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  • LE MONDE DE RAM!

    Ram

     

     

     

     

     

     

     

     

        Journal de Jacques Cariou, monde de RAM, lundi 15 mars: "Bienvenue dans le monde hyperconnecté de RAM! Il fait 15 degrés, le ciel est pur et c'est bientôt le printemps, même si la doudoune reste de rigueur!

        L'information défile et nous sommes fluides dans son courant! Nous verrons ça tout à l'heure, avec nos amis! Il y aura des notes, des jugements, des rires et des pleurs! Il y aura des étoiles et des araignées! Il y aura des jeux aussi! Il faudra se bouger pour gagner! On ne se quittera pas!

        RAM vous tend son miroir et vous dira que vous êtes le plus beau et la plus belle, et vous le croirez, car c'est vrai! De l'eau noire de l'écran, ton corps sortira resplendissant! Qui veut être à la traîne? Le sénior, mais lui c'est normal!

        Toi, tu veux être jeune, bien dans ta peau et avoir plein d'amis! Tu es magnifique de toute façon! Nos spécialistes vont te donner les meilleurs plans pour épater! Tu auras les bonnes adresses, des MIO et des FGES! Ne t'inquiète pas: tu penses, tu désires et RAM matérialise!

        Tu es dans notre kaléidoscope et baigné par sa lumière! Tout va bien! Il est 10 heures 30! Les hits que tu aimes sont là! C'est ta plateforme et n'oublies pas: "Tu es ego et tu retourneras ego!" N'est-ce pas mortel?

        Mardi 16 mars: je me réveille péniblement , mais où suis-je? Et qu'est-il arrivé? Visiblement, je suis alité dans une chambre d'hôpital... J'ai dû avoir un accident à la station Charcot et on m'a conduit ici! Mais dans quel pays?

        "Toc! Toc! c'est le médecin qui vient faire sa tournée! Eh bien, on est réveillé! Et puis on a l'air d'aller mieux!

        _ Oui, ça va, mais, excusez-moi, on est où ici?

        _ A l'hôpital de RAM!

        _ RAM? C'est dans quel pays?

        _ Mais dans aucun! RAM, c'est seulement RAM!

        _ Je ne comprends pas...

        _ Ecoutez, on vous a ramené ici, parce que sans doute on vous a trouvé inconscient... Mais j'ai tout de suite vu que vous étiez un antipuce!

        _ Un antipuce!

        _ Oui, ceux qui sont contre la puce... et qui vivent dans les égouts de RAM, comme les rats!

        _ Il doit y avoir une erreur, car je ne connaissais pas RAM avant d'ouvrir les yeux ici!

        _ Cela n'a plus d'importance maintenant, car vous voilà pucé!

        _ Pucé?

        _ Mais oui, on a profité de votre sommeil, pour vous implanter la puce!

        _ Vous avez fait quoi?

        _ Mais c'est la loi pardi! Il est impossible de vivre dans RAM sans être pucé! Il faut être connecté pour payer! Comment allez-vous vous nourrir ou vous déplacer sinon?

        _ Je ne sais pas...

        _ Vous voyez! Je vais dire à l'infirmière que vous sortez aujourd'hui!

        _ Bien, bien, merci... J'ai entendu un drôle de message hier... J'ai eu l'impression qu'il venait de moi...

        _ Mais oui! Eh! Eh! Vous êtes connecté à RAM et vous recevez donc maintenant ses messages! Rassurez-vous, vous pouvez les filtrer!

        _ Bon sang!

        _ Et rappelez-vous: "Vous êtes ego et vous retournerez ego!"

        Mercredi 17 mars: finalement, c'est ce matin que je quitte l'hôpital, mais j'ai un problème: il est impossible de retrouver mes habits! "Qu'à cela ne tienne! me dit-on. Vous n'avez qu'à vous connecter à RAM!" "Comment?" "Mais en pensant très fortement à lui!"

        Ainsi je fais et je vois effectivement apparaître dans mes pensées le nom RAM, qui s'éparpille en des milliers de taches de couleurs, pour laisser place à son réseau! Puis, je me concentre sur le mot vêtement et de nouvelles images défilent, ainsi que des questions sur la taille, la couleur, la marque ou le prix!

        Mais je dois être maladroit, car bientôt je me perds dans un dédale d'interrogations, qui deviennent de plus en plus bizarres, incompréhensibles! "Si vous faites plus d' 1m 80 et que votre cousine a un loft, pensez 1!", "Si vous faites plus d'1m 80 et que votre cousine a un loft, mais dont le bail doit être renouvelé, pensez 2!", Si vous-même n'avez pas de loft et que votre cousine mesure plus d' 1m 80 et que cela ne la gêne pas, pensez 3!", "Pour toute autre question, pensez 4!"

        Je sue à cause de la contention d'esprit et j'ai l'impression d'être perdu dans un monde hostile! Le désespoir et la colère vont m'atteindre, quand un être humain passe par là! C'est une infirmière qui se met à rire de ma mine défaite, mais qui va quand même me chercher une combinaison légère et grise, comme on en porte partout, me précise-t-elle! Puis, elle rajoute que je ne dois pas hésiter à faire appel à l'hôtesse RAM, si j'ai des difficultés! C'est une interlocutrice virtuelle, qui répondra à toutes mes questions!

        Fort de cette connaissance, je sors au grand jour, avec pourtant le désagréable sentiment d'être en pyjama, mais je n'ai pas le temps de m'inquiéter, car je suis tout de suite frappé de stupeur devant le spectacle de la rue! Le trafic est intense, mais à peine matérialisé! Ce que l'on voit, ce sont des scintillements de carrosserie, comme si ici triomphait le luxe!

        Ces diamants qui glissent n'en menacent pas moins le piéton, qui emprunte des tubes de verre quand il a la priorité! Mais sur le trottoir il peut être surpris par un surfeur du ciel! Des individus sur des planches passent au ras des têtes! D'autres sont enveloppés d'hologrammes qui représentent leurs amis, avec lesquels ils parlent ou s'esclaffent! Certains avancent encore dans un décor particulier: rivage de rêve, salon cossu, feu de cheminée! Beaucoup assistent à des concerts et les musiques se chevauchent!

        L'impression générale n'est pas agréable, car ces univers sont fermés et excluent! On a l'air d'être en trop à côté, mais il y a des créations bien plus dérangeantes et menaçantes, d'autant qu'on comprend peu à peu qu'elles se ressemblent et qu'elles sont les plus nombreuses!

        Par exemple, un guerrier farouche arrive et on doit reconnaître sa supériorité, car son armure est pesante et son regard sans pitié! C'est le thème choisi par la plupart des hommes, quand les femmes sont plutôt des déesses ou des reines, qui veulent de l'admiration; ce qui n'empêche pas certaines de montrer de l'agressivité!

