De l'emprisonnement

  • Le 08/11/2018
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Enfermement

 

 

 

    Le tyran n'est pas libre, comme nous allons le voir à travers quelques exemples. Ils vont nous permettre de mieux comprendre le comportement du tyran, sa logique, et pourquoi la situation n'évolue pas, ce qui fait qu'elle est toujours aussi oppressante!

    Mais le tyran est comme les animaux, il répète chaque jour les mêmes attitudes, les mêmes défauts, les mêmes "vices" et il est à l'origine de son propre malheur et on ne pourrait que le plaindre, s'il ne blessait pas les autres et ne rendait pas la vie insupportable!

    Le tyran est comme la fourmi qui se débat dans le cône du fourmilion, sauf que c'est encore lui le dévoreur! Sa destruction est inéluctable et il est facile d'en être le témoin, au point qu'il est même tentant d'intervenir et ainsi d'améliorer la vie de tous!

    Mais le tyran n'apprend pas et même ne veut pas apprendre, et en tout cas lui donner la solution de ses problèmes susciterait forcément sa haine, son rejet et il nous faut donc nous contenter de regarder un spectacle connu, avec tout l'aveuglement dont le tyran l'enrobe! 

    Car le tyran ne voit pas le monde! Sa seule étrave, c'est la domination! Les autres n'existent que comme faire-valoir! Le tyran ne trouve son équilibre que dans la satisfaction de son égoïsme! Il est un univers clos, dont il est le centre et qu'il ne fait que déplacer!

    Mais place aux exemples, ce sera plus simple...

    T est traiteuse et rêve de dominer les halles où elle travaille. Elle se campe volontiers devant son échoppe, discutant avec un tel, mais surveillant également les alentours. Elle "trône" ainsi et a l'impression d'être d'un personnage important!

    Mais dès qu'elle aperçoit un élément étranger, c'est-à-dire quelqu'un qui est hors de son influence, elle fait grise mine et la haine, le dégoût affleurent sur son visage; pas trop cependant, car le nouvel arrivant est le plus souvent un client, qu'il faut bien servir!

    Le oui qu'elle répond au client, quand il demande ce qu'il veut, est celui d'une maîtresse à un élève qui a bien compris le problème qu'on lui a posé! La position dominante est toujours là! Par ailleurs, si T est énervée, sa voix sèche et son attitude autoritaire pressent le client, qui se sent subitement comme un boxeur asphyxié dans les cordes!  

    Sur l'étal est mis en évidence l'article d'un magazine, consacré à la réussite du mari de T et qui le nomme "le roi des charcutiers!" Evidemment, le magazine est une occasion de parler du mari, mais aussi de T qui ne devient vraiment aimable que quand il est question d'elle! Tout ce qui ne touche pas à T ne mérite que son mépris! Jamais elle ne se montrera curieuse des autres... Le monde n'a un sens que si T le dirige!

    T est volubile dès qu'on fait mine de s'intéresser à elle: elle prend incessamment! Elle est intarissable sur elle-même, sur ses petits soucis, sa santé, ses opinions; comme s'il était naturel qu'on fût à son écoute... et elle n'entend les propos de son interlocuteur que s'ils lui permettent d'être encore le centre d'intérêt! T ne donne donc rien, au contraire elle épuise!

    Pour couronner le tout, T est péremptoire, a des jugements sur tout, connaît tout, est pleine de sentences, de critiques; elle règle son compte aux uns et aux autres, entre deux tranches de jambon! C'est un maelström, un bloc verbal qui assomme et qui laisse T comme un sorte de sommité, qu'on est venu consulter... et qu'on paye, même si on repart écrasé!

    Cependant, comme tous les tyrans, T a des problèmes, car, on s'en doute bien, une telle attitude, une telle fermeture ne permet pas de résoudre les inquiétudes! Rappelons-le, imposer notre individualité, en assurer la suprématie, est nous comporter comme les animaux, ce que notre conscience nous interdit en quelque sorte, puisqu'elle nous fait voir et notre isolement dans l'espace et notre mort et même la souffrance des autres, pour ne citer que ces choses! C'est la conscience qui détient la clé de notre bonheur, c'est vers elle que nous devons aller, et cela implique le contrôle de nos instincts et donc de notre égoïsme!

    Si celui-ci nous mène, il nous est impossible de trouver la paix et d'apaiser nos angoisses! Elles continuent leur travail de sape, comme chez T! Un matin, T, taraudée par quelque anxiété, veut faire deux choses à la fois... et en déchargeant son camion, elle tombe douloureusement sur le genou! T se met alors à boiter... Qu'à cela ne tienne! T ne perd pas la face, son mal ne sera qu'une occasion d'aller voir le kiné!

