Des convictions
- Le 29/09/2018
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Voici ce qu'écrit le journaliste Henri Rochefort, dans le journal L'Intransigeant, le 18 octobre 1898, à propos des membres de la cour de cassation, qui pourraient se prononcer en faveur de la révision du procès Dreyfus: " Qu'un tortionnaire leur coupe les paupières et qu'on fixe sur le globe de l'œil des araignées venimeuses pour qu'elles rongent la prunelle et le cristallin de ces aveugles hideux, qui seront entraînés à un pilori, devant le palais de justice où s'est commis le crime, avec sur la poitrine cet écriteau: Voici comment la France punit les traîtres qui essaient de la vendre à l'ennemi!"
Quelle haine! Elle est si hargneuse qu'elle perd de l'efficacité et qu'elle révèle plutôt une impuissance! Mais là n'est pas la question... Demandons-nous par contre qu'est-ce qui crée une telle aversion, car l'affaire Dreyfus ne touche pas personnellement notre journaliste; ce n'est pas comme si on lui enlevait sa gamelle ou lui marchait sur le pied! D'ailleurs, à cette époque, toute la France sera coupée en deux, entre dreyfusards et antidreyfusards, et des familles s'en trouveront même déchirées!
Bien entendu, l'affaire Dreyfus constitue un sommet dans l'histoire des troubles qui agitent l'opinion, mais incessamment l'actualité et l'environnement en général nous interpellent et nous conduisent à nous faire une idée, à prendre un parti; même si cette opération est le plus souvent inconsciente et ne se révèle que quand nous heurte une vision opposée à la nôtre! Mais ainsi s'établissent en nous des convictions et comprendre comment elles fonctionnent va nous permettre de cerner notre évolution et peut-être même la nature du génie!
Mais d'abord il convient de regarder l'origine de nos convictions et ici, si nous étions sincères et de bonne volonté, nous aurions de quoi calmer tous nos emportements et méditer! Une occasion nous serait donner d'être plus sages et plus conciliants avec les autres, car ce qui fait le ferment de nos convictions n'est rien d'autre que notre milieu familial, que nous n'avons pas choisi! A priori donc notre pensée n'est pas le fruit d'une réflexion personnelle, mais elle est un héritage, un façonnement dû aux parents, et notre vérité dépend avant tout du quartier qui nous a vus naître!
En France, on peut parler de deux sensibilités politiques, la droite et la gauche, qui viennent d'une très longue histoire! La droite est essentiellement conservatrice, car elle est issue de la noblesse, l'ancienne classe des privilégiés et des nantis, qui, on le comprend bien, ne voyait aucun intérêt au changement! La droite est encore fondamentalement croyante, toujours à cause de son passé, car la royauté avait besoin de l'approbation du culte et tous deux se partageaient le pouvoir, avant de trouver la même chute!
Mais, aujourd'hui, la droite reste l'image des convenances! Elle est gardienne des bonnes manières et parle volontiers de morale! Elle paraît responsable, car ses rapports avec l'argent sont toujours très sérieux et elle veut donc porter l'étendard de la stabilité! Mais elle symbolise aussi l'égoïsme, le confort étriqué de la petite bourgeoisie... et dans son extrémisme, elle se montre nationaliste, résolument hostile à l'élément étranger, ce qui est le signe d'un comportement rétrograde!
Par opposition, la gauche est née du cri du pauvre contre le riche, du peuple contre son oppresseur! C'est sa colère qui provoque la Révolution, qui coupe les têtes! C'est sa soif de justice qui déclare que tous les hommes sont égaux! C'est sa rage, son obstination qui installent légalement la République, par la constitution de 1875! C'est encore sa haine qui sépare l'Eglise de l'Etat, car elle exècre et craint tout à la fois tout ce qui pourrait la ramener vers l'Ancien régime! C'est la championne de la laïcité!
La gauche représente traditionnellement la liberté, la culture, le progrès! Mais de nos jours elle combat difficilement l'hégémonie du libéralisme, d'autant qu'elle a gardé la réputation d'être une mauvaise gestionnaire, et bien souvent elle n'apparaît plus que comme le garde-fou de la droite! Cependant, radicale, elle n'est pas moins violente que celle-ci! Sa mémoire est pleine de sang et à vouloir défendre l'individu, elle l'a écrasé sans remords! Cela semble l'écho éternel d'une vengeance!