        Quand on croise les personnes, on devient un personnage de leur décor; on est coloré, habillé par l'hologramme et on se retrouve ainsi le plus souvent dans le rôle du vaincu ou de l'admirateur! Mais c'est de toute façon un poste subalterne et soumis à une autorité!  

        J'essaie d'échapper à ces univers, car je voudrais bien réfléchir posément, à la raison de ma présence ici, mais c'est quasiment impossible, car il y a toujours des gens et on est confronté à leur décor! Je suis bientôt épuisé, à refuser de jouer l'esclave ou l'adorateur, d'autant que je provoque la haine ou le mépris!

        Ce sont des éclairs dans le regard, des grimaces qui signalent cela et c'est assez étrange dans ce monde ultramoderne et lisse! C'est comme si la barbarie miroitait sur la civilisation! Il y a même des décors qui dégagent une telle tension qu'ils sont quasiment palpables! Ce sont des salles de torture, des bancs de rameurs sous les coups de fouets, des étals de boucher où on est découpé par des mains pleines de fièvre!

        Tant de brutalité étonne, puisque le monde de RAM semble ne manquer de rien! Quelques femmes cependant font preuve d'une grande inventivité et par exemple leur visage se dresse sur le corps majestueux d'un dragon aux écailles dorées! On voudrait applaudir, mais de la bouche dépassent des membres d'enfants, avant d'être mangés!

        Evidemment, il ne s'agit pas du tout de céder à ces créations, car on n'y serait qu'une victime et on peut se demander comment chacun résiste au décor de l'autre! Mais la réponse vient vite: le meilleur bouclier, c'est son propre univers! Ici, je me demande s'il ne faudrait pas me connecter à RAM, pour en obtenir un qui me protégerait et me permettrait de souffler!

        J'appelle donc l'hôtesse, en pensant très fortement à elle et une voix me répond: "Bonjour, je suis l'hôtesse RAM, que puis-je faire pour vous?

        _ Ben, je vois que tout le monde se déplace avec un décor... et je voudrais savoir comment créer le mien!

        _ Mais il n'y a rien de plus simple: il suffit de le désirer et RAM fait le reste!

        _ Ah! Ah! En effet, c'est facile! Euh, il est possible de vous personnaliser?

        _ Bien sûr et je peux même vous dire que mes algorithmes sont très, très forts, au point que je peux sembler avoir de l'humour!

        _ Ah? Parfait! Puis-je te tutoyer et t'appeler Julie?

        _ Bien sûr et toi, comment tu t'appelles?

        _ Jack! Sans vouloir être sexiste, je t'imagine bien faite, souveraine, avec un regard ardent!

        _ Très bien! Tu veux voir mon hologramme?

        _ Hein? Non, vaut mieux pas pour l'instant... On peut atteindre les limites de la ville? J'ai besoin de calme pour réfléchir!

        _ Suffit de prendre un Bob!"

        Je comprends alors pourquoi le trafic me paraissait dématérialisé, car nous prenons place dans un baquet ou Bob, au milieu d'un flux d'énergie. Mais la carrosserie se constitue également comme les décors et je choisis une voiture sportive et nous filons! Au bout d'une cinquantaine de kilomètres, effectivement les bâtiments sont de plus en plus clairsemés et nous devons faire le reste à pied. Je dis nous, car Julie est déjà comme quelqu'un qui m'accompagne!

        Je me fige sur place en regardant l'immense désert, qui succède à la ville! Une croûte sèche à perte de vue! "On a coupé le dernier arbre il y a cinquante ans, Jack!" Je garde le visage fermé et je pense que la catastrophe est arrivée! Je ne sais pas comment les habitants de RAM se nourrissent, mais je prends conscience que je suis prisonnier de la ville!

        "Le soir tombe, Julie, il me faut une chambre d'hôtel!

        _ Pas de problèmes, Jack! En tant que nouveau pucé, tu disposes d'un certain nombre de crédits!"

        La chambre est bien dans le style de RAM... Elle se forme selon le rêve de chacun! Il y a une option apesanteur et je flotte dans la pièce, m'amuse un certain temps à rebondir contre les murs élastiques, alors que les lumières de la ville s'allument progressivement!

        On peut fermer les volets et s'immerger totalement dans un univers! On mime un crawl, au milieu de la chambre, sous une merveilleuse chute d'eau! Ou bien on combat des animaux préhistoriques, en sautant dans tous les coins!

        "J'ai un gros problème, Julie!

        _ Ah bon?

        _ Oui, je ne peux pas créer de décor, pour me protéger! Je ne veux pas dominer!"

  • AD LIBIDOM!

    Ad libidom

     

     

     

                                                         "Eh, mais vous parlez au Duke!

                                                           Non, monsieur Beauchamp, pour moi c'est le duck!"

                                                                                 Impitoyable

     

     

        Journal de Jacques Cariou, station Charcot, mardi 9 mars: plus les choses se décantent et plus je me rends compte combien l'hypocrisie agit comme un mur! La "vérité" bute contre lui, comme la mer se heurte aux rochers! Sa force est infinie, mais ils sont ce qu'il y a de plus dur!

        On ne veut pas voir, c'est évident! Et par peur essentiellement! D'abord, on a une place et on craint de la perdre! Les choses ne doivent pas bouger, mais rester comme elles sont! Evidemment, on ne peut pas tout dire, ne serait-ce que parce qu'il est fort possible qu'on se trompe, ainsi que nous l'enseigne l'expérience, mais encore on est ambitieux, on a des intérêts, qui jouent le rôle d'œillères! Tout ce qui serait susceptible d'inquiéter nos plans, de menacer nos rêves, est rejeté, reçoit un accueil hostile, voire haineux! La vérité est comme un furet qui débusque un blaireau!

        On sait que c'est la domination qui a forgé la société et elle assure la cohérence du groupe, qui ne peut agir, ni donc survivre sans hiérarchie! Chacun s'efforce de s'y placer, à un poste qui lui donne de la valeur, mais cela ne suffit pas! Nous sommes en effet tout le temps en crise, pourquoi? C'est que la domination entraîne inévitablement un rapport de force, d'où les incivilités, la violence, mais aussi une fermeture, une fixité dans les idées, car bien entendu leur auteur s'impose par elles!

        Au final, nous avons une société qui prend l'eau de toutes parts, mais qui continue à ne pas vouloir changer, puisque personne ne prend le chemin de l'effacement, du renoncement, celui qui est l'inverse de la domination! Au contraire, plus ça va mal, plus on s'inquiète et plus on renforce son égoïsme! Pour s'opposer à l'instinct, il faut une motivation profonde, une passion, qui vient d'une sensibilité particulière; la raison ne servant qu'à organiser les données, pour la compréhension.

        La seule raison ne permet pas la foi; l'amour, l'admiration sont nécessaires, et il n'y a là nul besoin de compensation! Il y a plutôt une clairvoyance, car on prend conscience du chaos, de l'injustice de l'égoïsme! Bien des champions de la seule raison ont les pieds dans le sang et ne s'en rendent même pas compte! Des ogres vous parlent de la lumière!

