourreau, un homme bedonnant. Effectivement, c’est fort humide par ici, mais j’ai mon brasero et je profite de sa chaleur, avant d’aller marquer au fer ! Non, c’est le peu d’éclairage qui est mon principal souci : ma vue baisse, hélas !

    _ Ah çà, bourreau, on n’ rajeunit pas ! C’est pas dans l’ programme et il faut faire avec ! Mais on n’est pas des chiffes molles, que diable ! Alors, comment va notre... patient ?

    _ Difficile à dire ! Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi têtu ! Il refuse toujours d’admettre que vous êtes merveilleuse, extraordinaire ! la mère éternelle et incomparable !

    _ Comment ? Il ne plie pas ? Il résiste encore à mon autorité ? Pourtant, il n’est qu’une ombre dans mon univers ! un ciron ! Je ne comprends pas !

    _ Moi non plus ! J’ai travaillé le bonhomme avec tout mon art ! C’est bien simple, il n’a plus d’ongles ! J’ai entendu craquer chacun d’ ses os ! Il a bu tellement d’eau que c’est moi qui ai fini par être fatigué ! Eh bien, il refuse toujours de signer le papier !

    _ Vous lui avez bien dit ce qu’il allait gagner, en l’ signant ?

    _ Bien sûr ! Je lui ai répété mot pour mot votre raisonnement ! Entre deux frottements au sel, sur ses chairs vives, j’étais là : « Pourquoi s’obstiner monsieur Rank ? La Machine, je veux dire vot’ mère, a raison ! La Révolution féminine est en marche et il faut bien entendu surfer d’ssus pour réussir ! La femme est une victime ! Voilà, monsieur Rank, c’est pas plus compliqué qu’ ça ! Elle est une victime de ses devoirs, des diktats masculins et elle veut naturellement être libre, s’échapper de la triste prison que constitue souvent sa famille » ! « Vive la femme ! » ai je crié d’enthousiasme !

    _ Mais c’est parfait tout ça ! Et vous n’avez pas obtenu de résultats !

    _ Un vrai cœur de pierre, madame ! En cinquante ans d’ carrière, j’en ai pourtant vu, mais là rien ! pas une once de sensibilité ! un monstre ! J’avais sa langue dans la tenaille, prêt à la lâcher au moindre mieux et j’ai rajouté : « Mais nom de Dieu, la vie facile, l’aisance, voire la célébrité te tendent les mains, pauvre couillon ! Suffit d’ signer le papier, d’ surfer sur la Révolution fé… minine ! La femme est une victime ! Et j’ai serré, serré !

    _ Pas trop quand même… ?

    _ Ah, j’étais hors de moi !

    _ C’est aussi l’effet qu’il me fait ! Mais comment est-il maintenant ?

    _ J’ crois qu’il boude !

    _ C’est vrai ? Il boude ?

    _ En tout cas, il bouge plus !

    _ Quel gamin !

    _ Vous savez, cette obstination à ne pas vouloir vous admirer, alors que vous vous sacrifiez pour le bonheur de votre famille, elle n’est pas normale ! C’est l’œuvre du diable !

    _ Allons, bourreau, tu perds la tête ! Te voilà superstitieux ! Il est inconscient ? On ne peut pas le réveiller ?

    _ Voyez vous-même ! »

    Rank est inanimé sur une planche... Ses bras tombent et il est d’une maigreur extrême… « Je suis déçue, dit la Machine, j’ai besoin de compliments, de sentir mon pouvoir ! J’ suis accro !

    _ La vie n’est pas toujours rose ! 

    _ Non, mais il y a des moments où j’ai envie de tout laisser tomber, d’aller voir ailleurs !

    _ C’est bien compréhensible, quand on donne autant qu’ vous ! 

    _ Bon, faut que j’ me sauve ! Les magasins à faire ! C’est Noël, ne l’oubliez pas !

    _ Encore une corvée ! »

                                                                                                                      65

          La Machine est à l’agonie, dolente et elle se plaint à l’abbé Convention, qui l’assiste en ces derniers instants ! « Aaaaatcha ! Aaaatchi ! fait la Machine. Snif ! Voilà la triste fin d’une vie d’ labeur !

    _ Certes ! Certes ! Mais pensez à la félicité qui vous attend ! La récompense est là derrière ! N’en doutez pas ! Tenez, je vous envie ! Car pour vous, ce s’ra direct ! Vous allez vous présenter devant le Créateur, avec sur le front la violence faite aux femmes ! Quel meilleur viatique ? « Heureux celles qui ont souffert en mon nom ! »

    _ Ouais, ouais… J’ai quand même quelques regrets ! Rank, par exemple, il m’a échappé, pfffuit ! Le seul qui a réussi à s’enfuir ! Ça me rend malade !

    _ Allons, allons ! Vous vous faites du mal !

    _ Aaatacha ! Aaaatchi !

    _ Vous voyez ! Détendez-vous ! Je puis vous assurer que les snipers du Ciel, ils ne vont pas l’ louper, vot’ Rank ! Bang ! Bang ! Je vois d’ici sa tête sauter comme une pastèque trop mûre ! J’ai une totale confiance en la colère divine !

    _ Oui, oui, évidemment, mais ça reste un échec, une épine dans l’ talon ! Pourtant, mon plan était parfait ! Mon personnage devait resplendir ! Imaginez l’abbé tous ces petits enfants, tous ces parents qui viennent me rendre hommage, à moi la doyenne ! On vient baiser mon anneau et je bénis tout ce beau monde ! Je suis un modèle pour tous et particulièrement pour les femmes !

    _ Attention au péché d’orgueil ! Ah ! Ah !

    _ Aaaaachouf, aaatcha ! Snif ! Je n’ai jamais perdu d’ vue mon rang, l’abbé ! Mais, au milieu des fleurs et des cadeaux, je vois des sourires malfaisants, qui ont l’air de dire : « Mais où est Rank ? Pourquoi n’est-il pas là ? La Machine ne l’a pas possédé ! Il détient quelque lourd secret ! Demandons à la Machine pourquoi n’est-elle pas toute puissante ! Voyons son embarras, sa honte ! »

    _ Allez, allez, les gens ne sont pas comme ça, surtout dans votre famille, où chacun sûrement veut votre bien !

    _ Quel naïf, vous faites l’abbé ! On voit bien que vous êtes un homme d’église, que vous avez un message à transmettre, mais que vous ne connaissez pas le monde ! Au vrai, mes proches s’enchantent de me voir diminuée et ils souhaitent ma fin, car sans le dire ils me haïssent ! Pensez, depuis leur naissance, je les tiens par la peur ! Ils ont chacun des blessures enfouies, qu’ils n’osent pas me faire payer, mais ils savent que l’exemple de Rank me fragilise et ils en profitent ! Aaaachatc, chtti, chtac ! Oh ! Mon dos ! Aaaah

    _ Tout ce que vous me dites est bien troublant… Voulez-vous que je redresse votre oreiller ? Voilà, vous s’rez mieux… « Aimez ceux qui vous haïssent ! », vous vous rappelez ?

    _ L’heure n’est plus au mensonge, l’abbé ! Comment voulez-vous que je puisse aimer cette petite ordure de Rank ? Il m’a défié et ridiculisé ! Tenez, passez-moi le coffret qui est là derrière vous… Merci !

    _ Qu’est-ce que c’est ?

    _ Un P 38 spécial police ! avec des balles de 9 mm, ça fait des trous gros comme le poing ! Le type ajouré s’arrête net ! Je l’avais acheté pour me protéger des malotrus, dans le sillage de MeToo ! Je ne supporte pas qu’on m’emmerde en réalité ! J’ai des vapeurs, des palpitations dès qu’on m’ contrarie ! C’est plus fort que moi, c’est médical ! Bref, Rank voulait du respect, j’étais prête à lui offrir du plomb !

    _ Mais qu’est-ce que vous voulez faire avec cette arme ?

    _ Je voudrais que terminiez mon œuvre ! que vous apportiez la dernière touche au tableau ! Je pourrais m’en aller soulagée !

    _ Je… je ne comprends toujours pas…

    _ C’est simple, je vous demande de descendre Rank, de l’effacer définitivement, de sorte que même il me devance dans la paix éternelle !

    _ Mais… mais je ne pourrais pas ! Ce s’rait une abomination aux yeux de Dieu !

    _ En êtes-vous vraiment sûr ? Rank est de la pire espèce ! Comment peut-on considérer un enfant qui manque de respect à sa mère ? N’est-ce pas une créature du diable ? Ne rendriez-vous pas service à l’humanité, en nous débarrassant du mal ? Je vois d’ici Dieu se frottant les mains, dans le sang, ravi de voir anéanti un mécréant ! Vous savez combien il a fort à faire !

