Dans la bauge

  • Le 25/05/2019
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Dans la bauge

 

 

 

 

    Comme chaque jour, nous nous heurtons au tyran. Nous sommes à faire nos courses, à un étal ou à la boulangerie, et le voilà qui arrive, aussi précis qu'un train, aussi rapide qu'une mouche! Aussitôt, il pèse et l'image la meilleure qui pourrait le représenter est celle-ci... Einstein découvre que la gravitation, bien qu'elle obéisse aux lois de Newton, est en fait un champ gravitationnel, car la masse des astres déforme l'espace... La lumière elle-même est déviée et le tyran a une action similaire: il veut être le centre du monde, grâce à la tension qui l'habite!

    Nous voudrions nous tourner vers lui, pour lui dire: "Si je comprends bien, dès que vous êtes là, il faut que les autres dégagent, c'est ça?" Le tyran montrerait d'abord de la surprise, de l'incompréhension, comme si nous étions nous-même l'impoli ou fou! Il faudrait alors lui expliquer que personne ne met de la mauvaise volonté, que c'est à chacun son tour et qu'il ne doit pas faire pression sur les autres, qu'il n'a pas à les serrer comme ça! (Qu'il se détende, bon sang!)

    Face à ce discours, le tyran ne conviendrait de rien; il pourrait même se récrier et s'excuser, comme s'il s'agissait d'un malentendu; mais, dans le fond de son cœur, il vous haïrait, son orgueil étant piqué! Il reculerait néanmoins et vous laisserait plus d'espace, mais une telle explication vous aurait épuisé et vous ne la recommenceriez pas de sitôt!

    Aussi l'attitude la plus courante face au tyran est-elle une résistance silencieuse, secrète pourrait-on dire! Sous la menace, on se relâche encore plus, on respire plus profondément, on se défend en devenant plus calme, plus dense; on prend son temps... Non par bravade, pour envenimer les choses, mais par respect pour soi, pour refuser l'égoïsme et la bêtise! Car ce n'est que cela: il n'y a pas de gens pressés, il n'y a que des bébés attardés, qui ne savent pas se contrôler!

    Cependant, même si on résiste au tyran, il nous oblige à réagir et c'est encore une usure; alors qu'un autre monde est imaginable, où chacun respecterait l'autre! Mais, comme on ne cède pas au tyran, celui-ci enrage et peut faire valoir sa haine davantage! Il se campe par exemple près de nous, son air de dégoût nous analysant de la tête aux pieds! Il peut encore nous coller encore plus, de sorte qu'il nous semble, quand on se retourne, telle une matière molle, dont on aurait de la peine à se débarrasser... Il est possible enfin qu'il nous donne carrément un coup de coude au passage, qui serait mis, si on le relevait, sur le compte de l'étroitesse des lieux ou de la distraction... Mais c'est pourtant une véritable petite agression, qui laisse entrevoir au bord de quels abîmes nous vivons!

    Mais nous croyons qu'il ne faut surtout pas croiser les yeux du tyran, le considérer, car la pire insulte pour lui, c'est l'indifférence! Non seulement celle-ci le blesse au plus profond, mais elle lui montre aussi le visage encore lointain de l'angoisse! En effet, le tyran ne voit qu'un monde, le sien, celui qu'il domine! Les autres n'y ont pas une existence vraiment réelle... ou plutôt ils ne sont pas les égaux du tyran, ils n'ont pas les mêmes droits que lui! Mais ils doivent lui obéir et reconnaître sa supériorité (ce qui est une plaisanterie, bien entendu...)! Tout élément qui résiste est une étrangeté, un univers inconnu, une réalité soudain détestable pour le tyran, dont nous allons essayer de comprendre encore mieux le phénomène!

    Les scientifiques, pour expliquer le génie, le pouvoir créatif, émettent l'hypothèse d'une sorte d'autisme... et on comprend leur point de vue. Comme a priori nous naissons tous avec le même cerveau, il faut bien que l'idée originale, créatrice, vienne de quelque part et peut-être qu'elle est le fruit d'une maladie mentale, d'autant que le créateur semble en proie à une véritable obsession, ne serait-ce que parce qu'il doit lutter contre vents et marées!

    Ce qui fait avancer l'humanité serait ainsi un accident, une anomalie, voire un parasite, comme le champignon sur une souche, ou la rouille sur une barre de fer! Mais nous laissons à la science la responsabilité de cette voie, qui peut se révéler extrêmement périlleuse, puisqu'il faudra tôt ou tard regarder Darwin ou Freud tels des malades!

