De la lutte

  • Le 30/07/2018
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De la lutte

 

 

 

 

    Chaque jour, nous nous demandons comment pourrions-nous être plus heureux. En effet, il n'est pas rare que nous nous sentions inquiets, lourds, abattus. Nous cherchons alors quelle est la faille, l'erreur de notre vie... Est-ce notre solitude ou au contraire notre couple? Travaillons-nous trop ou pas assez? Avons-nous fait preuve d'arrogance, de suffisance, d'égoïsme, ou ne sommes-nous pas plutôt trop accommodant, trop serviable, trop laxiste?

    Nous essayons de voir clair dans les brumes de notre cerveau, nous voudrions une éclaircie, un peu de joie, un peu d'espoir... Nous serions tellement heureux d'être sur la bonne route! Mais, hélas, la solution se dérobe; le raisonnement se perd; les frêles idées que nous avions édifiées s'écroulent et nous avons l'impression que notre réflexion ne sert à rien, qu'elle est vaine, puisque sans fin!

    Pour échapper à notre tourment, nous nous donnons des devoirs, des obligations... C'est d'abord un métier, avec des horaires, des ordres, un fonctionnement que l'on ne discute pas! Certes, il faut travailler pour vivre, mais on comprend bien que plus on a peur et plus on veut que sa chaîne soit lourde!

    On fonde encore une famille, plus par crainte que par envie! On se rassure de ne plus être seul  et bientôt l'éducation des enfants ne laisse guère de libertés! Il faut incessamment s'occuper d'eux et le temps passe comme un tourbillon!

    On obéit et on ne pense plus... On en vient pourtant à se plaindre de sa situation! On est exploité au travail; les enfants n'ont pas de cœur; les impôts, le gouvernement, les Russes, les émigrés! On est insatisfait, comme si notre vie nous avait été imposée, comme si on n'avait pas eu le choix, ainsi qu'on aurait habité dans l'ancien empire soviétique!

    Par ignorance, mais aussi par hypocrisie, on oublie qu'on a fui la liberté, l'inconnu, le douloureux effort d'être soi! On n'a pas voulu découvrir, attendre; on a jugé la solitude trop lourde et même anormale!

    D'ailleurs, pour éviter tout embarras, toute angoisse, nous voyons des signes, comme si la Providence décidait pour nous! Nous nous inventons des TOC ou nous consultons l'astrologie! La télévision n'est-elle pas comme une seconde famille, un indéfinissable cordon ombilical? (Mais qui n'a jamais été saisi de dégoût devant l'égoïsme de ses animateurs ou la bêtise de ses journalistes?)

    Mais on veut tout, sauf cette incertitude, ce vide qui semble s'ouvrir devant nos vies et qui nous met si mal à l'aise! De là, l'idée de la psychanalyse que nous avons la nostalgie du stade fœtal! Dans le liquide amniotique, nous étions effectivement sans soucis (quoique déjà influencés par l'environnement!) et peut-être vient de là encore notre penchant pour la perfection, car ne symbolise-t-elle pas un état dépourvu de questions, de tensions?

    Cependant, vivons-nous vraiment comme à regret? La psychanalyse est teintée de tragédie et c'est sans doute dû aux origines germaniques de Freud, car les grandes forêts font les grands rêveurs et ce sont bien les Allemands qui ont inventé le romantisme!

    Mais, par ailleurs, quel est le message essentiel de la psychanalyse? que si nous refoulons trop nos pulsions, nous sommes conduits à la névrose? Nous sommes d'accord! Mais satisfaire ses pulsions ne nous rend pas heureux pour autant! Nous ne sommes pas faits pour vivre comme les animaux; ils n'ont pas nos inquiétudes!

    En fait, la psychanalyse ne sait pas ce que nous voulons et c'est pourquoi elle ne peut pas beaucoup nous aider... Elle n'utilise pas l'Evolution... Mais nous voulons être! Nous voulons dominer, que notre personnalité prenne toute sa dimension, nous voulons réussir, sentir toute notre valeur! Et a priori quoi de plus naturel! C'est bien un héritage animal! Le cerf qui triomphe, c'est nous! La lionne qui tue, c'est nous!

    Nous glissons donc vers la victoire, l'égoïsme, le culte de soi! De là encore notre aversion pour l'anonymat, la patience et même l'effort! Ce n'est pas par nostalgie que nous fuyons ce dernier, mais c'est parce qu'il nous semble contraire à notre idéal! Pourquoi s'astreindre à la nuit, quand on veut le soleil?