    _ C’est que…

    _ C’est un service personnel que je vous demande l’abbé… Je crois que vous avez une sœur, que vous aimez beaucoup… Il serait évidemment dommage qu’il lui arrive malheur ! Aaaatcha ! Tchi ! »

                                                                                                                 66

          La Machine prépare un spectacle, dont elle sera la vedette bien entendu ! « Non, non, je veux plus de rideau ! Plus de rouge ! Et les lumières là-haut, c’est quoi ? Des pets de lucioles ! Il faut que ça gicle, qu’on en prenne plein la poire ! Les anges, là, y en a combien ?

    _ Deux cents ! répond Tautonus qui est aux petits soins avec la Machine : il vient en effet de gagner une élection et il tient à montrer sa gratitude.

    _ C’est pas mal, mais leurs ailes sont trop petites ! Il faut revoir ça !

    _ On n’ vas tout de même pas refaire deux cents costumes ! s’exclame un participant.

    _ Et pourquoi pas ? réplique la Machine. On ne réussira pas, si on lésine !

    _ Mais…

    _ Mais quoi ? demande Tautonus, en montrant ses muscles.

    _ Bon on va répéter les enfants ! crie la Machine tout le monde en place ! Où est mon texte ? Ah ! Voilà ! »

         Tout autour on se précipite pour son rôle, tandis que la Machine commence à chanter d’une voix forte : « O moi, la femme, ô moi, l’opprimée ! Je me tourne vers le dieu vengeur ! Je lui demande la justice et la paix sur Terre ! Qu’une auréole nouvelle descende sur la femme ! Qu’un joyau de lumière ceigne son front ! Que son épée, d’acier froid, coupe la tête du mâle cochon ! »

          Le chœur des anges, alors que des flocons tombent et que des cloches carillonnent : « Que viennent nous délivrer la douce femme ! Que son sourire nous emmaillote ! Allons porter la bonne nouvelle ! La domination masculine est terminée, vive la féminine ! Enfant mal aimé, chante ton allégresse ! En fuite est l’ogre masculin ! Agenouillons-nous devant la sainte, la pure ! La joie déborde de nos cœurs, car la Machine s’avance sous l’œil de Dieu ! Elle est l’élue ! »

          La Machine reprend : « Ô moi, la femme, ô moi, l’opprimée ! J’apporte l’espoir à la victime ! Je ne suis qu’amour ! Je n’ai pas d’ambitions et mon égoïsme n’a jamais existé ! La modestie est ma parure ! Nul ne peut me faire de reproches ! Je suis l’agnelle sous le couteau de l’homme ! Je m’offre en sacrifices ! »

           Elle s’interrompt brusquement : « Mais qu’est-ce c’est que ce bazar ! » Deux hommes, tenant une planche, la regardent interloqués ! « C’est quoi c’est deux débiles, qui osent nous interrompre !

    _ Excusez-nous, m’dame, fait l’un d’eux, mais on doit monter le décor et…

    _ Et vous n’avez aucun respect pour l’artiste ! C’est vot’ gueule qui doit passer en premier !

    _ Ben, nous, on peut pas laisser les planches comme ça… Elles pourraient s’abîmer, ou pire causer un accident…

    _ Et bien entendu je dois en pâtir ! Comme si vous ne le faisiez pas exprès ! Je suis sûr que ça vous amuse au fond ! Vous vous croyez des caïds, pas vrai !

    _ Ben, nous, on est payé au Smic…, alors on peut pas être vraiment des caïds, m’dame !

    _ Et vous êtes encore là ? Et comme ils traînent ! Et comme il faut les supporter ! On s’ra jamais prêt ! Ah ! C’est mon manteau d’impératrice ? Vous avez rajouté de la fourrure, comme je l’avais demandé ? »

            A cet instant, Tautonus s’approche de la Machine, pour lui dire : « C’est Rank, il s’est coupé le doigt et il demande si on peut acheter de nouveaux pansements, car ceux qui sont là sont trop grands d’après lui…

    _ Bon sang, mais on va pas quand même pas obéir aux quatre volontés d’ chacun ! Rank est en train d’ nous bouffer, j’ t’assure ! Y en a qu’ pour lui ! Il faut qu’il apprenne qu’il n’est pas le centre du monde !

    _ Très bien, je vais lui dire…

    _ Qu’il se débrouille avec les anciens pansements ! Voilà une attitude viril ! Te laisse pas avoir, Tautonus ! Rank est un sournois ! Derrière son petit sourire, il cherche à nous diviser !

    _ Bon, bon…

    _ Ouh ! On va p’ t-être reprendre la répète ! si les uns et les autres daignent calmer leur égoïsme ! Une chose est sûre : je ne peux pas être au four et au moulin ! Bon, les anges vous m’entourez… La lumière là-haut, vous braquez sur moi ! La musique gronde ! J’entonne le deuxième couplet : « Ô moi, la femme ! Ô moi, l’opprimée ! » 

    Le chœur : « Souriez victimes, la Machine arrive ! Annoncez la bonne nouvelle ! L’agnelle pourfend l’homme méchant ! Les temps généreux commencent ! »

    La Machine : « Un, deux, trois, tous avec moi, c’est la joie ! »

                                                                                                                      67

          Le convoi s’annonce au bruit de ses sabots ! Des dizaines d’hommes apparaissent, avec la même tenue passée et grossière ! Les regards sont las et tristes, d’autant qu’on défile entre des maisons boueuses et les injures des passants ! « Halte ! » crie l’officier à cheval et le bruit des sabots s’arrêtent, ainsi que le cliquetis des chaînes, car chaque prisonnier a un collier au cou ! Que se passe-t-il ? On doit prendre du courrier et des gardiens en uniforme bleu, le fusil en bandoulière, se pressent sous le ciel gris !

          Puis, on repart : direction le port et le bagne ! Qui sont-ils ces forçats ? Des assassins, des violeurs, des voleurs, des comploteurs, des traîtres ? Non, ce sont tous des Paschic ! Ils n’ont pas été chics à l’égard des machines, de leur Machine ! Ils ont dénoncé l’hypocrisie, le mensonge, crié qu’on n’était pas ce que l’on croit, dérangé, scandalisé, de sorte qu’on les a méprisés, rejetés, condamnés à l’exil !

          Inclassables, ils ne conviennent à personne, même pas à ceux qui gueulent tout le temps et qui sont des révoltés de théâtre ! Les Paschics se sont d’abord examinés, combattus eux-mêmes, à la recherche de la vérité, car comment savoir ce qui est juste, si on reste le jouet haineux de son propre égoïsme ! Battus comme l’épée sur l’enclume, leur amour resplendissant est devenu assez ferme, pour résister aux colères affreuses de la Machine !

          Mais, hélas, le système est lâche, les machines trop nombreuses ! L’hypocrisie se défend, elle a trop à perdre et elle est de toute façon à moitié folle ! Les juges n’ont pas hésité et ont prononcé les plus lourdes peines ! Mais soudain une voix lance les premières paroles de la chanson des Paschic et tous les malheureux la reprennent en chœur, se donnant du courage, transformant la marche en un élan sublime !

     

    « Je sais que j’ai raison

    Et qu’ la Machine a tort !

    Du bien nous faisons,

    Quand le reste est retors !

     

    Merde à la Machine !

    Merde à la Machine !

     

    J’ai subi mille avanies

    Et j’ porte des béquilles !

    J’ai été viré du nid

    Et jamais eu d’ coquille !

     

    Merde à la Machine !

    Merde à la Machine !

     

    Nous voilà condamnés

    Entre de tristes murs,

    Mais c’est nous qui sommes nés

    Pour être libres et mûrs !

     

    Merde à la Machine !

    Merde à la Machine ! »

  • Rank (47-51)

    R10

     

                                     "J'ai peur Bob!

                                      _ Mais faut pas mon p'tit! Je suis là!

                                      _Mais c'est de vous dont j'ai peur, Bob!"

                                                                        Le Magnifique

     

                                                               47

          Qu’il y a-t-il de nouveau en ce bas monde ? Les Nez muriques, peut-être ! Qu’est-ce que c’est ? Mais ce sont tous ces gens qui ont le nez dans leur smartphone, comme d’autres (les malheureux !) ont le nez dans la « poudre », comme on dit ! Les Nez muriques ne regardent pas le monde, ils l’ignorent au point qu’ils en deviennent étrangers et que certains commettent les pires extravagances !

          Par exemple, des surfeurs, ainsi que leurs familles, sont surpris par une marée d’un coefficient de 112 (ce qui est exceptionnel) et les sauveteurs sont obligés de les récupérer dans les rochers ! Une honte absolue, car cela montre qu’on ne connaît nullement la mer, alors qu’on se dit en harmonie avec elle ! La moindre des choses, c’est de consulter l’annuaire des marées et la météo, avant une sortie !

          Autre exemple, de jeunes randonneurs, en tennis et shorts, partent en expédition dans la montagne, seulement munis d’une tente à dix euros et d’une couverture pour trois ! Résultat, après une nuit glacée et la perte de leur tente, ils réussissent au matin à appeler les secours, alors qu’ils sont menacés d’hypothermie ! Là encore il faut aller les récupérer…

          On a aussi le jogger qui court sous la pluie froide et des grains de plus en plus violents, l’air de dire : « Ben quoi ! Rien ne peut m’arrêter ! » C’est l’orgueil qui parle et qui fait qu’on ne rentre pas chez soi se réchauffer ! Tout se passe comme si la nature n’existait pas et la liste de ces imprudences est sans fin ! Mais comment pourrait-il en être autrement, puisque les Nez muriques ne vivent que pour eux-mêmes !

