De la tortue

  • Le 02/02/2019
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De la tortue

 

 

    Un journaliste algérien, présent à Bagdad lors de la guerre en Irak, en repart déçu après la victoire américaine, car c'est encore le Sud qui a perdu face au Nord! Certes, Saddam Hussein était un dictateur sanguinaire, mais il avait osé défié les puissants! Ainsi, le monde arabe a suivi les événements un peu comme on assiste à un match de football, entre une petite équipe et une grosse; alors que la rencontre se termine selon la logique et que les supporters des plus faibles sont désespérés!

    Cette façon de voir est difficilement compréhensible pour les hommes du Nord, puisqu'ils sont toujours du côté des gagnants et que leur amour-propre est souvent satisfait; mais ceux du Sud ont l'impression d'éprouver un éternel marasme, une défaite perpétuelle, qui les ronge et les rend assoiffés! C'est la vie animale qui continue en nous et qui veut que nous soyons dominants, triomphants, supérieurs, et même les hommes du Nord sentent bien combien leur patriotisme peut être sensible!

    D'ailleurs, il ne faut pas voir d'autres raisons à la montée du terrorisme! Le 12 octobre 2000, un petit bateau, bourré d'explosifs, fonce sur le USS Cole, amarré dans le port d'Aden. Bilan: dix-sept marins tués et de nombreux blessés à bord du destroyer américain! Après cette attaque, qualifiée de grande victoire par Ben Laden, les camps d'entraînement d'Al-Qaïda se remplissent au Yémen!

    Ce n'est pas que la foi progresse; c'est plutôt que le coup porté redonne de l'espoir, dynamise et montre que tous les efforts ne sont pas vains! D'une certaine manière, le Sud échappe à sa dépression par le terrorisme! D'ailleurs, la mémoire de Ben Laden crée des situations ambigües, car il est non seulement le monstre à l'origine du 11 septembre, mais encore il reste comme celui qui a mis à genoux l'Amérique! Grâce à lui, l'islam est considéré, alors que jusque là il ne suscitait qu'indifférence  et le Sud, quand il est aveuglé par sa haine, le voit comme un champion!

    Cependant, nous pouvons nous demander quels ont été ses derniers sentiments, quand on l'a mis en joue; non par sadisme, mais pour bien préciser certaines choses, car il est impossible pour un tyran, qu'il soit petit ou grand, d'avoir une foi solide! Soit on s'admire et on est le centre de son existence, soit on y place Dieu ou Allah, en le comprenant toujours plus! Les deux façons de faire s'excluent!

    Certes, le tyran peut se servir de Dieu, mais celui-ci lui demeure une chose abstraite, comme la mort! Ainsi, quand la catastrophe survient, c'est bien sa fin que voit le tyran et Ben Laden a dû éprouver, comme la plupart de ses victimes, une surprise mêlée d'horreur! Le sage, par contre, effectue normalement en mourant un pas supplémentaire!

    Ceci étant, les Etats-Unis sont en partie responsables de leur malheur... On ne peut pas déclarer avec force qu'on est le chef, sans en subir les conséquences! Certains westerns ne racontent-ils pas comment le meilleur tireur de l'Ouest doit s'attendre à être défié, ce qui l'empêche d'avoir une vie normale?

    Plus un tyran s'obstine et s'impose et plus il se crée des ennemis; c'est inévitable! Ainsi, la réaction violente et abusive du trio Bush, Cheney, Rumsfeld, à la suite de l'effondrement des Twin Towers, a placé leur pays dans une spirale infernale! La guerre menée en Irak, notamment, a provoqué un chaos qui n'a profité qu'au terrorisme, avec l'arrivée d'Al-Zarqaoui, appartenant à Al-Qaïda, jusqu'à la naissance de Daesh!

    De même, les tortures, les humiliations infligées aux prisonniers irakiens ont nourri la haine du monde musulman et l'a fait crier vengeance! Si on méprise son adversaire, on décuple également ses forces!

    Obama, qui paraît plus mature et plus posé, utilisera pourtant les mêmes méthodes discutables que son prédécesseur, notamment l'attaque de drones sur des cibles, au risque de tuer des innocents! Quant au nationalisme exacerbé de Trump, inutile d'expliquer pourquoi il ne peut que faire pire! Mais au fond comment pourrait-il en être autrement? En effet, nous vivons toujours aujourd'hui comme si rien n'avait été dit, ni écrit, ni vécu dans le domaine spirituel! Nous nous comportons comme si nous n'avions pas d'histoire ou que les expériences passées ne servaient à rien! Le tyran prolifère et dicte sa loi!