    Mais regardons le monde! Normalement, la compétition sportive devrait être le meilleur moyen d'exprimer notre soif de vaincre! L'épreuve est la même pour tous et c'est le plus fort qui gagne! C'est l'instinct satisfait sans effusion de sang! C'est la domination dans la paix! C'est la loi de la jungle civilisée!

    Mais les Bleus gagnent le Mondial et les Belges les méprisent, et certains Italiens racistes les traînent dans la boue! C'est la jalousie qui parle et qui ne respecte plus le sport! On bout, on veut tellement gagner!

    [Notez qu'au lendemain de la résistance héroïque de Bir Hakeim, le ministre de Mussolini, Ciano, a déclaré que si les troupes françaises s'étaient si bien comportées, c'était parce qu'elles étaient majoritairement constituées de Juifs et de Tziganes, qui savaient qu'ils seraient condamnés à mort s'ils étaient pris! La façon italienne de dénigrer le voisin n'est donc pas nouvelle!]

    Cependant, des manifestations qui fêtent l'Equipe de France émergent des casseurs, car c'est l'occasion pour eux de se montrer, de se faire valoir, par la violence, la crainte qu'ils inspirent!

    De même, des spectateurs du Tour de France s'exhibent, gênent les coureurs, prennent quasiment leur place, ou les menacent ou les insultent!

    Chez les femmes, l'égoïsme est plus feutré, plus séduisant, plus ambigu aussi... et il est surtout visible sur les réseaux sociaux. On y expose son superbe corps, on s'adore, on se divinise sous les yeux de milliers d'abonnés!

    La réalité est toute autre: on est crispée devant l'objectif; les photos sont retouchées; on est déjà vieille ou c'est une lutte acharnée pour montrer qu'on est encore là, alors que de plus jeunes sont prêtes à tout pour s'imposer! On y fait aussi souvent preuve de mauvais goût et d'une sensualité qui se veut torride, mais qui tourne au ridicule!

    [Savez-vous qu'il est possible d'acheter des "followers"? En Russie, paraît-il, n'importe quel kiosque en vend par "paquets" de mille!]

    Quant à l'Amérique de Trump, combien ne serait-elle pas surprise si on pouvait lui faire comprendre qu'elle se comporte comme l'Allemagne nazie! Bien sûr, elle ne partage pas ses idées racistes et sa folie meurtrière, mais elle obéit somme toute à la même logique!

    Trump, tout comme le Führer, flatte l'égoïsme des masses; il le grandit, l'affirme: c'est la montée d'un nationalisme qui s'ignore! Même si Trump fait des erreurs et apparaît sur bien des points insupportable, sa popularité ne baisse pas, car la majorité y trouve son compte! On lui raconte toujours la même histoire, qu'elle est supérieure, plus puissante que les autres, qu'elle peut dominer le monde!

    Comme 1940 est passée par là (autre temps, autres mœurs!), il n'est pas pour l'instant question pour Trump d'engager un grand conflit armé, mais il mène pourtant une guerre mondiale, qui est commerciale, et l'Europe principalement s'inquiète de ses agissements, comme elle redoutait ceux d'Hitler... L'angoisse, bien qu'à un degré moindre, est de nouveau là!

    On retrouve aussi les armes de tout dictateur, l'actualité de toute dictature... Ce sont les  pressions, les ultimatums, les ruptures d'alliances! Tous les partenaires commerciaux de l'Iran notamment sont menacés de représailles, s'ils ne quittent pas le pays! Trump veut économiquement mettre à genoux l'Iran, comme si elle n'allait pas réagir, comme si on pouvait anéantir une nation et que la différence n'était pas nécessaire à l'équilibre général! Les leçons de l'histoire, du Viêt-Nam ou du 11 septembre, sont oubliées!

    Dans le même temps, Israël se voit des ailes! Le "rugissement" de Trump lui donne des coudées plus franches et on bombarde volontiers la bande de Gaza et on "fait des cartons" en Syrie! On "roule des mécaniques" sur la scène internationale, avec des morts!  

    Inutile de dire que les vues étroites de l'égoïsme tourne "l'élastique" de la planète et que tôt ou tard il faudra qu'il se libère! Il y aura alors de nouveau des pleurs et de la souffrance, mais personne encore une fois ne s'en sentira responsable! On "chauffe" la Terre, comme si elle n'était pas déjà sur le feu!