Ainsi sommes-nous plutôt de droite ou plutôt de gauche, selon notre enfance, et nous devrions encore davantage nous méfier de nos préjugés, car la politique ne cesse d'évoluer! La mondialisation a tellement réduit la marge de manœuvres des gouvernements que les partis s'uniformisent, au point de disparaître! Ce phénomène a profité, il y a peu de temps, à une personnalité hybride, le président Macron, qui normalement a un esprit de gauche, avec des manières de droite; à moins que ce ne soit le contraire! Quoi qu'il en soit, une telle situation ne peut pas ne pas faire évoluer nos convictions, ce qui explique encore moins qu'elles puissent être haineuses!
Mais ici nous pénétrons dans un univers plein d'immondices, qui a totalement échappé à papa Freud! Soudain, il fait nuit et inquiets, nous entendons des murmures et peut-être aussi des gémissements! Puis, c'est le silence! Une pâle clarté se voit tout de même et nous nous dirigeons vers elle... Nous découvrons une statue, au visage imposant et qui regarde devant lui! Autour, nulle présence... Nous sommes seuls! Nous nous raclons la gorge et nous crions: "Oh là! Y a quelqu'un?"
Mais seul l'écho nous répond, ce qui rend notre appel d'autant plus lugubre! Notre isolement est tel que la tristesse nous envahit, que la peur nous taraude! La panique n'est pas loin! Si on ne se reprenait pas, on se mettrait à demander pardon à la statue! Ce serait plus fort que nous! comme si son impassibilité contenait un muet reproche! On pleurerait, on supplierait, on reconnaîtrait son erreur, on dirait qu'on a été fou, égoïste, méchant et qu'on ne recommencera plus! On se sentirait coupable sans savoir pourquoi! On divaguerait tant la situation est atroce!
L'indifférence de la statue nous écrase et nous n'en finissons pas de mesurer toute son horreur! Qui a pu construire une telle monstruosité? Peu à peu, nous essayons de comprendre... Nous tentons de pénétrer l'esprit de ses bâtisseurs... Pourquoi ont-ils voulu donner à la statue une pareille hauteur, une telle froideur? C'est de la haine, mais elle est glacée, muette, inaccessible! Si encore le visage exprimait la colère, on pourrait discuter avec lui! Il aurait des griefs et nous des arguments! Il y aurait un débat! ou du moins on pourrait l'imaginer! On inventerait un dialogue, on se défendrait, on existerait!
Mais la statue interdit cela... Elle nous laisse tranquilles, mais avec un poids, une souffrance! C'est sa présence silencieuse qui nous blesse! Elle nous déteste, c'est certain, mais tout son marbre le nie en même temps! Il nous faut continuer notre route, retrouver notre quotidien, oublier ce cauchemar! Il reste pourtant une plaie, car c'est un nouvel échec! Encore une fois, nous avons rencontré l'hostilité, la fermeture, la dureté; et le doute, le chagrin, l'incompréhension ou la folie ont gagné du terrain! Là-bas, le vent emporte la poussière du socle de la statue et on peut lire son nom: Le Mépris!
C'est en effet grâce à lui que nos convictions se défendent le mieux! La haine est une de ses faiblesses! Car elle est encore un sentiment visible, qui nous donne une réalité, bien que nous en soyons la cible! Il est souvent possible de calmer la haine, de la raisonner, mais le mépris, lui, apparemment ne nous considère même pas! Il n'y a aucun échange et celui qui méprise garde donc ses convictions intactes, tout en fragilisant celles de l'autre! Cela est d'autant plus vrai quand c'est un groupe qui méprise un seul individu, puisque bien entendu le nombre fait la force! Or, cette situation est bien celle que la nouveauté éprouve face à l'idée commune et à l'hypocrisie!
Mais que nous révèle le mépris? D'abord qu'il n'a pas de véritables arguments! S'il en avait, il serait bien trop content d'imposer son point de vue! C'est même cette absence qui le provoque! Car ce que ne veut surtout pas le mépris, c'est reconnaître que ses convictions sont fausses, ce qui entraînerait qu'il perde le pouvoir, au profit de celui dont les convictions sont plus vraies! Le mépris tient donc à son autorité, parce qu'il est ambitieux! Mais il indique encore qu'il n'est ni heureux, ni solide, car épanoui et sûr de lui, il serait curieux de la différence! Il ne verrait aucun inconvénient à apprendre! Enfin, notez que le mépris ne peut exister sans la soif de dominer et qu'il signale donc le tyran!