    Par exemple, nous allons au distributeur et nous sentons dans notre dos toute l'exaspération d'une femme qui arrive! Nous sommes donc détesté, parce que nous sommes le premier devant la machine, alors que nous n'avions vu personne! Mais ce n'est pas tout... Une fois que nous avons nos billets en main et que nous nous retirons, nous butons contre la femme, qui en nous barrant la route tient à nous rappeler toute sa haine!

    Question: comment peut-on se mettre dans un tel état, pour une chose qui est tout à fait naturelle? Cependant, cette incivilité, cette agressivité se répète dix ou même vingt fois dans la journée! Elle est suivie de petites sœurs, qui lui ressemblent fortement, ou de grands frères, comme des regards chargés de haine, à l'autre bout de la rue, de personnes que l'on ne connaît ni d'Eve, ni d'Adam, mais qui ont tout de même jugé qu'on méritait leur mépris! Dieu est en ville et on ne le savait même pas!

    Ici, c'est pour nous l'occasion de revenir sur l'incroyable naïveté de Freud et consorts! Car comment peut-on croire que ce que nous sommes ne dépend que de notre histoire, de notre enfance? Comment peut-on ignorer la domination, qui a une origine parfaitement naturelle et qui nous conduit a priori à vouloir supplanter l'autre, quand on ne veut pas carrément le détruire? La seule raison qui pourrait expliquer la cécité freudienne, ce n'est pas tant qu'il fût un précurseur, un pionnier, mais bien plutôt qu'il fut un tyran lui-même, à un certain degré!

    En effet, tant qu'on exerce sa tyrannie, on ne prend pas conscience de son existence, ni du phénomène auquel elle appartient! Ce n'est qu'en se détachant complètement de son désir de vaincre ou de s'imposer, qu'on mesure pleinement la logique générale qui nous dirige et qui façonne notre monde! Ainsi, il n'est pas rare de constater combien est exagérée la portée de maintes découvertes scientifiques, au point qu'elles ont une influence néfaste!

    Dans le cas de la psychologie, c'est le concept d'extraversion que l'on pourrait mettre sur la sellette, car au fond il est vain et dénué de sens! L'extraverti est défini comme un individu parfaitement intégré, équilibré, puisqu'il ne refoule pas excessivement ses pulsions! Il aime le plaisir et est donc sociable! Mais, si on y regarde de plus près, c'est un tyran qu'on aperçoit! En fait, l'extraverti s'admire assez pour trouver absolument normal que le monde tourne autour de lui... Il accepte la hiérarchie ambiante, car il y joue le rôle de chef... Sa situation confirme son importance, qu'il soit un homme ou une femme!

    Il est aimable tant qu'on le regarde selon ses souhaits! Ses peurs, sa fragilité sont masquées par la force de son égoïsme et sa haine est là pour le protéger... Il ne voit aucun inconvénient à y avoir recours, de même qu'il assouvit sans contrainte la plupart de ses besoins! La névrose n'a pas de prise sur lui, car il est supérieur! En cas de doute, il se ferme et méprise! C'est un animal dans le cadre d'une société! C'est un tyran qui est le parangon de la psychologie!   

    Il est par ailleurs stupéfiant de voir dans quelle illusion vit l'extraverti! Tel adolescent, dans le bus, se lève, en ne finissant pas d'être ravi par la beauté de son corps! Il est déjà prêt à montrer sa suprématie, qu'il considère comme évidente! Pourtant, il habite toujours chez papa et maman, il sait à peine se moucher et son monde est extrêmement sécurisé! D'aucuns d'ailleurs pourrait le voir comme une petite crapule, mais apparemment il n'a jamais pris de coups,  ni même éprouvé l'angoisse que cause la menace d'un plus fort!

    Si, comme il est juste de le penser, nos traumatismes nous incitent à la prudence, c'est dire, malgré leurs récriminations, dans quel confort s'installent la plupart des tyrans! Une position sociale sans soucis est aussi un privilège de l'égoïsme et la timbale est gagnée quand le travail sert les ambitions, ainsi qu'on le voit notamment en politique!

    Mais tel autre, dans le train, se croit irrésistible, alors qu'une chiquenaude ferait s'envoler son corps malingre! Et une femme ici a le comportement d'une bombe sexuelle, en pesant plus de cent kilos! A croire que nous existons par intérim dans la réalité et que le reste du temps nous évoluons dans les pages d'un roman de capes et d'épées!