    Ceci étant, nous pouvons mieux parler des véritables artistes, qui sont plutôt de grands névrosés, et ce qui les caractérise le plus souvent sur le plan psychologique, c'est le doute, l'effacement devant le jugement des autres, la dépression, qui peut aller jusqu'au plus profond dégoût de soi-même! Nous n'expliquerons pas ici la raison de ce comportement, bien que l'analyse freudienne soit fausse, mais même si l'artiste croit en son talent, surtout s'il crée, il est très difficile pour lui de ne pas être à nouveau victime du découragement, de l'abattement, ce qui le mène à mépriser son œuvre et à souhaiter un autre travail, une autre tâche, qui lui permettrait de se sentir plus utile, plus aimable...

    Il suffit de voir les atermoiements d'un Pissarro, les excuses d'un Baudelaire ou les souffrances d'un Van Gogh, pour s'en convaincre... Cézanne, dans son désespoir, croyait que le génie c'était son père, puisque celui-ci, grâce à sa fortune, lui assurait une rente... Mais, bref, il n'est pas rare que l'artiste finisse par regretter son exception et par envier la "normalité" des autres, et si nous avons pris le temps de dresser un peu de son portrait, c'est qu'il ne correspond pas à celui de l'autiste!

    En effet, d'après nos propres observations, un élément essentiel qui caractérise l'autiste, c'est sa fermeture, sa psychorigidité... Tout le monde connaît certains dons exceptionnels des autistes: ils peuvent notamment être très précis, avoir une mémoire extraordinaire et relever des erreurs que personne ne voit! Mais c'est justement cette capacité qui constitue un handicap, car le monde de l'autiste repose sur des détails, sur une logique, ainsi que son cerveau serait tel un mécanisme d'horlogerie!

    Si on fait obstacle à l'autiste, on a droit à sa colère ou à sa panique, et c'est pourquoi on parle de maladie, car les limites sont vite atteintes! Il n'y a pas chez l'autiste un véritable échange social, qui demande nécessairement une souplesse d'esprit, une capacité d'adaptation... On doit pouvoir reconnaître la supériorité de l'autre ou au contraire ne pas lui montrer son infériorité! Rien que les faits ou la stricte exactitude excluent toute relation! En tout cas, nous sommes très loin ici de l'artiste qui, à force d'échecs, est tout prêt à se désavouer et à suivre l'avis de ceux qui le critiquent, ce qu'il regrettera d'ailleurs  amèrement plus tard!

    Mais, si l'artiste n'échappe pas à la catégorie des "roseaux pensants", chère à Pascal, par contre on peut se demander très sérieusement si le tyran, lui, n'est pas beaucoup plus près du comportement de l'autiste; car comment regarder différemment sa façon de traiter les autres? Il ne les respecte pas lui-même! Il est également fermé, dur et sujet à la colère et à la haine, s'il est contrarié! Quand on sait qu'il forme la majorité, cela laisse rêveur! Certes, il est sociable et il est même vu par la science comme un modèle de bonne santé, car ce sont ses projets, ses ambitions, son égoïsme, qui a priori animent la société et la développent; et pourtant chaque jour il blesse autrui et empêche le bonheur... Mais si la science ignore le "phénomène du tyran", c'est parce qu'elle ne le voit pas, tout simplement! Tâchons donc d'aller encore plus avant, afin d'examiner celui-ci en plein soleil!

    En ce qui nous concerne, nous fréquentons un bouquiniste, avec lequel nous aimons évoquer les guerres passées, les déclarations des uns, les erreurs des autres... Cela est plein d'enseignements et Vichy, en particulier, est un sujet qui redonne toujours le moral! Mais, durant la discussion, il est naturel que d'autres clients passent et nous voyons la haine de leur regard, quand ils découvrent qu'ils ne seront pas seuls avec le bouquiniste! Cette réaction ne nous surprend pas, bien au contraire, puisque nous l'avions nous-même, à une autre époque, il y a longtemps!

    Mais d'où vient-elle? Nous sommes tous à l'origine impatients de nous sentir vivre, de montrer notre talent, notre richesse, notre importance, et cela est si fort que le moindre empêchement, que tout ce qui nous retarde, nous ralentit, cause notre énervement, notre dégoût, notre colère, notre irritation! C'est l'enfant qui est en nous qui continue de souffrir, dès qu'il n'est pas immédiatement satisfait!

    En constatant ce processus et ses conséquences, la haine pour autrui et la douleur pour soi, nous avons décidé d'évoluer; nous avons appris à être patient, pour ne pas dire confiant; nous avons grandi, atteint une certaine maturité, qui nous permet de ne prendre nul ombrage, quand bien même nous n'aurions pas l'occasion de nous faire valoir! Au contraire, ce détachement, cette maîtrise nous donne liberté et légèreté! Nous ne souffrons presque plus et même nous sommes si fort, si disponible,  qu'il nous arrive d'avoir de la compassion pour tous ceux qui se débattent encore avec leur amour-propre!