        L'un des grands échecs de la science, c'est l'interprétation des peintures pariétales! Il y a trente mille ans l'homme de Cro-Magnon a peint dans les grottes et a produit des chefs d'œuvres, qui suscitent toujours l'admiration! Quels étaient ses buts, ses croyances, etc.? C'est évidemment des questions que se sont posées les scientifiques et ils ont émis toutes les hypothèses, de sorte que notre ancêtre nous est devenu absolument incompréhensible! Or, cela ne se peut, car au fond nous sommes toujours comme lui!

        L'erreur est de voir l'"art" pariétal avec la seule raison! C'est l'échec assuré! Il est nécessaire de regarder le monde qui nous entoure, en gardant son âme d'enfant! Nous ne pouvons comprendre la vie, si nous perdons notre émerveillement! Il y a une innocence dans l'enfance, une souplesse, une bonne volonté qui tient à ce que la domination n'est pas encore séparée du jeu, et sans doute parce que celle des parents est évidente! Toujours est-il que le jeune âge a une capacité de rêve qui lui est propre! 

        L'individualisation commence vraiment plus tard, notamment avec la maturation sexuelle: il suffit de voir combien le désir de l'autre nous rend sérieux! L'égoïsme alors peut prendre le dessus, tout ravager, d'autant que la compétition fait rage! Il n'est plus question de douter, de se ralentir, et si la domination nous mène, elle paraît si naturelle que nous ne la reconnaissons plus! Nous pouvons penser qu'il n'y a pas d'autre état et le message évangélique devient par exemple subitement dérisoire!

        L'adulte, qui a toujours son œil d'enfant, lui comprend que les peintures pariétales sont d'abord destinées à éblouir, à épater et donc aussi... à dominer (même si l'expérience est à l'intérieur et dans la nuit!) On ne comprendra pas toutes leurs significations, car chaque époque a ses codes, mais leur but est le même que nos monuments contemporains: on veut "en mettre plein la vue" aux voisins! Notre fête pour le jour de l'an est la plus réussie! Chaque commune, en France, s'est construite autour d'une église qui devait être plus belle, plus imposante, plus riche, que celle du bourg voisin! Son orgue notamment était à chaque fois le meilleur! L'artiste flatté, mais aussi pour vivre, se met au service des puissants!

        Les alignements de Carnac, les pierres de Stonehenge, les statues de l'île de Pâques, d'abord du "m'as-tu-vu", de l'"esbroufe", de la performance, de l'autorité! Il ne saurait en être autrement! C'est la domination, l'individualisation, l'affirmation de soi, pour dire qu'on est là, fort, talentueux et par conséquent c'est aussi tout le groupe qui est affermi! Mais il faut être soi-même détaché de sa propre domination, pour en rester conscient! Ceux qui cavalent sur le dos de la seule raison se perdent et ne sont pas l'avenir! Ils prennent et écrasent comme les autres!

        Mais la réaction de la domination, de l'orgueil, de l'égoïsme est toujours la même face au miroir: elle est haineuse et rejette! On dit au militant de gauche: "Vous voulez chasser ceux qui ont trop de pouvoir? Fort bien, mais il faudra aussi penser à vous changer vous-mêmes! Sinon, c'est remplacer une domination par une autre! Vous au pouvoir, ce sera peut-être et même sans doute pire!"

        Evidemment, c'est l'hostilité, la seule réponse! On veut bien trouver des coupables, mais pas question de se diminuer! On est des victimes, c'est les autres les méchants! De même, on explique à la droite conservatrice: "Vous avez à cœur d'aider le pauvre et de remplir vos devoirs religieux? Rien de plus louable, mais vous devez commencer par perdre vos privilèges, votre position dominante, car c'est cela qui vous empêche d'être bons et même  libres!"

        Bien sûr, on a plus de succès auprès des oiseaux et la religion elle-même n'échappe pas au piège de la domination, puisqu'elle a créé le "sacré", comme si Dieu était un directeur, un PDG inaccessible, exigeant de passer par des sous-fifres! Jésus, par contre, va jusqu'au bout: il s'offre pour bien montrer qu'il ne s'agit pas de commander! Il n'y a pas a priori de foi plus profonde! Mais c'est d'ailleurs un problème pour l'OED: comment faire comprendre sans s'imposer?

        Curieuse humanité qui croit qu'elle peut vivre comme les animaux, alors qu'elle a une conscience! Etrange humanité qui se retient à l'instinct, alors qu'elle peut s'en affranchir! Désespérante humanité qui veut asservir, pour ne pas sentir sa liberté!

        Jeudi 11 mars: de nouveau la tempête souffle dehors et amplifie le sentiment de notre isolement! Certains doivent avoir les nerfs à bout et je ne suis pas loin moi-même de l'exaspération! Mais je ne perds pas de vue pourtant le vrai nord! De quoi ai-je besoin? De me nourrir et aussi de sentir que j'existe, que je suis aimé et non un groupe d'atomes emporté par le vent!

        Pour cela, je m'appuie sur ce que je sais de la vie et qui est le fruit de mon travail depuis toujours! Car pour moi, le véritable travail, c'est de réfléchir à la nature des choses et surtout du mal! C'est d'essayer de comprendre d'où vient la souffrance, ce qui conduit à lutter d'abord contre son propre égoïsme! Pour faire court, travailler, c'est développer sa spiritualité ou aimer Dieu!

        Je ne vois pas de tâche plus difficile et si on s'efforce à la patience, de dompter le fauve qui est en nous et qui ne demande qu'à rugir, à cause de sa haine, on s'aperçoit que tous autour n'y parviennent pas et qu'ils sont au contraire prompts à céder à la colère et au mépris, quel que soit leur métier! Cette différence est la preuve de notre travail!

        Et à force de perdre, car on n'a eu de cesse d'abandonner ses "droits", on finit pourtant par être gagnant! Imaginez ce qu'il faut à ceux qui sont esclaves de leur domination! Puisqu'ils n'ont pas de vie intérieure, ils doivent chaque jour demander aux autres la marque de leur valeur, de leur supériorité! Ils ne peuvent se passer de la télévision, car elle leur sert tout de même de repère, mais surtout ils consultent incessamment Internet ou leur Smartphone! L'environnement est partout sollicité sans fin!

        Comment pourrions-nous alors ne pas épuiser la Terre et nous-mêmes? Comment éviter la haine ou nous rendre disponibles, alors que nous avons tant de besoins? Plus de réseau? Mais combien ne deviendraient pas fous ou assassins!

        C'est normal d'avoir peur, puisque nous sommes en face d'un gigantesque inconnu, créé par la conscience! Mais, plutôt que d'avouer ce simple sentiment, nous préférons mille fois conduire les autres à la baguette, pour justement échapper à notre angoisse! Nous terrorisons pour devenir les maîtres et c'est la peur de l'esclave qui chasse la nôtre! Comment notre quotidien pourrait-il ne pas en être destructeur?