    Cependant, au pôle opposé, celui qui est environné de brumes et qui a mauvaise réputation, on trouve l'introverti! La bête noire de nos sociétés! L'esprit chagrin! Le maladroit! Le besogneux! Le lent! Le faible! Le boulet! L'inadapté! Le paresseux! L'éteignoir! L'ombre!

    Qu'est-ce qui le caractérise? Oh, c'est principalement sa tristesse, sa mélancolie, sa dépression comme dit la suprématie anglo-saxonne! D'où vient-elle? Mais l'introverti est plutôt un doux, un tendre, un fragile, un peureux même ou plutôt un craintif! Il est donc plus en proie aux traumatismes qu'un autre et pour parler brièvement, il a comme des nœuds dans le cerveau!

    Ses peurs, ses doutes l'empêchent de libérer sa sensualité, de lui donner satisfaction; alors que l'extraverti pérore, triomphe et jouit! L'introverti soupire, à force de se refouler; il est victime de langueurs, mais, hélas, il n'existe pas de remèdes miracles!

    Une psychothérapie ou une analyse seraient intéressantes, si elles-mêmes prenaient en compte le monde réel, mais ce n'est pas le cas! Toujours est-il que l'introverti ne verra son soleil qu'avec le temps! Ce sera le résultat de sa maturité!

    Car c'est un travail du doute et pleins d'interrogations qui se déroule dans l'introverti... C'est un chemin patient et même douloureux! La souffrance est souvent la borne du bas-côté, selon qu'elle est plus ou moins intense... C'est elle qui indique les kilomètres parcourues!

    L'introverti se consume, désespère, mais résiste tout de même... Il endure, car il sait qu'il se transforme, que des rouages jouent... Il n'est pas aveugle non plus sur le soi-disant bonheur ou l'apparente réussite de l'extraverti! Ses yeux se dessillent peu à peu... Les contradictions du monde lui apparaissent... et il y gagne à essayer de les résoudre! Le doute est formateur!

    L'introverti comprend encore qu'il a été la victime d'un tyran ou d'un extraverti! On aura pris sa douceur pour de la faiblesse... et le tyran veut qu'on lui soit soumis! Il veut des hommages et qu'on reconnaisse son importance; c'est ce qui le fait vivre!

    Mais l'introverti se demande comment on peut admirer un ballon de baudruche, d'autant que celui-ci s'imagine dense comme du plomb! Au fond, entre l'introverti et l'extraverti, c'est comme dans la fable du Lièvre et de la tortue!

    Il y en a un qui jubile, qui est fort, rapide comme l'éclair; qui tient lieu de modèle, qui est lumineux, qui rassure tout le monde! Et puis, il y en a un autre inquiétant..., qui peine, qui semble dur comme du bois; aussi laid qu'idiot! D'ailleurs, on peut s'en moquer et même s'asseoir dessus; il ne dira rien; au contraire, il sera même heureux de ce qu'il prendra comme une marque d'intérêt!

    L'extraverti est sérieux, compétent, responsable et pourtant, le bien le plus précieux lui échappe! C'est le trésor de l'introverti; le résultat de sa patience, de sa méditation, de sa contemplation, de sa lenteur, de sa sensibilité plus fine!

    Il est possible à l'introverti de devenir un sage, d'acquérir sa paix, ce qui est sa grande force! Le sage ne dépend pas des autres pour être heureux, même si bien entendu il est toujours agréable d'être aimé! Mais il trouve son équilibre dans la compréhension de la sagesse, en vérifiant les lois qui nous régissent, ce qui le conduit même à la compassion!

    Le tyran, lui, a toujours besoin de dominer, sinon il est perdu! Il faut que tôt ou tard les autres lui confirment sa valeur, et s'ils ne le font pas, alors le tyran les écrasera et les méprisera! En fait, il prend de force, ce qu'on ne veut pas lui donner volontiers, d'où son agitation, sa tension, sa violence!

    Et la logique du tyran est infernale et destructrice! Plus la situation est difficile et lui est défavorable, et plus il affirme son égoïsme et sa dureté, et plus il crée un monde tel que nous le connaissons: aveugle, stressant, angoissant, sans amour!

    Si on se replace sur la scène internationale, d'où nous sommes partis, avec la politique américaine, cela donne la guerre en Irak, ou en Somalie, ou en Afghanistan, étendue au Pakistan! Ce sont toutes des foyers de haine, qui ont vu le développement du fanatisme islamique; ce qu'on voulait justement éviter!    

    Autrement dit, suivons la tortue!

 
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