           Seule la conscience de leur personne les intéresse, à travers leurs proches, leurs relations, leur cote sur les réseaux sociaux ! Il faut toujours qu’ils se mesurent, qu’il soit question d’eux, mais qu’en est-il du monde qui les entoure, des lois qui nous régissent, de la splendeur et du mystère de la nature ? A chaque fois, c’est leur monde clos qui se déplace, leur bulle et il n’est donc pas étonnant que des accidents arrivent ou que les agressions d’animaux se multiplient ! D’une certaine manière ceux-ci réclament le droit de vivre, du respect !

            Ceux qui les aiment s’enchantent de leur existence, les autres la subissent ! A quelle monstruosité nous arrivons, comme si les villes et nous-mêmes étions les maîtres et que le reste devait nous obéir ! Nous ne savons ni admirer ni aimer ! Ce que nous appelons amour est un lien plein de ténèbres et de haine, où la domination est synonyme de passion ! Pourtant, la nature nous cogne dessus, se rebelle pourrait-on dire, et nous ne faisons pas le poids ! Que de larmes maintenant et à venir ! Que d’effrois soudain ! Le toit s’envole, l’eau rentre ! On panique, mais on ne change pas !

           Les catastrophes nous contraignent à la solidarité, à nous ouvrir, à parler aux autres, c’est déjà ça, mais qu’est-ce qui pourrait nous faire « universels », sans fermetures, ni jugements ! Pourquoi méprisons-nous, si ce n’est parce que nous sommes égoïstes ? De quoi avons-nous peur, si ce n’est de perdre ? Notre société est si confortable que nous pouvons à loisir développer notre personnalité et c’est a priori un progrès, car nous voilà libres de réfléchir à nous-mêmes et au sens que nous pouvons donner à nos vies ! Dans certains pays encore les habitants doivent d’abord cultiver la terre, pour se nourrir : il n’y a pas de supermarchés, ni de magasins de vrac à côté !

           Mais on comprend bien que s’attacher à soi-même comporte un risque et c’est bien entendu se croire le centre du monde ! « Je ne veux pas avoir d’enfants, je veux juste penser à moi ! » s’écrie une jeune fille sur le Web ! Elle lutte pour sa liberté, se dégager des diktats culturels, mais son but n’est pas élevé, ne concerne que son nombril et ne la rendra pas heureuse !

           De même, la théorie du genre peut aider à faire respecter les différences, mais inévitablement elle conduit par sa fausseté aux excès ! Un tel dira qu’il n’a pas choisi son sexe, mais c’est encore une manière de se donner trop d’importance, d’amplifier son égoïsme ! On refoule la nature au profit de son ego et cela donne notamment des jeunes filles déjà botoxées, déjà refaites par la chirurgie, qui ressemblent à des poupées, justement pour se fondre dans un moule, pour ne pas se voir telles qu’elles sont, et ce sont ces mêmes jeunes filles qui à trente ans vont pleurer toutes les larmes de leur corps, car on ne pourra pas retendre leur peau, alors qu’elles auront l’air de petites vieilles parcheminées !

           En fait, elle est là la véritable catastrophe : au moment même où la nature nous donne des coups de boutoirs, pour nous réveiller, nos sociétés sont comme en lévitation, sans racines, sans attaches, seulement accroché au moi, entre le numérique et le quotidien ! Inutile de dire que les égoïstes ne survivront pas, car ce sont les moins à même de supporter le manque !

           Le réveil va être dur, implacable, comme à bord du Titanic ! On est préparé à tout, sauf à souffrir ! Les Nez muriques vont être forcés de lever la tête et il faut qu’on soit menacé de mort pour en arriver là !

                                                                                                           48

          La Machine est morte et elle se retrouve assise dans un bureau encombré et qui sent le moisi… Il y a des piles de dossiers partout et la vétusté de la pièce ne fait aucun doute ! Un homme, vêtu d’une écharpe, écrit laborieusement en face de la Machine et soudain il éternue bruyamment : « Aaaachaaa ! Aaaacha ! Excusez-moi, fait-il avant de prendre son mouchoir et de se moucher. Ah ! Hum ! C’est bien humide ici…

    _ Vous en avez encore pour longtemps ?

    _ Juste une minute…

    _ Bon sang ! Vous ne savez sans doute pas qui je suis ! »

          L’homme lève la tête et regarde la Machine à travers ses grosses lunettes… « Sur Terre, reprend la Machine, j’étais hautement considérée ! Mon mari, c’est Tautonus, un personnage éminent ! Mon notaire était plein d’égards en me recevant, car il connaissait la valeur de mon patrimoine ! 

    _ Mais je n’en doute pas une seconde, madame, mais ici c’est différent… Enfin, si vous désirez vraiment qu’on en vienne à… votre cas, votre dossier doit être dans cette pile… Ah ! Le voici ! Voyons voir combien vous nous devez…

    _ Comment ça ? Je vous dois quelque chose ?

    _ Eh bien, laissez-moi vous expliquer notre fonctionnement… Dieu est amour, mais à chaque fois que vous laissez aller votre haine ou votre mépris, il faut bien que quelqu’un en fasse les frais ! A ce moment-là, vous « prenez », me comprenez-vous ? D’abord, parce que vous donnez satisfaction à votre égoïsme, et ensuite, bien sûr, votre victime souffre : elle est en manque d’amour ! Vous ne travaillez donc pas pour nos intérêts… Au contraire, vous nous ruinez ! Disons que vous utilisez un capital qui n’est pas à vous !

    _ Et si ma victime, comme vous dites, mérite mon mépris !

    _ Vous allez là, madame, sur un terrain extrêmement dangereux ! « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugé ! » Cependant, ce qui fait fructifier nos affaires, c’est que justement on s’efforce d’aimer malgré les circonstances ! Ainsi se propage l’amour…

    _ Mais c’est bien le but que je me suis fixé ! Je ne vois pas ce qu’on…

    _ Vous permettez ? Tout est là, au jour le jour, toutes vos colères, votre mépris, votre haine… Je prends ma petite machine et je vais faire le total ! »

           On n’entend plus que le bruit de l’impression du ticket, à mesure que le « comptable » entre les chiffres et ça n’en finit pas : le papier se déroule, se déroule ! « Mais enfin que comptez-vous ? s’écrie la Machine, il doit y avoir une erreur !

    _ Hélas, non ! répond le comptable. Mais je m’arrête là, bien qu’on n’en soit qu’au premier tiers ! Mais les chiffres sont déjà effarants ! Nous ne sommes plus dans le rouge, mais dans le violet sombre ! De toute façon, c’est hors norme ! Je lis 150 000 tonnes de haine ! 800 000 tonnes de mépris !

    _ Mais… mais je n’ai jamais pris de plaisir dans ma vie ! J’ai élevé quatre enfants ! J’ai soutenu Tautonus ! Je suis à l’origine de sa brillante carrière ! Où est ma place à moi ? Je me suis sacrifiée, là voilà l’histoire !

    _ Je veux bien vous croire, madame, mais il n’en demeure pas moins que les chiffres ne mentent pas ! Ce que vous ne comprenez pas apparemment, c’est qu’on ne se contraint nullement quand on donne libre cours à sa haine et à son mépris ! On n’aime pas dans ce cas ! On conserve son orgueil ! On ne se diminue pas et… on ne connaît pas Dieu ! Ce qui fait qu’aujourd’hui Dieu ne vous connaît pas non plus ! »

            Le comptable fait un geste pour montrer un écriteau sur le mur, qui dit : « Travailler, c’est aimer Dieu ! »

    «  Mais qu’est-ce qu’ j’ vais devenir ? reprend la Machine.

    _ Ben, vous allez vous retrouver avec des gens qui sont pareils à vous et qui vous mépriseront et qui vous haïront, comme vous avez traité les autres ! Autrement dit, c’est la solitude et le désespoir !

    _ Mais… il n’y a pas un moyen pour échapper à ça ?

    _ Si, vous pouvez faire un prêt…, mais il vous faut une caution évidemment !

    _ Mais qui pourrait se porter caution pour moi ?

    _ Quelqu’un de la famille de Dieu !

    _ Je ne vois pas…

    _ Quelqu’un qui pourrait vous pardonner ! Votre créancier principal, par exemple…

    _ Mon créancier principal ?

    _ Votre principale victime, si vous préférez…

    _ Elle a un nom ?

    _ Rank !

    _ Rank ? Vous rigolez ! C’est moi qui l’ai fait ! Il me doit tout !

    _ Comme vous devez tout à Dieu aussi ! »

          A cet instant, la Machine se tait, peut-être pour la première fois de sa vie !