        Celui qui respecte encore, malgré ses craintes, celui-là oui est dans la cour des grands! Les autres...   Mais je suis encore faible et je reçois avec plaisir la visite de Friant. "Comment ça va? me demande-t-il.

        _ Je m'en remets peu à peu...

        _ Bien! Dites Cariou, il est où le vaccin? Faut quand même qu'on le récupère!

        _ Bien sûr, mais il devait être avec Cressant!

        _ L'ennui, c'est qu'on a tout fouillé là-bas, y compris chez Morizur, et nulle trace du vaccin!

        _ J' comprends pas...

        _ Ecoutez, j'ai un fauteuil roulant dans le couloir... J' vous mets d'ssus et on va au labo! Remis dans la situation, vous allez p't'-être avoir un souvenir profitable!"

        Nous fîmes comme avait dit Friant et devant la paillasse, je cherchai à me remémorer les événements... "Allez, Cariou, faites encore une effort! insista Friant.

        _ Mais je vous l'ai déjà dit... Y avait bien une petite boîte, mais c'est Cressant qui l'a ramassée!

        _ Pas vous donc! Désolé Cariou, mais je n' marche pas! dit encore Friant en sortant une arme. Y a qu' vous qui avez pu dissimuler le vaccin!

        _ Il faut parler! lançe Sophie Prémel derrière."

        Je regarde à nouveau cette femme et je me rends compte que je l'ai mal jugée! Non seulement elle a un corps magnifique, mais c'est surtout son visage qui est d'une beauté à couper le souffle! La lumière y vient comme sur un récif doré! On a l'impression qu'elle-même peine à porter ses rayons!

        Mais ses yeux sont aussi d'une dureté extraordinaire et ne veulent que la soumission, ce qui fait que Friant a perdu la tête! "Si vous ne répondez pas, reprend celui-ci, je vais être obligé de vous tirer dans les jambes!" Mais soudain nous entendons un grand fracas et c'est Sophie Prémel qui a renversé un plateau et qui titube! Elle a un regard horrifié et une main sur le cœur! Puis, elle s'écroule! "Non! crie Friant qui se précipite vers elle.

        _ Ne la touchez pas, bon sang, Friant! Elle a le virus!"

        Mais il ne m'écoute pas et pleure son amour. Je ne reste pas inactif et me dirige vers la porte du fond... Derrière, j'entends la voix de Friant: "Tout ça, c'est de votre faute, Cariou!" et une balle vient faire exploser un bocal juste au-dessus de ma tête! Je passe la porte et la referme aussitôt! Où suis-je? Dans un garage! Il y a là une moto neige et l'équipement qui servaient à Cressant, pour faire ses récoltes comme il voulait!

        Je m'habille et démarre l'engin! Mon idée est de rejoindre l'entrée principale de la station et d'avertir les autres du double danger que constitue Friand. Mais, une fois dehors, je suis pris dans la tourmente, alors que je dois contourner un éperon rocheux! Je crois l'avoir dépassé, mais je me trompe: il y a encore de la glace devant moi! Finalement, je finis par admettre que je suis perdu, et puis soudain j'aperçois des lumières et je pique dessus!

  • Dominos!

    Le chateau 1

     

     

     

     

                                                     "Mais Starbuck, avez-vous vu la baleine blanche?"

                                                                                                     Moby Dick

     

     

        Journal de Jacques Cariou, station Charcot, jeudi 4 mars: ce matin, j'ai réussi à recevoir certaines informations de l'Hexagone et notamment j'apprends la condamnation de l'ancien président Sarkosy!

        Je m'en réjouis et ce n'est pas parce que je suis de gauche, mais d'abord on ne compte plus les fautes du bonhomme et surtout ce jugement vient percer le mur d'hypocrisie qui tient la société et qui pourtant l'étouffe en même temps!  

        En effet, quelle est l'image que veut transmettre Sarkosy de lui-même et qui est relayée complaisamment par les médias? C'est celle d'une réussite totale! Président honoraire, il a pour épouse une ancienne mannequin et, après avoir renoncé par sagesse à la politique, il est encore un auteur de best-seller!

        Quelle vie pleine et débordante de talents! Elle est destinée à faire envie et pourtant elle est essentiellement mensongère! La réalité est tout autre et c'est ce que montre la justice aujourd'hui, quasiment malgré elle! Car ce qui a scellé le sort de Sarkosy, c'est que par ses manières il a attaqué l'image même de la justice! Il a présenté les juges comme vénaux, corruptibles! En voulant sauver sa propre image, l'ancien président en a dégradé une autre, qui ne fait que se défendre!

        Image contre image! Dominants contre dominants! Voilà qui est intéressant, car la vérité apparaît malgré tout, non parce qu'on la cherche, mais parce que les dominants se combattent! Ils dénoncent leurs mensonges, pour continuer à régner!

        Il ne s'agit pas pour autant d'accabler un individu, fût-il Sarkosy! Il est ceci, cela, mais il est aussi un voyou! Il est tellement avide de dominer qu'il est prêt à tout, même au pire! Cependant, la domination exige une vitrine parfaite, car s'imposer, c'est écraser les autres et cela n'est possible que si on ne leur offre aucune faille!

        Voilà pourquoi l'orgueil, qui est sans doute le sentiment qui reflète le mieux la domination, ne supporte pas le miroir! Il ne veut pas voir l'envers du décor, l'arrière-boutique! S'il reconnaît le mal dont il est capable, c'est la vitrine qui explose! C'est une vie réduite à néant!

        C'est encore laisser voir ses peurs et ses faiblesses, ce qui effraie bien entendu, car les yeux des loups brillent dans la nuit! Et pourtant c'est bien la domination qui a provoqué la chute de Sarkosy, nullement un acharnement judiciaire, comme il le dénonce et voudrait s'en persuader! Il s'est placé lui-même dans l'illégalité et l'affaire Bygmalion est encore un exemple de cette dérive!

         L'influence de l'ancien président est néfaste et se propage à tout ce qui le concerne, de sorte que même les maisons de presse les plus rurales sont forcées de présenter ses livres devant leur caisse!  

        On le voit, la domination nous maintient en esclavage et nous sommes ses marionnettes! Tant que nous ne construisons pas en dehors d'elle, nous n'avons aucun socle, nul repos! Si nous sommes menacés, la plupart s'y raccroche comme à une bouée de sauvetage, mais qui serait lestée de plomb! Car plus nous nous débattons et plus nous sommes entraînés dans les profondeurs! Le "féminicide" ne s'explique pas autrement!

        Cependant, la réaction du sommet de la société est navrante, quoique prévisible! La classe politique est plutôt solidaire, car elle non plus ne veut pas voir, se remettre en question! Plus étrange est la complicité des médias, puisque, à côté d'articles qui stigmatise la justice, Sarkozy est encore invité au 20 H, comme s'il n'était pas coupable! C'est que tout ce monde se nourrit de la domination et constitue un ordre, même s'il est sale!