    Mais une conclusion s'impose: le tyran, au fond, n'est rien d'autre qu'un enfant dans un corps d'adulte! Il refuse toute maturation, parce qu'il a l'impression que s'il faisait des efforts, s'il consentait à se diminuer, à reconnaître son ignorance, ce qui est nécessaire pour apprendre, il serait perdant, il n'aurait pas sa place; sa jouissance serait moindre! Il reste donc avec son avidité et sa fragilité d'enfant et son destin est souvent malheureux, voire tragique!

    Par exemple, un patron de bar expatrié, en France, un Irlandais, se calme en s'emportant régulièrement contre sa femme! Quand celle-ci ne peut plus supporter la situation et demande le divorce, notre homme ressent soudain une telle solitude qu'il décède d'une attaque cérébrale! Rappelons que le tyran n'a pas d'autre équilibre que celui de l'enfant despotique! Autrement dit, s'il n'a plus de victimes, il est perdu!      

    Autre exemple... Un charcutier, tout en se plaignant tout le temps de son travail, se montre dur et intransigeant à l'égard des autres, mais il doit aussi prendre sa retraite et vendre sa charcuterie... Il meurt quelque temps après, d'un cancer foudroyant, car la peur n'avait plus aucun obstacle devant elle! Si le métier s'arrête, le vide apparaît, au point que le premier peut rendre esclave! Mais ceci révèle encore combien le sort du tyran est peu enviable, car il est dépourvu de paix!

    Elargissons notre point de vue et considérons le conflit israélo-palestinien! S'il n'était pas lugubre et cruel, il ressemblerait à un match de tennis, entre Borg et Connors!  Cela paraît sans fin, inextricable, et gagné par le découragement, on a envie de dire quelquefois: "Mais qu'on les laisse s'entretuer! Comme ça, ils seront moins et on sera plus tranquille!"

    Pourtant, il n'en a pas toujours été ainsi... Les "pères fondateurs" de l'état d'Israël ont été plutôt de gauche, des travaillistes, et qu'ils s'appelassent Ben Gourion ou Mosche Dayan, ils n'ont jamais oublié qu'il faudrait traiter avec les Palestiniens! Ce sont les leaders de droite, du parti du Likoud, qui n'offrent qu'un dialogue de sourds, et parmi eux on citera Begin et Shamir, qui étaient tous deux des terroristes, du temps du protectorat britannique; c'est-à-dire qu'ils ont tué ou fait tuer au nom de leurs convictions. Shamir d'ailleurs a vraiment été le Mesrine des Anglais et la France a pu l'aider à leur échapper, car à cette époque notre pays avait à cœur d'empoisonner la situation! Mais ceci est une autre histoire...

    Toujours est-il que la droite conservatrice est bien plus proche de l'attitude "autiste" du tyran! Elle refuse de prendre en compte l'existence de l'autre, ou de la différence, et elle vit dans l'illusion qu'elle finira par triompher, que ses ennemis disparaîtront! Evidemment, les partis extrémistes sont encore plus engagés dans cette voie et c'est pourquoi ils ont toujours veillé à ruiner les négociations pour la paix! Du côté palestinien, ce sont les attentats-suicides du Hamas et les fanatiques religieux juifs sont à l'origine de massacres... En 1995, le premier ministre israélien, Rabin, est même assassiné par un de ses compatriotes, parce qu'il était favorable aux accords d'Oslo, certainement la tentative la plus sérieuse pour aboutir à la paix!

    Aujourd'hui, Netanyahou symbolise la droite gâtée et capricieuse, car les menaces pesant sur Israël sont de moins en moins lourdes; mais son sourire fait plutôt penser à celui d'un homme assis sur une caisse de dynamite!

    De même, un ancien conseiller de Trump est venu en France, apporter son soutien à la liste européenne de Marine le Pen, parce que dit-il: "Il faut que les nationalismes s'internationalisent!" et effectivement, on a vu les présidents de la Hongrie ou du Brésil, pour ne citer qu'eux, se rendre aux Etats-Unis, pour saluer leur quasi cornac Trump!  

    Mais le but final d'un nationalisme, malgré les belles formules, c'est sa domination, sa supériorité sur les autres, ce qui mène au conflit et à la guerre! Ainsi, L'Iran essaie-t-elle déjà de répliquer à la politique écrasante et méprisante du président américain... Des missiles partent du Yemen, en direction de l'Arabie saoudite!

    En fait, le tyran, qu'il soit un homme de la rue ou aux commandes d'un pays, met à bouillir l'humanité; c'est la fascination ou l'aveuglement de l'enfant, quand il brûle des criquets ou démembre sa poupée! Et nous n'avons donc pas fini de voir le faible se tordre de douleur!

    PS: nous vous conseillons vivement les dernières photos de cette semaine, car ce sont de remarquables clichés d'épaves!

 
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