                                                                                                            49

          « Nous sommes ici au camp du Ciel, dit l’instructeur, pour que vous appreniez à respecter l’autre ! Vous n’en avez fait qu’à votre tête sur Terre et donc vous avez tout à apprendre ! Bien, la Machine sort du rang, s’il te plaît ! »

           Personne ne bouge… « La Machine, t’entends ce que je dis ? Viens par ici…

    _ C’est à moi que vous parlez ? demande la Machine d’une voix si douce qu’elle stupéfie tout le monde : comment une femme qui paraît la gentillesse même peut-elle se retrouver ici, dans ce camp de redressement ?

    _ Oui, c’est de toi qu’il s’agit…, explique l’instructeur.

    _ Sachez que j’ai un nom… Je suis madame…

    _ Oui, mais ici, t’es la Machine ! Allez, approche-toi, on va commencer le premier exercice !

    _ Si vous voulez... »

           La Machine exprime une telle modestie, une telle soumission que tout le groupe commence à murmurer : et si Dieu lui-même pouvait être injuste, commettre des erreurs ? « Bon, dit l’instructeur, le mot respect vient du latin spectare, qui veut dire voir ! Respecter, c’est donc voir l’autre, de sorte qu’il ait droit aux mêmes égards que ceux que nous réclamons pour nous-mêmes… Mais… mais pourquoi caches-tu tes mains, la Machine ? »

          Celle-ci fait non, non de la tête : elle ne montrera pas ses mains, elle ne le veut pas par humilité, elle a un secret ! « J’insiste, dit l’instructeur, montre-moi tes mains ! » Cet échange captive soudain le groupe, qui tend la tête… « Allez, ouvre les mains ! fait l’instructeur, qui semble maintenant prêt à forcer la Machine, si bien qu’elle s’avoue vaincue et qu’elle expose ses paumes comme à contrecœur !

    « Oh ! » fait le groupe, tandis que que certains se jettent à genoux, en louant Dieu ! En effet, la Machine présente les stigmates ! « Ah ! Hum ! tousse l’instructeur. Tu as les marques de notre Seigneur ! Es-tu sûre la Machine que tu ne les as pas peintes, pour nous abuser ?

    _ Comment aurais-je pu commettre une telle ignominie ! Ne suis-je pas la servante fidèle du Seigneur ! Ma joie n’est-elle pas de plaire à Dieu ? »

    _ Ouuui ! gémissent ceux qui sont à genoux, dans une extase prolongée par la voix enfantine et pure de la Machine.

    _ Très bien ! reprend l’instructeur. Alors, tu n’auras aucune difficulté à effectuer le premier exercice ! »

    L’instructeur enlève le voile qui couvrait un personnage en carton-pâte ! « Le reconnais-tu ? demande l’instructeur à la Machine, qui ne dit rien. C’est Rank, le soldat Paschic ! Tu le remets !

    _ Bien sûr que je le remets… Est-ce que je peux utiliser ce balai…

    _ Tu veux utiliser un balai pour respecter ?

    _ Cela me paraît indispensable ! »

          La Machine s’approche de Rank et soudain elle le frappe avec toute sa violence ! Le balai s’abat sur la tête de Rank, qui plie, puis les coups pleuvent et le mannequin peu à peu s’affaisse, part en morceaux ! En même temps, la Machine hurle : « Espèce de salopard ! T’as foutu ma vie en l’air ! C’est encore d’ ta faute si j’ dois faire le guignol ici ! Mais quand est-ce que tu vas crever, hein, dis ? Quand est-ce que tu vas enfin m’ foutre la paix ? »

          Le groupe est glacé par tant de haine, de violence ! « Bon, je crois que l’expérience a été concluante… dit l’instructeur.

    _ La… la Machine… glapit quelqu’un. »

          Tous les yeux se portent sur la Machine, qui effectivement subit un changement étrange ! Sa tête s’est ouverte et une grosse fumée noire en sort ! La colonne s’élève dans le ciel et forme une sorte de géant aux yeux étincelants ! « Où est Dieu lui-même ? grince la Machine. J’aimerais lui dire deux mots ! Ah ! Ah ! Où est cette fiotte, cette raclure ? Elle se cache ? Hi ! Hi ! »

    « Elle n’a plus la même voix ! », « Qu’est-ce qui s’est passé ? » entend-on dans le groupe, avant qu’il ne s’éparpille.

    « Allo, la sécurité ? fait l’instructeur dans son portable. On a un problème secteur B ! De quel genre ? Orgueil, force 12, ça vous dit quelque chose ? Vous arrivez ? J’en étais sûr ! »

    « Eh ! L’instructeur ! fait la Machine. T’as vu comment j’ l’ai arrangé, le Rank ? Mais c’est le vrai qu’ je veux ! Le petit protégé de Dieu ! Son lèche-cul ! Tu sais c’ que j’ rêve de lui faire ? Le transformer en chair à saucisses, lentement ! Tout commence et finit par moi ! C’est moi le but ! Personne, t’entends, personne n’est à mon niveau ! »

          Au loin retentissent des sirènes…

                                                                                                           50

          Quant Tautonus, avec son armée, eut conquis les régions du Nord, qui avaient été si promptes à se rebeller, et qu’il eut vaincu la flotte des cruels peuples de l’Ouest, il décida de se reposer ! Il sentait qu’il avait atteint le sommet de sa carrière et qu’il ne pourrait s’élever davantage ! Il était fier de lui et jouissait de sa célébrité ! Il ne chassait pas le quémandeur, il essayait de comprendre la différence, car il ne se sentait plus pressé de faire ses preuves et d’assurer sa sécurité !

           Il regardait l’ensemble de son œuvre et y prenait plaisir ! C’est que Tautonus avait pris conscience entre-temps que nous sommes seuls et que la mort vient tôt ou tard nous chercher, avec son inconnu ou son mystère ! Tautonus voyait donc ses propres limites et savait s’apaiser, au contraire de la Machine, qui n’en avait jamais assez !

          Elle continuait à pousser Tautonus… Elle disait : « Et à l’Est ! On n’y a jamais été ! Ils ne connaissent pas ton nom là-bas ! Quand ils verront ta force, ils plieront le genou devant toi ! »

          Tautonus ne répondait rien, car il savait combien les distances étaient longues vers l’intérieur du continent ! Il mesurait la logistique nécessaire et en frémissait ! De plus, c’était lui qui aurait à combattre, nullement la Machine, et cela seulement le désolait, car il devinait que son corps était déjà fatigué des nombreuses campagnes précédentes et qu’une nouvelle expédition ruinerait sa santé !

           Mais la Machine avait un argument de poids, toujours le même : c’était Tautonus qui avait tiré les marrons du feu ! C’était lui qui était en pleine lumière, qu’on saluait, alors que la Machine avait dû se contenter de l’ombre, que son rôle restait méconnu et que c’était maintenant à son tour de ressentir du plaisir !

          Tautonus culpabilisait et céda ! On s’attela aux préparatifs et il y avait là des centaines d’éléphants, venus de l’Afrique secrète, des chars de toutes sortes, des mercenaires sombres, aux armes étranges, des troupes hérissées de piques, des souffleurs de cors, des enfants, des vivandières, des poules et tout cela s’étendait jusqu’à l’horizon, en un immense nuage de poussière !

          Mais très vite, comme l’avait prévu Tautonus, la route devint interminable, morne, désespérante ! Un grand nombre déserta, quand d’autres refusaient d’aller plus loin, s’installaient dans quelque auberge et attendaient là le retour de l’armée ! La Machine, pour sa part, serrait les dents : elle avait un but, celui de faire reconnaître sa gloire, sa puissance, auprès de tribus qu’elle imaginait sauvages, sans instruction !

           On atteignit les montagnes d’une contrée inquiétante, grise, où les gens semblaient toujours dans la nuit ! Ce fut pourtant en ce lieu que la Machine se fit valoir en pleine lumière ! Elle expliqua qui elle était et comment elle avait bâti un empire et on l’écoutait surtout par curiosité ! Tautonus, lui, ne cessait de rester sur ses gardes… Il redoutait une attaque surprise, qui aurait exigé des forces qu’il ne possédait plus !

           Angoissé, il eut des décisions malheureuses et bien que la Machine eût posé des jalons et parût satisfaite, quand il fallut faire demi-tour, l’armée se perdit, dut revenir sur ses pas, puis aller de nouveau vers l’avant ! On s’embourba dans des marais, où beaucoup périrent, et les fièvres pesèrent sur les survivants ! Le mal que Tautonus percevait déjà en lui s’aggrava ! De retour chez lui, épuisé, il consulta et on lui diagnostiqua une maladie incurable ! Cette dernière conquête l’avait achevé !

          La Machine, elle, restait pimpante ! D’ailleurs, elle attendait une délégation de l’Est, qu’elle pourrait épater par sa richesse et l’étendue de son royaume ! Elle n’avait pas perdu son temps et voyait ses journées toujours pleines ! Puis, Tautonus subitement tomba et mourut ! Ce fut un choc pour la Machine, d’autant qu’elle perdait son « étendard » dans un monde d’hommes !