On peut rajouter que plus une conviction est nouvelle, plus elle heurte les anciennes et plus elle rencontre hostilité, haine et mépris! Au fond, cette réaction ne fait que prolonger celle de l'animal à l'égard de toute différence! Mais prenons l'exemple fameux de la théorie de l'Evolution...
Elle porte un coup décisif à l'anthropocentrisme; les religions apparemment s'écroulent! Soudain, nous voilà le fruit du hasard et il faudra toute la pensée de Teilhard de Chardin, pour justement utiliser l'Evolution comme un vaste développement de la matière jusqu'à la conscience! Aujourd'hui, ce que contient la théorie de Darwin est toujours si explosif que la situation ressemble beaucoup à un statu quo! Nombreux sont ceux qui restent aveugles et sourds, méprisant sans l'admettre!
Il ne faudrait surtout pas croire qu'une théorie scientifique s'impose par la preuve! Ce serait montrer une grande naïveté! Actuellement, il est toujours impossible de savoir si les OGM sont nocifs ou non! Les chercheurs qui leur sont favorables s'opposent aux chercheurs qui leur sont contraires! Ce sont les intérêts et donc les convictions qui l'emportent! Wallace, qui avait pourtant été l'un des pionniers de l'Evolution et qui avait même inventé le mot darwinisme, s'est par la suite rétracté! C'est son sentiment qui l'a conduit à cette volte-face et il ne serait sans doute pas exagéré de dire que la science progresse faute d'adversaires!
Mais cela sous-entendrait encore que l'humanité évolue malgré elle! Comment serait-ce possible?
Si on explique le génie, qui est la conviction éminemment nouvelle, par l'autisme ou la schizophrénie, on peut se demander pourquoi l'idée d'un malade, d'un inadapté devient celle de la majorité, alors que dans l'Evolution il est bien question d'adaptations! On cherche le mieux et non le pire! Mais sans doute faut-il voir dans cette hypothèse de la science une nette distinction entre le génie scientifique et artistique... et ce ne serait pas la première fois que ce mépris s'affiche: papa Freud en a même abusé! Mais encore une fois croire que la science convainc par la preuve est une joyeuse illusion!
Il pourrait exister une autre hypothèse, bien plus intéressante et aussi bien plus vertigineuse! Mais, comme je ne suis pas un scientifique, nous resterons bien entendu sur le seul plan de l'idée! Enlevons quand même la bonde!
Et si le génie trouvait son origine dans une mutation génétique! Etudions ce principe, avant le tollé de la science!
D'abord, il faudrait reconnaître que l'Evolution continue essentiellement en nous, et même à une puissance exponentielle! Certes, les animaux poursuivent leur route, mais ils ont vraiment l'air de vieillards ou d'automates, au regard de nos transformations, même si leur histoire et donc la nôtre se compte en millions d'années!
On peut admettre que c'est notre conscience qui connaît aujourd'hui les principales mutations! Comment, puisque nous avons tous le même cerveau à la naissance? Mais c'est en premier notre sensibilité qui nous informe sur le monde; notre compréhension en découle... Mais d'où vient-elle?
Ce n'est pas à moi d'y répondre... Mais si le génie est un fruit de la nature, alors il devient normal qu'il finisse par s'imposer, malgré les mauvaises volontés! Car au fond il ne serait que le germe d'une meilleure adaptation! (Cela conduirait par ailleurs à ce que la dérive génétique n'existe pas... et le sujet dépasse bien entendu mes pauvres méninges...)
En tout cas, il reste pour l'instant inexplicable qu'un individu se batte contre vents et marées, qu'il essuie tout le mépris de la terre, pour ce qu'il croit être la vérité, qu'il en meure même, jusqu'à ce que la postérité lui donne raison et que son idée devienne celle toute le monde, comme s'il en avait toujours été ainsi!
L'hypothèse que le génie est une nécessité de la nature expliquerait bien d'autres choses..., notamment que "les yeux sont la lampe du corps"! Plus nous sommes égoïstes et plus nous luttons contre notre maturation, car nous nous attachons à notre vie animale, au détriment de notre raison... Nous luttons donc contre l'Evolution de l'homme, ce qui explique que notre intérieur soit brouillé, fermé; alors qu'il pourrait laisser passer la lumière qui ne demande en lui qu'à se développer!
L'homme est le seul être qui peut s'opposer à la nature... et nous résistons au bien! Mais aussi folle que puisse paraître cette conception, elle est ma conviction et notez que rien n'est plus difficile que d'avancer dans l'inconnu, autrement dit de "faire le boulot" des autres! Cela conduit à une telle fatigue qu'on se dégoûte soi-même!
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