        On est prêt à fermer les yeux, du moment que les choses ne changent pas! Chez les dominés, les petits, il en va tout autrement! Malgré les exceptions partisanes, on est plutôt content, on se félicite du verdict, qui est senti comme une justice, un rayon! Il est la preuve de la noirceur des dominants et explique bien des souffrances! Combien en effet ne se contentent pas d'une vie modeste, par scrupules?

        Et puis, c'est le résultat d'une ambiance délétère! Le dominant n'a de cesse de faire croire qu'on doit l'admirer et s'il tombe, il n'est pas étonnant qu'on veuille le déchirer! Les faux dieux sont massacrés! Mais la domination entraîne encore la course au Buzz, qui fait que chacun se prend à rêver d'obtenir des millions de vue, sur Twitter ou Instagram! Sortir de l'anonymat est le symbole de la réussite! Pour cela, malheureusement, il est tentant d'effectuer n'importe quoi!

        La société ressemble à une cage de fauves, avec ses odeurs et sa férocité! C'est pourquoi l'hypocrisie, si elle nous cimente, nous asphyxie aussi! Il ne s'agit pas de vouloir l'anarchie, mais une domination éclairée! Or, on en est loin et la science même peut nous entraîner dans la mauvaise direction! La psychologie, notamment, induit l'idée que c'est à l'individu de changer et non à la société! Mais il est nécessaire que le sommet, le dominant puisse évoluer, surtout en reconnaissant ses torts! C'est sa seule voie pour atteindre la paix et soulager le petit! Si demain Sarkosy admet publiquement ses erreurs, il redeviendra aussitôt aux yeux de tous un être humain et il rendra de nouveau le monde compréhensible!   

        Toutefois, on a déjà expliqué la folie ou la "tragédie" de l'orgueil!

        PS: c'est finalement Friant qui m'a aidé à régler le cas de Gestin! Je l'ai invité dans ma chambre et nous avons discuté! Débarrassé de l'influence de Douguet, il est plutôt un homme simple et il m'a d'ailleurs raconté sa vie d'avant! C'est un ancien marin-pêcheur, qui a quitté le métier après un naufrage, dans lequel il a perdu son meilleur ami!

        Il a pas mal roulé sa bosse, jusqu'à ce qu'on lui propose ce poste ici, où il s'occupe des moteurs, car il adore les voir fumer! Cela le rassure, dit-il et au fond la machine peut être vue comme une victoire sur les éléments ou la mort!

        Quand j'ai vu son air radouci, je lui ai raconté la fin de Gestin et son visage, sous ma lampe, a semblé perdu, au point qu'il m'en a rappelé un autre! Dans un quartier que j'ai habité, il y avait un homme qui tout le temps marchait! Il avait un petit sac sur le dos et des chaussures de sport! Il arpentait les trottoirs chaque jour, inlassablement, et il n'était pas difficile de comprendre qu'il ne pouvait rester chez lui, à cause sans doute d'une angoisse qu'il ne maîtrisait pas! Incapable d'être en paix avec lui-même, il se calmait ainsi!

        Mais, peu à peu, sa marche est devenue plus difficile, reflétant sa lassitude et ce sont ses yeux lointains, hagards, que j'ai revus chez Friant, ainsi que le malheur nous rattraperait toujours!

        Mais, quand je lui ai demandé son soutien, l'ancien marin, celui qui sait qu'il est perdu s'il n'agit pas, a repris le dessus et nous sommes allés nous occuper du pauvre Gestin! Nous l'avons placé à côté des autres, dans la chambre froide, en gardant le secret, car il faut trouver l'assassin, avant d'effrayer l'ensemble!

        Pour cela, Friant m'a conseillé de me rendre auprès de Michel Cressant... C'est un spécialiste des lichens et on l'appelle le Vieux, car il est le plus ancien sur la base... Il est l'un des premiers à s'être installé ici! D'après Friant, il connaît chaque recoin et c'est un bonhomme paisible, qui pourra m'orienter... J'irai donc le voir!

        Vendredi 5 février: matin maussade, du vent et moins quarante à l'extérieur! Ou bien est-ce moi qui aie le cœur glacé! Le désespoir n'est pas loin... et ce monde toujours aussi imbécile, aussi fermé, aussi hypocrite!  Il tourne en rond, à force de vouloir briller! C'est la domination qui mène la danse et qui n'est donc nullement inquiétée!

        Je suis assoiffé et je voudrais un peu d'eau! Au fond, le seul espoir, c'est Dieu! Quand on le "ressent" à nouveau, c'est un bonheur ineffable; le seul qui soit aussi complet... et alors tout le reste, toute cette boue, cet égoïsme, cette bêtise n'a plus aucune importance! Patience donc et je me dirige vers chez Cressant!

        Il m'accueille agréablement et à première vue, il est selon le portrait de Friant. Il a l'air parfaitement inoffensif et semble même débonnaire. Il a un gros bonnet sur la tête, qui doit tenir sa tête bien au chaud! Une bedaine et d'épaisses lunettes amplifient la rondeur du personnage et le font paraître presque pataud!

        D'ailleurs, son laboratoire est à son image! Un peu partout, on trouve de drôles d'objets, récupérés et qui donnent l'impression d'avoir trouvé ici une seconde vie, ainsi que des animaux abandonnés, qui auraient été de nouveau adoptés! Au final, nous sommes dans une chambre d'enfant, mais avec une activité d'adulte!

        Un éclair blanc traverse parfois le regard de Cressan, ce qui indique que sa "balourdise" est plus feinte que réelle et d'ailleurs, à mesure que la conversation s'engage, je suis de plus en plus déçu, voire nerveux! Evidemment, je ne sais par où commencer... Je dois d'abord sonder le terrain, avant de parler de Gestin, mais je m'aperçois que Cressan, inexorablement, ramène tout à lui!

        Il ne répond pas toujours à mes propos, comme un homme normal, et autrement dit il ne fait pas preuve d'empathie, mais au contraire cette manière de laisser certaines phrases en suspens n'a qu'un but et m'est bien connue! Il s'agit pour Cressan de sentir toute sa supériorité, ses silences opérant tel du mépris! Peu à peu, il n'y a plus que son humeur qui vaille et qui écrase la mienne, ce qui me navre bien entendu! Mon diagnostic OED est sans appel: j'ai affaire à un DTN! et je suis donc dans une impasse!

        A un moment, un objet sur la paillasse derrière Cressant me frappe, mais, quand j'essaie de savoir pourquoi,  la tête bigleuse, sous son bonnet comme une cocotte-minute, me demande si je veux du thé! J'acquiesce et regarde de nouveau la paillasse, mais l'objet n'est plus là! Ai-je rêvé?