          Allait-elle décliner, vieillir ? Non, à peine Tautonus était-il enterré que la Machine se rappela Rank et qu’il avait trouvé refuge dans une ville voisine ! Il ne pouvait échapper à la Machine, qui ne supporte pas l’échec et qui ne veut prêter en aucun cas le flanc à ses ennemis, avec un cas tel que celui de Rank !

           Quelques fidèles de Tautonus apportèrent des cadeaux à Rank, pour l’appâter ! Le but était de renouer les liens, afin de mieux les resserrer ! Rank resta sourd, ne « marcha » pas et on décida de changer de tactique ! On harcela la ville de Rank ! On en fit le siège, pendant que des « commandos » furent chargés de kidnapper le soldat Paschic !

            Il demeura introuvable, insaisissable, mais ce qui importe, c’est que la Machine projette, commande, contrôle, règne, quitte à blesser, à tuer, car seule elle compte ! C’est le monde de la Machine ! Le cheval Tautonus est mort, il faut en trouver un autre !

                                                                                                                 51

           Rank ouvre les yeux et les ferme aussitôt, tant il est aveuglé par la lampe qui lui fait face ! Dans l’ombre, des hommes en uniforme attendent… Depuis combien de temps Rank est-il là ? Il ne le sait plus, car les interrogatoires se sont succédés jusqu’à complètement l’abrutir ! On l’abreuve de questions, on le maltraite, puis on le ramène à sa cellule, où soit on l’empêche de dormir, soit on l’humilie, en lui faisant miroiter une nourriture, qu’on retire aussitôt !

            Pourtant, Rank tient bon ! Il refuse de signer une confession, qui le ferait un ennemi de la Machine, complotant sa perte ! Il est accusé de sournoiseries, de mensonges, de manipulations ! Il est un agent étranger, venu saper la famille ! La Machine est entouré par un monde hostile et décadent, dont Rank s’avère le poison destructeur !

            Derrière la lampe, on fume, on murmure, on soupire, puis un des « policiers » jette son mégot et apparaît en pleine lumière ! C’est un type massif, avec une tête comme une brique, et de sa voix caverneuse, il demande : « Encore une fois, qui es-tu ? Qui t’envoie ? Pour qui travailles-tu ?

    _ Je ne sais pas de quoi vous parlez ! Je n’ai rien à voir avec un quelconque complot ! Je suis innocent et je veux un avocat !

    _ Les preuves de ta... duplicité sont accablantes ! répond l’homme qui s’énerve.

    _ Quelles preuves ?

    _ On a trouvé dans le placard de ta chambre des notes, des noms, des dates !

    _ Montrez-les moi ! Tout cela est ridicule ! »

           Le policier lève la main, mais il est arrêté par un nom, le sien, aboyé par un nouvel arrivant : « Lipovtich ! Veuillez laisser cet individu tranquille ! Nous ne sommes plus au Moyen Age, que diable ! Aujourd’hui, nous obtenons beaucoup plus de choses, en se montrant civilisé ! Rank est intelligent et il nous en sera gré d’en tenir compte ! »

            Celui qui vient de parler enlève son manteau et vient s’asseoir sur le bord du bureau… Il détourne la lampe, ce qui soulage Rank, et il lui propose une cigarette ! Rank refuse, mais l’homme allume la sienne et dit : « Je suis le docteur Kimov, psychiatre… Pourquoi ne voulez-vous pas signer votre confession ? Votre hostilité à l’égard de la Machine est évidente ! Vos frères et Tautonus ne s’en plaignent pas ! Vous êtes le seul obstacle à l’harmonie générale… et vous ne pouvez pas tenir ce rôle, sans prendre vos ordres d’une puissance étrangère…

    _ Vous vous trompez ! Je ne suis en aucun cas menteur, sournois ou manipulateur ! Je suis uniquement attaché à la vérité… et c’est pourquoi je refuse d’avouer une culpabilité qui n’existe pas !

    _ La vérité ! fait songeur Kimov, en soufflant de la fumée vers le plafond. Écoutez, la Machine ne peut plus supporter cette situation ! Elle est scandalisé par votre opposition ! Pour le bien de tous, vous reconnaissez que vous agissez à dessein… et que vous le regrettez ! Je vous promets le traitement dû à ceux qui s’amendent !

    _ Et moi, je vous propose une autre version, à condition que vous vouliez bien l’entendre !

    _ Mais je suis là pour ça, pour essayer de comprendre !

    _ Imaginez la Machine paranoïaque ! Se donnant une importance exagérée, elle soupçonne logiquement son entourage de s’occuper d’elle et de lui vouloir du mal ! Cela expliquerait aussi ses colères subites, comme une sorte d’ivresse, de sorte qu’elle ne s’en rappelle même plus une minute plus tard ! Elle m’accuse d’être un manipulateur, car dans son monde elle calcule, ment pour se défendre d’une menace imaginaire ! La sournoise, c’est elle !

    _ Évidemment, vous avez reçu le meilleur entraînement ! répond kimov, qui a terminé sa cigarette et qui l’écrase dans un cendrier. Vous avez réponse à tout ! On pourrait vous interroger pendant des heures et vous n’en démordriez pas ! C’est la Machine qui est malade et pas vous ! Mais nous avons tout de même un point de repère… Tous les autres membres de la famille s’entendent avec la Machine, sauf vous ! Alors qui est le déséquilibré ?

    _ Ah ! Ah ! Vous êtes en train de me dire que l’intégration sociale est un critère de normalité ! Hi ! Hi ! Comme si la société n’était pas la classe qui continue, avec tout le monde sagement assis, redoutant une mauvaise note ! Que faisons-nous là ? Quelle place avons-nous dans l’univers ? Pourquoi le matérialisme occidental est une impasse, puisque nous vivons dans le chaos, malgré notre confort, et que la planète nous tue ? Qu’est-ce qui manque à la raison, pour nous rendre heureux ?

    _ Je n’aime pas vos manières ! Je ne vous aime pas du tout d’ailleurs !

    _ Mince ! »

          Kimov gifle Rank, puis dit aux autres : « Ramenez cette enflure dans sa cellule ! Ne lui donnez pas à manger ! Il finira par craquer et nous donner le nom de ses employeurs ! N’oubliez pas que la Machine veut des résultats ! »

  • Rank (37-42)

    Rank8

     

                         "Mais je ne peux pas vous confesser comme ça, sans séparation!

                           _ Et avec ce gril, ça ira?"

                                                                                   L'Auberge rouge

     

                                                             37

          Comment vont les machines ? Mais bien ! Rappelons-le, les machines ont toujours besoin d’avoir le sentiment de leur importance ; c’est leur carburant et acheter est un bon moyen de se donner de la présence, du pouvoir ! Celui qui n’a pas le sou regarde a priori les jours comme un prisonnier ! Donc, les machines se pressent dans les magasins, qui eux préparent déjà Noël, comme si hors de la consommation il n’y avait point de salut ! Qu’est-ce que ça produit au final ? Mais des troupeaux suant, soupirant, s’énervant, écrasant les caisses, haineux, alors que tout ce beau monde est là pour son plaisir ! Aucune évolution ! Dans le même temps, là-bas, dans d’autres pays, on sourit parce qu’on a de l’eau !

          Mais, grâce à l’IA, la Machine peut acheter un robot, qui a tout l’air d’un être humain ! C’est tout nouveau et ça fait fureur ! La Machine choisit une jeune femme, qu’elle nomme Bona, comme « bonne à » tout faire ! Cela ne veut pas dire que la jeune femme soit destinée aux travaux ménagers (quoiqu'à l’occasion elle pourra aider…), mais Bona est conduite vers un destin plus grand : elle va devenir la confidente et donc l’admiratrice de la Machine ! C’est un des miracles de l’IA : ses robots ou droïdes comprennent ce que veulent leurs propriétaires et s’adaptent ! Ils prennent le rôle qu’on souhaite et ils sont aussi dociles que les chiens, mais avec bien plus de possibilités !

          Voilà donc la Machine, avec Bona, parcourant l’immense propriété de la famille ! Enfin, après des kilomètres, la voiture s’arrête devant la mer : « La limite ! dit la Machine. On ne peut pas aller plus loin…, malheureusement ! » Devant les rouleaux, frangés d’écume, Bona s’écrie : « Comme c’est beau !

    _ Ouais ! J’avoue que j’aime les colères de l’océan ! C’est un peu le miroir de ma force ! »

          Les deux femmes sortent de la voiture et sont accueillies par la puissante haleine du large ! « Ouh ! Ça souffle ! dit encore Bona.

    _ Quand j’ suis arrivée ici, y avait rien ! J’ai dû tout faire moi-même ! Viens, je vais te montrer ma troisième résidence secondaire ! »

          On reprend la voiture et on entre dans le jardin d’une vaste maison, située juste derrière la dune ! « A l’époque, explique la Machine, qui ouvre sa porte, il a fallu qu’on bataille dur, pour obtenir le permis de construire ! On avait déjà des problèmes avec les écolos… Enfin, Tautonus a eu gain de cause… Quand je dis Tautonus, c’est moi derrière évidemment ! Comme tu dois le savoir, Bona, on ne peut pas compter sur les hommes !