    N'en déplaise à Trump et consorts, mais la domination "absolue", la suprématie de la vie animale chez les hommes, a déjà été essayée, par Hitler, et on a vu avec quel résultat! Mais on répète les mêmes comportements, faute de les comprendre et parce qu'ils nous séduisent!

    Cependant, à l'inverse de ces attitudes, il y a le regard de la personnalité dépressive... C'est le pôle opposé, qui va nous aider à trouver le juste milieu... Avec la dépression, le sentiment de soi disparaît; l'individualité devient même quelque chose d'incompréhensible, d'absurde et même de repoussant, car on n'est plus capable de lutter! Le désespoir est un poison qui travestit les idées!

    Sous son joug, on peut par exemple faire preuve d'une générosité excessive, tel Van Gogh dans le Borinage, offrant ses chaussures en hiver à des pauvres, comme si lui-même n'en avait pas besoin! Dans ces conditions, il n'est pas rare non plus d'être habité d'un message de paix (on voudrait que tout de monde sur le champ s'embrasse!), mais celui-ci nie notre soif naturelle de dominer et il reste donc lettre morte, car il est impossible de détruire l'instinct!

    Par contre, diriger la lutte, le développement de notre personnalité, vers autre chose que notre suprématie n'a rien de maladif! Au contraire, c'est un progrès, à condition déjà de se rendre compte de l'impasse de notre comportement animal! La nature nous a dotés de la conscience, demandons-lui des comptes! puisque c'est elle qui fait notre spécificité! Si elle n'était pas capable d'invention, si elle n'était que matière inerte, il n'y aurait aucune avancée ni dans les sciences, ni dans les arts, ni même ailleurs!

    Chaque jour, inventons notre vie! Ayons le courage de sonder, d'éprouver l'inconnu! Posons le pied sur des idées, pour voir si elles sont solides! Si elles s'écroulent, on restera de marbre devant ceux qui les colportent! Si au contraire elles affermissent notre pas, personne ne pourra plus nous en faire douter! Cet exercice, cette pratique et même cette aventure ne contredisent en rien la sélection naturelle... et les Républicains américains, qui voient dans le manque de libéralisme un risque de dégénérescence pour l'humanité, peuvent être rassurés (je suis soucieux du bien-être de tous...)!

    Car on comprend bien tout le poids d'un choix quotidien! Il est tellement plus facile d'obéir! et même de crier après les devoirs, les obligations d'une vie qu'on s'est pourtant empressé d'adopter, pour se sentir en sécurité! Et même de jalouser et de mépriser ceux qui paraissent plus libres, plus heureux, bien que eux aient eu le courage de braver leur peur, de mettre en péril leur domination, leur supériorité... La connaissance, la vérité sont hors des sentiers battus et demandent moins d'audace que d'humilité!

    Seul celui qui cherche peut savoir! C'est sa richesse! Et que vaut une existence qui balance entre l'ignorance et la haine? Elle n'a pas d'excuse! Si encore on avait essayé de voir plus loin que son égoïsme, comme on regarde au-delà d'une chaîne de montagne! Si on l'avait laissé là, comme un chien à la niche, et si on était revenu déçu par la "grande ville"; ainsi que les hommes eussent englouti, ignoré nos meilleurs efforts; alors là, oui, on pourrait murmurer et même maudire à l'aise, les pieds dans les chenets! Mais s'il y a bien une chose dont on n'a jamais voulu se séparer, qu'on a préservé comme une relique, c'est bien son amour-propre! On veut être au sommet sur une carte postale!

    On veut obstinément être le chef et peu importe au fond si on est malheureux! On juge, on discrédite, on a des opinions sur tout; on affirme qu'il n'y a pas de vie après la mort; on est fier de son athéisme, car on se sent affranchi; mais on n'a jamais même mis le nez dehors! On a toujours évité les courants d'air et a fortiori on n'a aucune idée de la puissance du vent, de l'infini de la vie, de sa richesse inépuisable, de sa force inaltérable, de son mystère prenant, captivant, ensorcelant, aussi profond que lumineux!

    On ne connaît rien de la peine, du désert, du silence; et même de la vaillance! On ne sait rien du désarroi, de l'abandon, de la peur! On ne voit pas la dureté du combat, ce qu'il demande chaque jour! On est dans son "fauteuil", ruminant, l'air altier dans la rue; on n'a qu'un dieu, soi-même! Et on s'éteint dans le brouillard, qu'on n'a jamais quitté!

 

 

 

 
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