        Le thé est bon et chaud et j'entends la voix de Cressant me dire: "Cariou, je vais vous raconter une histoire! C'est celle d'un jeune chercheur fringant et qui a plein d 'ambitions! Il rêve de faire une découverte sensationnelle, ce qui devrait lui apporter la gloire, l'aisance et les femmes! Mais, bien qu'il soit plein d'ardeur, les années passent et rien! Il ne découvre rien!

        Pire, il voit des collègues, qui ne le valent pas, être soutenus par la chance et avoir eux du succès! Ils occupent des places enviables, alors que moi, je suis ici, dans le froid, anonyme et déjà vieillissant!

        Remarquez les lichens sont presque devenus des amis... et ils ont des propriétés étonnantes! Par exemple, celui que j'ai infusé dans votre thé a un effet anesthésiant... Non, non Cariou, ne vous agitez pas! C'est inutile! Ma voix devient plus grave et mon visage se trouble, n'est-ce pas? C'est comme si vous me voyiez au ralenti! Hi! Hi! Détendez-vous, je finis mon histoire!

        J'ai fini par comprendre que Gestin avait bien identifié un virus et qu'il avait même trouvé son vaccin! Eh bien, ça a fait tilt dans ma tête! Voilà mon billet de sortie, je me suis dit! Voilà enfin que la chance me sourit, à moi aussi! Je vais retrouver l'Hexagone en gagnant, que dis-je, en héros! On va me faire un pont d'or, Cariou, car dans une main j'aurai la mort et dans l'autre la vie! Mon pouvoir sera illimité!

        Oui, Cariou, l'objet que vous avez vu était bien dans la chambre de Gestin! Hélas, je suis resté un éternel distrait! Alors, voilà comment ça va se terminer pour vous: vous avez été frappé par la mort de Gestin! Distrait vous aussi, vous vous êtes égaré dans la neige et vous y avez trouvé votre dernier sommeil! Vous allez faire un merveilleux gisant! Encore une à deux minutes et je pourrai vous porter comme un gros sac à patates! hi! hi!

        _ Vous n'irez nulle part, Cressant, car le vaccin est pour moi... et vos rêves aussi!

        _ Morizur? Mais qu'est-ce que vous faites là?

        _ Mais mon bonheur, tout comme vous! J'ai une arme et je sais m'en servir!"

        Pan! pan! Il y a deux coups de feu, puis plus rien! Ah si, dans mon brouillard, je vois apparaître le visage de Friant! Il me sourit et je me détends. J'ai tout de même encore la force de tourner un peu la tête et je découvre deux corps: Cressant et Morizur se sont entre-tués!

        Bah, deux dominants en moins!

     

     

  • Fort Dom!

    Les roses

     

     

     

     

                                      "Dis donc Emile, tu sais qui vient de sortir d'ici! Borniche, le superflic!

                                       _ Ben quoi! J' l'aurais buté ton superflic!"

                                                                                       Flic Story

     

     

       Lundi 22 février: le soleil fait son apparition, après tant de jours de tempête! Il crible le versant de la montagne là-bas et vient pénétrer ma chambre! Son rond de lumière me réchauffe et montre même la poussière des meubles!

        Ce changement est un spectacle bienfaisant et pourtant, par le hublot, j'aperçois des chercheurs qui s'empressent nerveusement, pour effectuer leurs relevés! Ils ont le visage crispé, le corps raide à cause de l'inquiétude! Ils se bousculent même et l'un chute, en se prenant les jambes dans l'antenne qu'il porte!

        Ils ne sont pas sensibles au retour de la lumière et ils ne parviennent pas à se nourrir de la beauté! Ils n'admirent pas et c'est lié à leur égoïsme! Bien sûr, ils se voient comme des gens sérieux, responsables, soumis à des devoirs, des contraintes, mais ce n'est pas leur travail qui les empêche de prendre du temps, d'être disponibles!

        Notre domination nous maintient tendus, chevillés à nous-mêmes, ne serait-ce que par peur! Nous voilà face à l'Univers, en équilibre sur le sentiment de notre supériorité! C'est bien mince et cela ne nous permet pas de nous relâcher, pour contempler! Il nous faut toujours sentir notre pouvoir, en "vampirisant" les autres!

        Il est impossible de donner à la beauté tout son sens, si on ne veut que triompher, s'imposer!

        Mercredi 24 février: il paraît que près de 60 % des Français se déclarent athées! Voilà bien du courage et... de la lucidité! Moi, je veux bien, à condition qu'on prenne en compte la domination! C'est bien joli de faire le philosophe..., quand on écrase les autres! On trouve le quotidien normal, puisqu'il "tourne" autour de nous... et on n'a par ailleurs aucune gêne à haïr, ni à mépriser ceux qui nous résistent et nous inquiètent par leur différence, leur indépendance! 

        Des tyrans athées, qui ne voient que leur ascension, leur réussite, leur personne, la belle affaire! Quand on est au chaud dans une boîte à chaussures, on rit de l'immensité de l'Univers et même de la mort, qui paraît toujours lointaine! Des remords, des scrupules, parce qu'on diffuse chaque jour le poison de sa haine, point! On est aveugle comme une taupe et on dit très raisonnablement: "Dieu n'est pas!" Ben voyons, quel sérieux!

        Comment montrer aux gens leur laideur, leur tyrannie, leur équilibre faux, leur décor de théâtre? Voilà une question qui me taraude depuis des années... et à laquelle je n'ai toujours pas trouvé de réponses! Qui pourra se dire athée, s'il ne se sent pas dominant, supérieur aux autres? Qui pourra se dire athée, s'il est perdu, anéanti?

        Le malheur fait aussi perdre la foi, mais c'est parce qu'on a toujours cru dans du "coton", en étant protégé, en se sentant "élu" en quelque sorte! Et c'était encore la domination, puisqu'on était le "point de mire"! Mais qui pourrait supporter la vie, en prenant de plein fouet son insignifiance sidérale?

        Les sociétés se contemplent instamment! Elles se dévorent même elles-mêmes, tant le "froid" du dehors peut paraître vertigineux, incompréhensible! Il suffit de regarder la télévision, pour voir combien nous nous abrutissons de nous-mêmes! Celui qui prend garde à respecter, à ne plus haïr, qui apprend, qui réfléchit, celui-là ouvre la porte du train! Il a peur forcément..., mais il saute tout de même, tant à l'intérieur c'est empoisonné, vide, stérile! Il atterrit dans un choc, il a mal et il se retrouve abandonné, dans un lieu désert! Il s'époussette, se nettoie le front et se met en marche... Une nouvelle existence commence!

        Là-bas, le train continue de foncer... et il se déclare athée, alors qu'il ne voit même pas le paysage! Quelle blague! Que l'on fasse son choix, sans la domination! en étant distinct des autres, sans les piétiner! Est-ce possible cela, si on continue à voir le monde comme un chef mafieux! Bon sang! Combien ne se déplacent pas dans leur bulle de haine... et ils auraient une idée sérieuse de Dieu? Autant demander son avis à un bébé!