    _ C’est magnifique ! dit Bona, qui visite la maison. Et si près de la plage ! Oh ! Vous devez en faire des envieux l’été !

    _ C’est pas le but évidemment ! Mais il est vrai que l’on n’a que ce qu’on mérite ! Le meuble là est en bois massif ! Qu’est-ce que je disais ? Oui, on n’a pas voulu la terrasse trop longue, car on n’est pas des richards non plus !

    _ C’est admirable !

    _ Oui, on essaie de bien faire les choses ! Le travail, ça on connaît ! Et puis, c’est qu’une partie de mon emp…, euh, c’était nécessaire pour que la famille vienne se détendre !

    _ Bien sûr ! Combien avez-vous eu d’enfants ?

    _ Vingt-cinq !

    _ Oh !

    _ Oui, j’estime avoir largement fait mon devoir ! Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour mes plaisirs !

    _ J’ m’en doute !

    _ L’éducation des enfants, la carrière de Tautonus… Qu’est-ce que j’ai eu, moi ? Rien !

    _ Vous vous êtes sacrifiée ! Vous êtes une femme admirable !

    _ Oh ! J’aime bien les gosses ! Même s’ils posent beaucoup de problèmes ! Enfin, certains sont bien égoïstes !

    _ Vous semblez avoir une blessure secrète…

    _ Oui, y en a un qui m’a toujours échappé, qui m’échappe toujours ! J’ comprends pas… il a pourtant eu le même traitement que les autres ! On essaie de tout leur donner et on ne reçoit qu’ingratitude !

    _ Je vois et il s’appelle comment ce garçon ?

    _ Rank ! Rank le maudit ! Il m’a toujours résisté, c’ fumier ! Il a jamais rien fait de bon et il se permet de me juger ! Pour lui, j’ suis d’ la crotte !

    _ Oh ! Comment peut-il être aussi méchant ? Vous êtes une femme magnifique ! Une mère exemplaire ! Et voilà que ce méchant garnement vous fait pleurer !

    _ Oui, il a brisé mon cœur de maman, mais j’ l’aurai ! Snif ! J’ l’écraserai ! Et il me suppliera, c’ microbe ! Ah ! Mais baste, allons voir mes peintures !

    _ Ah ! Parce que vous peignez en plus !

    _ Dame, je n’ suis pas seulement au service des autres ! J’ai encore une sensibilité d’artiste !

    _ Que d’ talents ! »

                                                                                                            38

          « Par ici, je vous prie... » Lucifer en personne montre à la Machine le chemin qu’elle doit suivre ! Le ciel est gris et plus on marche et plus il devient sombre ! Un rumeur monte, qui fait frissonner ! On dirait une mer de plaintes, qui vient battre un rivage ! « Qu’est-ce que c’est ? demande la Machine soudain inquiète.

    _ C’est l’enfer, mon domaine quoi ! Tous ceux qui ont méprisé, écrasé, menti, profité des autres échouent ici ! Ils ont été jugés, pesés et hop ! ils éprouvent les souffrances de leurs victimes ! Évidemment, c’est pas très réjouissant, vous vous en doutez ! Il y a des moments où moi-même je voudrais être ailleurs, je ne vous le cache pas ! Mais la sécurité de l’emploi…, la retraite…

    _ Je croyais qu’il était question de la vie éternelle… Alors pourquoi parler de retraite ?

    _ Parce que j’aime bien me plaindre ! C’est toujours ça de pris, pas vrai ! Qui sait ? Vous pourriez marcher dans la combine et commencer à vous intéresser à moi ! Vous diriez : « Pauvre diable, le boss est bien injuste envers vous ! D’ailleurs qui l’a fait boss, si ce n’est lui-même ? Les privilèges ont assez duré ! Allons lui régler son compte, au tyran ! » Hein ? Douce chanson !

    _ En tout cas, moi, je suis innocente ! Je ne vois pas du tout ce qu’on me reproche !

    _ Bien sûr ! Tous sont là par erreur ! Vous vous êtes battue comme une lionne pour le bien ! Vous avez trimé toute votre vie ! Pas vrai ? Vos bulletins de salaire en témoignent ! Aucun plaisir ! Nul égoïsme ! Des soucis, toujours des soucis ! Jamais heureuse ! Les gosses, le mari, pour quel résultat ? L’ingratitude !

    _ Exactement !

    _ Et le boss, en prononçant le jugement, n’avait pas ses lunettes, ce qui fait qu’il vous a confondue avec quelque souillon !

    _ J’ignore ce qui s’est passé, mais effectivement on a dû se tromper ! Car je ne me sens nullement coupable !

    _ C’est peut-être ça le problème…

    _ Quoi ?

    _ Ben, que vous soyez toujours attachée à votre personne ! Autrement dit qu’il soit impossible de vous satisfaire, car le monde ne peut pas tourner seulement autour de vous ! Vous voilà donc malheureuse, avec le sentiment que vous ne prenez pas de plaisir et que vous êtes maintenant une victime !

    _ Mais vous êtes qui pour me parler comme ça ? Je n’ai aucun compte à vous rendre !

    _ Je vois, je vois… Me permettez-vous tout de même un conseil ? Ici, votre discours sur votre innocence, ça ne prend pas ! Tout le monde s’en moque ! Par contre, il y a toujours moyens d’arranger certaines choses… Par exemple, si vous avez trop chaud, on peut trouver une clim ! Je me suis laissé dire que vous étiez ce qu’on appelle une dame… J’ me trompe ?

    _ Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

    _ Ben, vous avez vécu dans l’aisance… et tout se monnaye ici !

    _ Dame, je n’ai pas mon sac ! C’est bête, j’ai dû le laisser quelque part…

    _ Oh ! Ce n’est pas l’argent qui nous intéresse ! C’est un peu d’amour qui fait le troc ! Rien qu’une petite goutte et c’est un peu de fraîcheur, pour nous autres damnés !

    _ Mais… que faut-il faire ?

    _ Hum ! J’ai là en mains votre histoire… et vous n’avez pas vraiment ménagé un certain Rank ! Vous pourriez essayer de vous excuser…, du moins aller dans ce sens…

    _ Moi, m’excuser auprès de cette ordure ? de ce minus ! En voilà un qui n’a jamais rien fait d’ sa vie ! Il n’ pas même pas été foutu d’obtenir une situation ! Un morveux ! Je voudrais l’écraser comme une punaise !

    _ Je vois, je vois… Il est pourtant dans l’amour du boss, à présent !

    _ Si le boss est miro, qu’est-ce que j’y peux ? Qu’il le garde, son Rank ! Ici, on est chez les durs, les battants, pas vrai ? Les mous, comme Rank, on n’en veut pas !

    _ Ah ! Ah ! J’étais sûr que vous seriez une recrue de premier choix ! Eh ! Eh ! Effectivement, vous allez voir qu’on est ici chez les durs ! chez tous ceux qui se sont servis des autres, pour avoir cette illusion !

    _ Euh… Je ne vous comprends pas…

    _ Vous continuez le chemin… et la « lumière sera » !

    _ Vous ne venez pas avec moi ?

    _ Mais non, les « battants » n’ont pas besoin d’être accompagnés ! Ne me dites pas que vous êtes une fausse costaude !

    _ Bien sûr que non ! J’ai travaillé toute ma vie !

    _ Bien, au bout du chemin… » 

    La Machine avance et il fait de plus en plus sombre, de sorte que c’est bientôt comme une nuit… Autour, il y a des pleurs, des gémissements, des regrets… et pour la première fois, la Machine est seule et n’a plus personne à commander, à mépriser, ce qui lui donnait une existence ! L’effroi de la solitude la frappe de plein fouet et elle se met à crier, crier !

    « Des durs, hein ? » fait le diable un peu plus loin. Pfff ! »

                                                                                                              39

            Depuis quelque temps, Rank a des problèmes de nez… Celui-ci se bouche anormalement et ce serait peut-être génétique, puisque Tautonus a apparemment le même mal, de sorte qu’on est contraint de brûler son bouchon nasal avec une sorte de fer ! Pour éviter une telle extrémité à Rank, on le fait consulter un spécialiste, qui recommande une opération !

           Le jour J, Rank est assis un peu en hauteur, pendant que le chirurgien, équipé d’une large lampe frontale, s’avance ! Derrière se tient une infirmière, au cas sans doute où Rank voudrait soudain s’enfuir ! C’est une opération effectuée sous une anesthésie locale, ce qui fait que Rank peut suivre tout ce qui se passe !

           Le chirurgien introduit dans la narine une pince et il sectionne les deux extrémités d’un petit os (apparemment une pièce qui n’est pas absolument nécessaire…) ! Rank perçoit très distinctement les cassures, qui résonnent dans son cerveau, et il faut aussi un peu tirer l’os, en tournant la pince, car des « ligaments » doivent résister !