    Ici, il est curieux de voir comment les femmes font fi de toutes les consignes, dès que leur corps souffre! Le passage quasiment obligatoire par le médecin traitant, avant la consultation chez un spécialiste, est jeté par-dessus les moulins! La femme prend les devants, elle-même médecin, et elle court auprès de celui qu'elle juge le plus capable de lui apporter du bien! Peu importe la dépense... et les dépenses, puisque la sécurité sociale va bientôt être concernée! Quant aux soins, cela va de l'ostéopathe au neurologue, en passant par quelques sorciers!

    L'homme, lui, est plutôt lâche et fuit la vérité médicale, ce qui n'est pas mieux...; mais on peut constater dès à présent que, malgré sa bonne morale, sa fierté citoyenne et de contribuable, T, à cause de son égoïsme et de ses ambitions, coûte déjà plus cher à l'Etat ou à la société qu'un bénéficiaire du RSA, ou peu s'en faut, et ce genre d'analyse devrait être matière à réflexion, car notre avenir ne réside pas dans les éternels débats sur le bon fonctionnement de l'économie... Nous devons saisir les choses tout autrement; c'est sur le sens de nos vies que nous devons nous interroger!

    Toujours est-il que T boite et que ça ne se répare pas... Son calvaire n'est pas fini et ne fait même que commencer! Cependant, après quelques mois et de nombreuses séances de kiné, le genou dorloté va mieux, mais maintenant c'est le dos qui se bloque, qui coince et qui fait mal! Qu'à cela ne tienne! T ne perd pas la face, elle avait prévu le "coup": il était normal que le corps compensant, il blesse une autre de ses parties!

    Il ne viendrait pas à l'idée de T que c'est sa nervosité, son anxiété et même tout ce qu'elle ne veut pas voir, qui point ainsi à travers ses douleurs..., qui demande à être "regardé" et que cela ne peut pas vraiment se soigner grâce à la médecine! Ce sont d'autres soins dont a besoin T et ils ne sont pas non plus psychologiques!

    De même T voudrait maigrir, pour redevenir séduisante..., mais ce n'est pas possible de manger moins quand on est fatigué, quand on s'épuise! La nourriture est vue comme un renforcement et même tel un anesthésiant, car on ne veut surtout pas se réveiller durant la nuit, alors qu'on a tant de sommeil à rattraper! On se "bourre" donc et le matin, sur la balance, on ne peut que pleurer! Malgré ses efforts, T s'empâte et son corps de plus en plus lourd et de moins en moins souple risque des blessures de plus en plus graves!

    On voudrait aider T, car, on le voit, il lui suffirait de "lever le pied", de prendre du repos, de se détendre! C'est tout à fait possible, puisque T est déjà son propre maître, gagne bien sa vie et paye sans peine ses factures... Moins d'heures, moins de fatigue ne dépendraient que d'un peu plus de modestie dans le train de vie... Le relâchement viendrait avec un autre regard, du recul, mais T est esclave de son égoïsme, de son amour-propre!

    D'abord, ralentir pour T serait senti comme une déchéance, comme un échec! Ensuite, placer le problème au niveau de l'orgueil, de l'égoïsme, serait mettre T devant une réalité quasi insoutenable! Elle serait contrainte de se voir sans fard, dans une lumière trop crue, et le déni et la haine et le rejet s'ensuivraient! La réaction de T serait un mélange de violence, de surdité et on noierait bien vite le poisson, afin que tout revienne comme avant, comme si rien n'avait été dit! L'effort aurait été stérile!

    Cela est d'autant plus vrai que le tyran vit dans une illusion, qui explique son aveuglement, son incapacité à voir simplement la solution et aussi malheureusement le fait que le monde ne change pas ou si peu! Pourquoi aujourd'hui que nous avons tout, confort et démocratie, sommes-nous toujours dans la peine, la souffrance? Mais T se pose volontiers en victime; elle aime préciser que tel jour férié, alors que les autres courent déjà au bal, elle s'astreindra encore à sa comptabilité ou à mener à bien une dernière commande... T aurait pu avoir un papa gardien de phare!

    L'illusion ne permet pas de cerner la réalité, elle la transforme même! Combien de femmes n'ont pas été surprises un jour de se voir désirées par un individu bedonnant et suant, qui n'avait aucun charme? Cette outrecuidance les a désarçonnées plutôt deux fois qu'une, car leur refus a provoqué de la haine et du mépris, chez celui qui a été repoussé et qui de toute façon était repoussant! Mais ceci est aussi valable du côté des hommes, qui sont choqués par les prétentions de grosses ou de vieilles, qui les maudissent devant leur froideur! Quelle n'est pas la force de notre amour-propre, pour nous donner le beau rôle, quel que soit notre état de délabrement!