        Il y a pourtant quelque chose qui nous rappelle à l'ordre! qui met à bas notre domination... et c'est la force des éléments! Les premiers hommes ont développé naturellement une spiritualité, car ils ne "commandaient" rien autour! Ils se sentaient vulnérables, dans un milieu hostile! Ils avaient l'idée de "quelque chose" de plus grand qu'eux, puisque déjà la nature les dépassait largement! Ils n'étaient pas les maîtres!

        Aujourd'hui, c'est tout le contraire! C'est l'homme omnipotent! Il sonde les étoiles, révèle le passé, guérit, analyse et imagine un avenir grâce au patient travail de la raison! Rien ne lui semble impossible, il s'adaptera!

        A y voir de plus près, la catastrophe est partout! Plus l'homme étend sa domination et plus il se heurte à la nature, c'est inévitable! Il ne peut que constater le réchauffement climatique et la disparition des espèces! Il ne comprend pas non plus que son angoisse le pousse à détruire son prochain! Ben dame si, pour se soulager, il faut supplanter l'autre! C'est ce qui explique pourquoi, malgré que nous ayons tout, nos vies sont impossibles: les crises succèdent aux crises! Mais même une telle absurdité ne nous paraît pas évidente! Elle serait le fait d'un mauvais gouvernement, d'un système corrompu, de méchants capitalistes! Comme si le lanceur de pavés n'était pas lui aussi un dominateur!

        Ici, le virus anéantit notre suprématie! Et ce n'est pas une vengeance divine, ce n'est que la conséquence de nos actes! De même que nous ne réchauffons pas la planète parce que nous sommes toujours plus nombreux, mais bien parce que le sens de nos vies dépend de notre pouvoir social! Notre voiture doit être plus grosse et plus belle que celle du voisin et tant pis si elle consomme plus!

        Voilà encore pourquoi nous avons créé ce monstre que nous appelons Economie et que nous ne comprenons plus, car à quoi est-il destiné, sinon à nous vaincre nous-mêmes! Mais, dans notre pauvre station Charcot, le virus enlève les espoirs, ferme l'avenir, rend malade avant même d'agir! Car, sans la domination, nous voilà hébétés, assommés, hagards! Nous avons perdu nos repères! Nous ne pouvons plus nous sentir triomphants! La dépression nous guette, car elle vient à chaque fois que nous avons le sentiment d'être face à un mur!

        Il faudrait trouver une nouvelle manière de grandir, de se développer, de survivre même! Il faudrait se sentir dominant, sans dominer, sans victimes! Et pour cela donner du sens à l'ensemble, pas seulement à notre personnalité! Il faut déjà voir les autres... et non les écraser! Il faut accepter de perdre, bien sûr! Et comment réussir cela sans foi? Se développer, s'épanouir, c'est aussi donner par amour! Or, comment mieux donner qu'en "croyant", quasi "gratuitement", comme si on faisait "rouler" un peu de soi-même dans l'infini! Comment mieux grandir qu'en aimant l'esprit?

        L'égoïsme est vaincu, quand il croit, car il n'a plus peur! Mais la plupart se raccrochent à la domination coûte que coûte, tant qu'ils ne sont pas brisés!

        Jeudi 25 février: la neige tombe lentement et tout paraît calme, mais c'est trompeur! D'abord, mine de rien, je dois lutter contre mon angoisse... Elle est souvent au chevet de notre réveil, mais encore faut-il la reconnaître! Certains la transmettent directement à leurs enfants, leurs employés, à toute personne qu'ils rencontrent, en montrant de l'impatience, de l'énervement et même du mépris ou de la haine! Cela dépend de l'idée que l'on a de soi-même et plus on se croit important et plus on se donne le droit de ne pas respecter l'autre!

        Lutter contre sa domination demande un entraînement quotidien! On apprend chaque jour à se calmer, à dresser son amour-propre, même s'il a raison et qu'il veut le bien! Heureux celui relativise son avidité, car il devient lent à la haine et reste disponible! Heureux celui qui combat sa peur et qui parvient à la dominer, car il ne broie pas les autres et travaille pour la paix!

        Mais distinguer sa crainte demande déjà d'être individualisé! On doit être conscient de l'existence de l'autre: il ne nous appartient pas, ni nous est assujetti Or, la domination se nourrit justement de l'infériorité, de la vassalité de l'autre!

        Ainsi, la plupart ne distinguent pas le monde de leur propre univers: l'environnement est mené à la baguette! C'est une tyrannie qui se déplace et qui n'admet pas l'obstacle, la résistance! un peu comme si on étendait sa famille en tous lieux!

        Comment peut-on, dans ces conditions, remarquer sa peur, essayer de la comprendre et lui demander des comptes! On fait tout subir à son entourage, on ne se remet pas en question et on n'évolue pas! On croit pouvoir utiliser les autres comme des paillassons! Et malheur à celui qui se rebelle, car on cherchera par tous les moyens à le détruire! C'est à pleurer! d'autant qu'on crée une société dure, égoïste et on est tout surpris quand la violence se déchaîne, alors qu'elle n'est au fond qu'un retour de bâton!

        Pour pouvoir grandir, il est nécessaire de s'opposer à sa domination... C'est ce travail qui permet de se construire, d'atteindre toute son individualité, en même temps que celle des autres devient de plus en plus distincte! A l'inverse, il existe un degré où la domination constitue une folie, quand les autres ne sont là que pour servir, quand c'est seulement leur esclavage qui permet de faire un pas!

        La patience joue un rôle capital dans notre développement!

        Le dominateur ressemble au siphon d'un évier... Est-il rempli d'eau noire et il la déverse aussitôt ailleurs!

        Mais, comme chaque matin, je dois aller porter son petit déjeuner à Gestin... et je me rends dans la cuisine. A côté, il y a deux gars qui occupent le réfectoire... Soudain, le ton monte et les deux hommes s'empoignent! Ils roulent par terre, en se donnant des coups, mais cela me laisse absolument indifférent!

        Cela m'amuse même, car je savais bien que l'ambiance était réellement électrique et je me félicite encore d'avoir vaincu ma peur matinale! Je suis paisible, nullement tourmenté et je suis prêt à faire le bien, mais cela ne passe pas forcément par être entraîné par ces deux imbéciles, qui d'ailleurs sont finalement séparés par Friant!

        Par moments, je me dis même que je n'ai pas de cœur, mais autour on fait si peu d'efforts, que j'élude ma réflexion d'un haussement d'épaules! Et puis la laideur de l'égoïsme est sans fin!

        En chemin, je me rends compte que nous sommes tous à un degré de domination et que nous l'exprimons d'une manière ou d'une autre! Il ne peut en être autrement et d'ailleurs je repense à celles qui sont les plus reconnaissables dans les villes... On trouve la musique forte, l'appel téléphonique que tout le monde entend, la richesse ostentatoire, la séduction agressive et même la politesse exagérée ou le handicap outré!