            Puis, c’est le tour de l’autre narine et comme Rank sait ce qui l’attend, il verse une larme qu’il sent couler, sans pour autant bouger ! L’opération donc continue et se termine… et Rank est invité à se reposer un certain temps, sur un petit lit… Enfin, le médecin vient le chercher pour le conduire à son bureau… et là, il lui dit quelque chose de très surprenant !

            D’abord, il s’adresse à Rank comme si celui-ci était un véritable être humain, ce qui est éminemment nouveau pour l’intéressé ! Mais voilà son propos : « Je t’avoue Rank que j’ai été surpris par ton calme ! J’ai rarement vu quelqu’un qui a autant confiance dans les autres et dans la vie ! La plupart s’agitent ici ! Mais je me demande même si tu ne fais pas trop confiance ! Peut-être devrais-tu te méfier un peu plus... »

           Rank boit ces paroles, puisque qu’on le respecte, mais en même en temps il ne les comprend pas ! Cela reste du chinois pour lui ! En effet, Rank a toujours eu le sentiment qu’il était chez lui sur Terre ! Cela ne s’explique pas ! Pour Rank, la vie a forcément un sens et donc lui-même est protégé, guidé ! Malgré l’aversion de la Machine, sa souffrance, Rank ne s’est jamais senti abandonné dans l’Univers, où la conscience ne saurait être un accident !

           Mais, pour l’instant, Rank garde les paroles du médecin comme un trésor, dont on ignore la valeur et il est bientôt repris par la Machine, qui est venue le chercher et qui a déjà conversé avec le praticien ! Ainsi, Rank s’attend à des compliments venant de la Machine, car c’est certain il s’est bien comporté ! Mieux, il a fait preuve d’un courage rare, ce qui veut dire qu’il a porté haut les couleurs de la famille !

           Rank imagine très bien la Machine comblée d’aise, devant le discours élogieux du médecin, qui a dû là encore exprimer son étonnement, quant au « stoïcisme », à la maturité du rejeton ! Mais Rank attend en vain un signe de contentement chez la Machine ! Au contraire, elle paraît comme injuriée ! Comment est-ce possible ?

           Mais la Machine ne se voit pas du tout s’abaisser à reconnaître à Rank une quelconque qualité ! Quoi ? Elle prendrait en compte cet avorton, ce minable ? Elle ne le distingue même pas dans son champ de vision ! Complimenter Rank ne rapporterait rien à la Machine, d’autant qu’elle a déjà eu son plaisir, dans le cabinet du médecin ! Soudain elle aboie : « Tiens, voilà de quoi t’acheter un jouet ! Et rentre pas trop tard à la maison ! »

            Elle a planté Rank sur le trottoir et le cadeau, c’est la tradition, les convenances ! Nul amour n’est transmis et si Rank file tout de même au magasin de jouets, il se sent vaguement coupable… Lui aussi achète quelque chose, parce que c’est l’usage… et ainsi il sera plus tard dans ses plaisirs, ses joies, gêné, s’en trouvant indigne !

                                                                                                           40

            Tautonus est né dans un milieu rural, où il s’ennuyait ! La perspective de demeurer là toute sa vie l’épouvantait et il suivit bientôt une formation technique, qui lui permettait d’enseigner ! Pendant tout ce temps, il était pion et portait des chaussures troués l’hiver, ce qui lui faisait honte ! Au fond, il avait pas mal d’ambitions, beaucoup d’orgueil et voulait devenir quelqu’un ! Quand il se maria à la Machine, sa vie changea !

          D’abord, la Machine venait d’une famille plus bourgeoise, plus cultivée, et elle apporta son soutien à Tautonus, parce qu’elle connaissait mieux le monde et la façon de s’exprimer ! D’ailleurs, Tautonus gardera toujours un complexe, à cause de ses connaissances essentiellement techniques ! Mais ensuite la vanité de la Machine est sans limites, car elle se voit encore filleule d’un homme célèbre, ami de son père agrégé de lettres, comme si les dieux s’étaient particulièrement penchés sur son berceau !

            Nul doute que, grâce à la Machine, Tautonus passa la vitesse supérieure ! En fait, Tautonus s’engagea dans le combat politique : il avait une vision, celles d’hommes qui avaient déjà commandé le pays et dont il partageait les valeurs ! Évidemment, on tait les ambitions personnelles, on les nie même : on sert seulement une cause ! On se dévoue pour le bien commun ! On n’existe pas égoïstement, on n’a pas d’envies propres, ainsi qu’on serait impalpable, diaphane, juste animé par le devoir !

           C’est le premier point sur lequel s’accrochent Rank et Tautonus ! Quand le premier fait prendre conscience au second qu’il n’est pas un ange, mais bien constitué de matière, qu’il a lui aussi un amour-propre à satisfaire, celui-ci est outré, suffoque et devient violent ! Pourquoi ? N’est-ce pas là une évidence pour tous ? Mais il s’agit encore de conserver une illusion, car c’est elle qui protège !

           Cependant, le combat pour le pouvoir, l’ascension sociale est âpre, difficile et à chaque échelon, on rencontre des gens qui sont plus riches, plus cultivés et encore plus imbus d’eux-mêmes ! Même la Machine doit souvent se montrer prudente et attendre son heure ! Il faut apprendre à dépasser ses mentors, résister à leur haine et à leurs coups bas ! Patiemment, Tautonus surmonte sa timidité, améliore ses discours, voit plus grand et après quelques succès électoraux, il rejoint l’une des chambres parlementaires !

            Voilà Tautonus dans la capitale et réalisant son rêve ! Il est l’un des acteurs de l’État, il connaît les salons dorés, qui témoignent bien entendu de l’Histoire ! Ils passent de grandes portes, foulent des tapis silencieux, travaillent avec des gens qui murmurent, ironiques, à qui « on ne la fait pas » ! C’est l’élite pour celui qui vient de la campagne ! Tautonus s’invente un personnage, il est arrivé et partout où il va, il aime par-dessus tout briller ! Il s’impose comme centre d’intérêt dans les repas de famille ou les mariages !

           Il subjugue son entourage par sa science du pouvoir, ce domaine qui reste inaccessible au commun des mortels ! Son esprit acéré fait merveille, ses bons mots provoquent l’admiration et il se nourrit de cette gloire, de cet encens distribué par l’étonnement, les yeux ronds, la soumission d’un public naïf ! Bien sûr, la Machine n’est jamais loin et elle aussi profite de la situation ! Tautonus est son œuvre, sa réussite dans un monde d’hommes !

            La Machine peut alors juger toutes les autres femmes, les condamner si elles ne pas sont conquises et ne chantent pas ses louanges ! Le couple la Machine Tautonus rayonne au firmament, boit chaque jour des hommages et pourtant il reproche à Rank sa prétention, sa suffisance, comme si on pouvait sermonner un pauvre hère, ramasseur de patelles pour survivre, au sujet de son arrogance ! Mais c’est ainsi : la domination n’en a jamais assez, car elle ne guérit pas de ses peurs, et ceux qui lui résistent ont forcément droit à sa haine !

           Pour bien montrer à Rank combien il manque d’humilité, Tautonus le coince dans la cuisine et lui lit des citations d’auteurs illustres et moralistes ! L’orgueil y est fustigé de la plus belle manière, jusqu’à ce que Rank s’écrie : « Eh ! Mais c’est un livre que je t’ai offert ! Car je savais combien tu aimes les bons mots ! » Tautonus se trouble et répond bêtement : « Hein ? Non, je ne pense pas… Je ne crois pas... »

             La leçon s’arrête là, puisque Rank, à l’origine du cadeau, apparaît comme le maître… Mais quelque fois l’injustice exagère tellement qu’elle finit par se prendre les pieds dans le tapis ! Elle montre alors son ridicule et pour l’opprimé, c’est une petite victoire, tel un soleil brumeux qui donne tout de même un peu de chaleur ! Même le mal a des limites, qui font qu’il se perd lui-même !

                                                                                                                41

            Rappelons-le, nous ne savons pas vivre ! Tôt ou tard, menés par la domination, nous repartons en guerre, nous générons de nouveaux conflits, nous créons un chaos social, alors que nous sommes tous pareils, tous embarqués sur cette planète qui est menacée de destruction ! Nous voilà de nouveau avec des enfants qui pleurent ou qui sont morts, des populations hagardes, déplacées, des bombes, des bombes et toujours cette haine que nous déversons chaque jour ! Notre modernité devrait nous faire voir cela comme parfaitement insensé, mais nous restons persuadés que nous tuons ou crions pour la juste cause !

             C’est que nous vivons toujours dans une illusion et il n’est pas question que nous changions nous-mêmes ! C’est à nos adversaires de céder, surtout s’ils nous tendent un miroir qui nous montre d’une façon déplaisante ! La domination, c’est l’orgueil et c’est une forteresse, que seul l’amour, la foi peut briser ! C’est pour plaire à Dieu que les êtres humains acceptent d’avoir confiance et de laisser au bord de la route leur amour-propre ! Alors ils deviennent doux et patients ! Ils n’ont plus de hargne, parce que le monde ne les considère pas, ne les écoute pas ! En échange, ils sont en paix et la diffuse !