    Il y a encore des femmes qui parlent comme si elles répondaient à un interview de Marie-Claire! Elles se racontent sous forme de rubriques: travail, famille, amour et elles ont un hobby aussi artificiel qu'une jambe de bois! Puis, pour conclure, elles avouent en riant qu'elles sont heureuses, comme s'il fallait en avoir un peu honte, mais cela souligne aussi combien elles sont malignes et le haut degré de leur réussite!

    Ces femmes n'existent pas vraiment et elles sont sous les apparences perdues... La vie n'a rien du papier luisant et des photos chaudes des magazines! Mais combien d'hommes ne gardent pas une âme de Matamore et ne rêvent pas, pratiquement éveillés, de se débarrasser d'une bande de voyous, en frappant promptement et efficacement; tandis qu'ils sont déjà essoufflés à se tenir debout, au-dessus de leur bedaine et la clope au bec!

    Le tyran est un petit roi ou une petite reine qui partout installe son univers! Il dispose sa dinette et les autres doivent se mettre au diapason, c'est-à-dire qu'ils vont éprouver la domination du tyran et donc la "forfanterie" de son illusion! Par exemple, dans le TER, un homme au centre du wagon fait claquer ses chaussures, pour bien montrer le poids de sa présence et attirer l'attention! Puis, assis, il déplie vigoureusement son journal, en arborant au bout de ses jambes croisées la propreté impeccable de ses chaussettes et le vernis brillant de ses souliers!

    "Voilà un homme!", devrait-on se dire, car le tyran ne craint pas le ridicule et veut des admirateurs! De même, une femme dans son coin nous invite à suivre chacun de ses gestes... Elle secoue ses cheveux, elle enlève lentement son écharpe, découvrant un peau couleur de neige; elle étend un pied qu'elle veut le plus mignon du monde! Elle cherche à devenir le centre d'intérêt, comme notre lecteur de journal, et tous deux ne perçoivent le monde que pour l'asservir!

    Le sage, au contraire, ne voit plus les autres à travers le prisme de sa domination, car il n'en désire plus aucune! Ce n'est pas qu'il trouve ses voisins a priori sympathiques, loin de là! Mais il les considère comme des êtres propres, avec leur singularité! En un mot, il les respecte et il n'exerce pas sur eux son pouvoir, ce qui fait qu'il est dépourvu de haine à leur égard! La réalité du sage n'est pas une bulle constituée par l'amour-propre; c'est une charpente infinie bâtie par les lois de la sagesse! Et puisque c'est une affaire de logique, il devrait être permis à chacun d'y accéder!

    Cependant, le cas de T n'a rien d'exceptionnel; c'est au contraire celui que l'on rencontre le plus souvent, c'est en fait le schéma type du tyran! Il se débat dans la nuit et se détruit! Certes, T doit parfois éclater en sanglots, juger que c'est trop dur: elle craque, comme on dit, et elle a bien été un être humain à une certaine époque! Une jeune fille aimable et serviable apparaît par moments dans sa personne, mais d'une manière bien trop fugitive et l'égoïsme reprend vite le dessus!

    Ainsi, que les tyrans se heurtent à un mur, jusqu'à disparaître, serait somme toute mérité, mais le problème est que nous vivons "ensemble"! Ce sont les autres qui créent notre environnement et celui-ci exerce forcément sur nous une pression! Or, le tyran est comme le désert autour du puits, alors que le sage est l'inverse! L'"empreinte" psychologique du tyran est terrifiante: elle est pour l'esprit comme une centrale à charbon pour l'azur!

    Le tyran vide incessamment, il perturbe, il blesse, il écrase! On a beau être aimable avec lui, pour l'amadouer ou l'apaiser, il prend cela pour de l'intérêt et redouble d'égocentrisme! C'est de nouveau de lui qu'il parle, c'est de nouveau de ses grandes qualités dont il est question!

    Le tyran ne sort pas de ce comportement; il ne comprend pas qu'il répète les mêmes erreurs; il est comme enfermé, et le lendemain rien d'étonnant à ce qu'il soit encore plus maussade, plus mal! Mais c'est la faute des émigrés, dira-t-il, et le sage s'en va, impuissant et quelque peu écœuré (même si certains émigrés sont eux-mêmes des tyrans!)!

    Le corps de T finira par céder, apprendra-t-elle à partir de là?

 
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