            Mais ce n’est pas facile, car très peu évoluent ! Et le soldat Paschic est toujours dans la nuit de son quotidien ! C’est toujours la vie de la tranchée ! le froid, la boue, l’ennemi qui attaque par surprise, les ordres qui aboient et qui commandent l’assaut ! Les plaisirs sont rares sur le front ! De plus, Paschic est seul : il voit les autres s’entendre, s’amuser, à l’unisson de l’état-major et il se demande ce qui lui manque ! Il ne reçoit pas de courrier, ce qui fait que personne n’a l’air de s’intéresser à lui ou de partager ses affres ! La routine… Le tabac mouillé… Les tours de garde… Les alertes vraies ou fausses ! Les sanctions… Paschic est déjà passé en conseil de guerre !

            Ce jour-là, Tautonus était en grand uniforme, très digne ! Il déclare : « Soldat Paschic, nous sommes réunis pour juger votre conduite inqualifiable à l’égard de la Machine (elle aussi a trois étoiles au képi!) !

    _ Mais…

    _ Silence soldat Paschic ! L’affaire est d’une gravité extrême ! Encore un mot et j’ cogne ! »

            Paschic est condamné à rester muet et il est déjà jugé ! Il est forcément coupable dès qu’il s’agit de la Machine, car ce que ne supporte pas du tout Tautonus, c’est d’être dérangé dans son confort, ses plans ! Comment pourrait-il rêver de conquérir le monde, avec une Machine qui se plaint à côté et qui risque de démissionner ou de brûler un steak !

           Paschic ne fait pas le poids et pourtant qu’est-ce qu’il en aurait à dire sur les sournoiseries de la Machine ! Tiens, il se laisserait aller, il dirait à Tautonus : « C’est une vraie salope ! Elle vous détruit, vous explose à la figure ! Et la minute d’après elle demande ce que vous avez, pourquoi vous faites cette tête ! J’ai jamais rencontré un tel monstre d’égoïsme ! Elle rendrait fou Dieu lui-même ! »

           Évidemment, il n’est pas question de parler comme ça ! Le personnage de la mère est sacrée : ne lui doit-on pas la vie ? Paschic est donc obligé de tout garder en lui, de subir toutes les avanies sans broncher et il est un peu l’homme à tout faire du régiment ! Aujourd’hui, par exemple, il doit servir à la table de l’état-major, car Tautonus y reçoit sa mère, eh oui, même lui a une maman !

           Et quelle maman ! Une petite femme sombre, qui a toujours l’air en deuil, comme s’il était impossible de la satisfaire et qu’on était forcément coupable ! La Machine et Tautonus la craignent et font tout pour lui arracher un sourire ! « Vous reprendrez bien un peu de gâteau, mamie ! dit la machine d’un ton enjoué.

    _ Non merci, j’en ai déjà eu assez ! répond la maman d’un ton pincé, heureuse encore de rabrouer sa bru. J’ai les pieds un peu froid par contre…, mais vous devez faire des économies de chauffage… »

           Puis, le « jugement dernier » s’en va ! L’« arbre mort » reprend sa route et laisse la Machine et Tautonus humiliés, en colère ! « Quelle horrible bonne femme ! fait la Machine.

    _ Une vraie calamité ! Brrrr !

    _ Une rien du tout ! »

              Hein ? Paschic n’en croit pas ses oreilles ! Comment ? Il est possible de dire du mal des autres, de la mère ? Le fils peut lui manquer complètement de respect ? Mais oui et le soldat Paschic ne peut pas le crier, en profiter pour se défouler ! « Seigneur, ôte nous notre illusion, celle qui nous fait croire que nous sommes bons ! Guéris-nous de notre hypocrisie, afin que nous puissions grandir ! Merci ! »

                                                                                                             42

           Bona, le droïde de la Machine, propose de conduire Rank à son cours de judo… En effet, la Machine, inquiète de l’apathie de Rank, lui a imposé le tatamis ! Elle aurait pu se soupçonner d’avoir la main trop lourde, mais ce n’est pas tous les jours qu’un astéroïde signe la fin des dinosaures ! Rank aimerait assez le judo, car il peut se montrer très combatif, mais le froid du dimanche matin, avec des brutes lui qui tordent le coup, le font reculer ! On ne peut pas ressembler à une enclume et en même temps être doué pour l’estampe ! Or, Rank a encore une sensibilité très délicate !

            Dans la voiture, Bona ne perd pas de temps et sans préambules, elle lance : « Oh ! Comme tu as de la chance, Rank, d’avoir une maman comme la tienne ! » « Mon Dieu, se dit Rank, encore une qui a été endoctrinée par la Machine ! Attention la leçon ! » « Mais oui, Rank, s’extasie Bona, ta mère est une femme extraordinaire ! Elle a tout réussi ! Le succès de Tautonus ! Sa famille ! Elle t’a fait, mon cher Rank, et t’as pas l’air trop raté !

    _ Merci !

    _ Mais oui, t’es en bonne santé ! Tu as tout ce qu’il te faut ! Tu vas pouvoir choisir tes études, le métier qui te convient ! Ah ! Ta mère s’est battue ! Et comme ça dû être dur ! Une femme s’élève, tu penses quels obstacles elle doit rencontrer sur sa route ! Tous ces hommes jaloux qui la méprisent, qui ne rêvent que de la voir tomber ! Eh bien, elle a résisté, Rank ! Et Tautonus peut lui dire merci ! Et toi aussi Rank, car il y a aussi votre aisance, le ranch avec ses dix mille têtes ! Et dire qu’ici il n’y avait que des chardons, avant que ta mère investisse ! »

           Rank étouffe un bâillement… « Je t’ennuie Rank ? s’étonne Bona. Je vois, tu es jeune et tu ne comprends pas ! Tu es encore égoïste et tu ne vois pas les sacrifices de ta mère ! Ça viendra Rank et ce jour-là, tu te rendras compte combien tu as été injuste ! Je n’ai jamais vu une femme aussi extraordinaire que ta mère !

    _ Tu sais ce qui me ferait plaisir… ? C’est que tu me montres tes seins, qui eux sont vraiment superbes !

    _ Non mais, qu’est-ce que j’entends, Rank ! Espèce de sale petit vicieux ! Et voilà le mâle de nouveau dans toute sa splendeur égocentrique ! Ah ! On n’en a pas fini avec vous, les porcs, les messieurs queues !

    _ Excuse-moi, je me suis montré maladroit et même impoli ! Mais tu m’ennuies et je suis un peu perdu ! Figure-toi que la semaine dernière une jeune fille m’a ri au nez, parce que je n’étais pas assez entreprenant ! Elle s’est moqué de ma timidité, de ma gaucherie ! Elle m’a dit qu’elle en avait soupé des chevaliers blancs ! qu’elle ne rêvait que d’une chose, qu’on la dépucelle !

    _ Ah bon ? En tout cas, tu ne crois quand même pas qu’une femme accomplie, comme moi, puisse s’intéresser à des morveux comme toi ! Et puis je te parlais de choses sérieuses, de l’excellence de ta mère !

    _ Arrête la voiture, s’il te plaît ! Je voudrais sortir, j’étouffe ! »

             Bona se range effectivement sur le côté, mais c’est pour mieux interpeler Rank : « Mais enfin qu’est-ce que reproches tant qu’ ça à ta mère ! Elle fait tout pour toi ! » Rank essaye d’ouvrir la portière, mais celle-ci reste fermée ! « Non ,mon petit Rank, fait Bona, personne ne sort de ma voiture sans ma permission ! Or, je suis loin d’en avoir fini avec toi ! » A cet instant, Rank force en vain sur la poignée, puis il appuie sur des boutons du tableau de bord, pour déclencher l’ouverture ! Une alarme se met en route, assourdissante ! Bona se met à étrangler Rank : « Ta mère est formidable, t’entends, petite ordure ! »

            Sentant sa vie en danger, Rank tâtonne, ouvre la boîte à gants et sent un racloir pour le gel ! Il s’en saisit et frappe à coups répétés le cou de Mona ! Elle cède enfin, montrant une large ouverture dans son corps de silicone ! Rank est envahi par l’horreur, car il ignorait tout de cette histoire de droïdes ! L’alarme continue, au milieu de voyants qui clignotent et Bona a maintenant la tête inclinée à quatre-vingt-dix degrés, ce qui laisse apparaître deux fils débranchés ! Malgré son épouvante, Rank répare le circuit et demande : « Qui es-tu, Bona ?

    _ Agent 2830, dernière génération ! Mission : convaincre Rank, par tous les moyens ! Sa maman, une femme magnifique ! »

            Rank se débarrasse de Bona et réussit à sortir du véhicule, puis il court vers le bois le plus proche, voir des feuilles dorées et trempées ! Il aura peut-être la chance d’y entendre un merle ! Il doit bien en rester !