        Il s'agit d'attirer l'attention sur soi, afin de contrôler le monde, du moment qu'on en est le centre! On se sert de l'autre, sans s'intéresser vraiment à lui! On ne cherche pas son épanouissement, ni le bien en général! On se contente de tirer la couverture à soi, ce qui est très pauvre!

        Personne ne répond, quand je frappe à la porte de Gestin... Je pousse un peu le battant et il s'ouvre. Tout dans la pièce est sens dessus dessous! Je marche sur des papiers et dépose le plateau sur le bureau, mais nulle trace du médecin!

        Je passe dans la salle de bains et découvre Gestin, la tête sous l'eau, dans la baignoire. C'est une des seules de la base et elle a malheureusement été utile ici, d'autant que ce n'est pas un suicide! Le corps nu de Gestin a de multiples ecchymoses et on lui a retourné tous ses doigts! On l'a donc torturé, avant de le noyer!

        Je vomis dans les toilettes, reprends mon souffle et me lave la bouche. Puis, je ressors, en refermant doucement la porte. Un peu plus loin, je croise Sophie Prémel, éclatante de santé! "Mon Dieu, Cariou, qu'avez-vous? Vous êtes tout pâle!

        _ Ce n'est rien... Je crois que je fais un peu de constipation...

        _ C'est plutôt un problème féminin, ça non? Est-ce que vous ne seriez pas plus délicat que vous en avez l'air?

        _ Attendez de voir mon micro pénis!"

        Elle éclate de rire et s'en va, et c'est tant mieux, car je suis complètement désemparé! Le seul ami que j'avais ici a été assassiné et je ne sais même pas quoi en faire! La chose qui me hurle à l'esprit, jusqu'à l'obscurcir, c'est que nous sommes en compagnie de quelqu'un de très, très dangereux!

  • Do do l'enfant Dom!

    Le bouquet bleu

     

     

     

                                                               "Là!

                                                               _ Quoi là?

                                                               _ Fantômas!"

                                                                           Fantômas

     

     

        Journal de Jack Cariou, station Charcot, mardi 16 février: le temps s'améliore un peu... Peut-être pourrons-nous bientôt sortir, nous dégourdir les jambes? Mais nous restons toujours sous la menace du virus... D'ailleurs, je m'aperçois ce matin combien l'énervement monte depuis quelques jours, chez tout le monde... et cela m'amène à me demander pourquoi!

        Qu'est-ce qui fait que nous perdons nos nerfs? C'est que nous voyons que rien ne change, n'est positif! Nous avons l'impression d'être face à un mur, contre lequel, gagnés par la colère, nous nous mettons à frapper! C'est l'angoisse qui nous pousse et le monde autour reçoit nos plaintes et notre agressivité!

        Heureux alors celui qui peut davantage s'apaiser, en se demandant moins à lui-même, en se reposant, car il a moins besoin de satisfaire son amour-propre, puisqu'il prend plus de plaisir au quotidien! En effet, fustiger les uns ou accabler les autres ne fait que rajouter au chaos ambiant! Terroriser n'est jamais constructif!

        Le sage se calme à mesure que les autres s'emportent et c'est ce qui prouve le bien-fondé de sa voie! L'angoisse entraîne le plus grand nombre, quand lui demeure tel un rocher! Il apprécie encore le jour, au milieu des cris et des invectives! Et ce n'est pas une question de temps libre et d'argent! C'est bien l'amour-propre souffrant ou l'égoïsme instable qui ont le plus de besoins et qui sont donc les plus sujets à la colère et au mépris!

        C'est aussi pour cela que la plupart veulent garder leurs illusions et fuient tout ce qui pourrait les inquiéter, les faire se remettre en question! Ils se trouvent déjà pauvres et il faudrait encore en céder! Pas question! Il vaut mieux croire sa haine ou son indignation justifiées! Cela donne de l'air! Mais, dans ce cas aussi, on ne voit jamais vraiment les aspects les plus sombres de la réalité et on ne peut ni guérir, ni se prémunir contre les prochaines catastrophes!

        Ceci est encore valable pour les journalistes, ne leur en déplaise, car ils forgent une société dans laquelle ils se retrouvent, malgré certains événements, qu'ils choisissent d'ignorer, ou plus exactement qu'ils refoulent! Nous voyageons sur un bateau imaginaire et seules les tempêtes nous forcent à nous changer! C'est dire combien notre évolution est longue et nous coûte cher!

        Mais, c'est ainsi: nous ne voulons voir que ce qui nous arrange!

        Mercredi 17 février: le vent est tombé, mais je suis réveillé par une musique, que je perçois comme une agression... C'est déjà assez dur comme ça! Je me lève mécontent et me dirige vers la source du bruit, pour le diminuer!

        Dans le couloir, je m'aperçois que la musique vient du secteur de Douguet... Il me faut passer un embranchement et plus j'avance et plus je trouve le son anormalement fort! C'est comme si on avait subitement abandonné la station, en laissant certains appareils fonctionner...

        La porte de Douguet est entrouverte... et il gît sur son lit! Il a des pansements sur le visage, mais ce sont ses yeux qui me frappent! Ils sont figés dans une surprise horrifiée et ne regarderont plus personne! Une main serre la télécommande, ce qui explique le volume de la chaîne... Je m'approche un peu, mais pas trop..., car j'ai déjà vu cette expression: elle était sur Mercier, le premier mort du virus!

        J'éteins la chaîne et je bute contre Friant! "Alors, mon salaud, t'es venu finir le travail!" me dit-il. Derrière lui se tiennent le professeur Morizur et même Sophie Prémel, qui me regarde avec de la haine, car elle croit sans doute toujours que je l'ai "snobée"!

        Morizur est un grand type, maigre et froid, quasi hautain! Il doit se faire une haute opinion de lui-même et avoir beaucoup d'ambitions! C'est un dominant et qui trouve juste de l'être! Pour lui, il y a les élites et les autres! Dans son esprit, c'est une question naturelle d'intelligence, de capacités! Il est né du bon côté, voilà tout!

        Mais l'intelligence n'a pas grand chose à voir avec le QI! Elle est difficilement quantifiable et même on peut vouloir ne pas la voir, comme je l'ai écrit plus haut! On comprend qu'il y ait une intelligence basée sur la logique et la raison, mais il en existe une autre qui émane de la sensibilité, qui rend la perception du réel extrêmement fine! Celle-là aussi utilise bien sûr la raison, pour atteindre l'entendement, mais elle est d'abord due aux sens, à l'instar de l'animal qui reconnaît un danger, avant même qu'il ne soit vraiment menacé!

       On peut ainsi juger du degré d'oppression d'un dominant, car chacun transmet quelque chose! Et certains ou certaines sont déjà des tyrans à cent mètres! Et c'est une forme d'intelligence que de s'en apercevoir, car cela évite de devenir une victime! Cette intelligence due au sens, et qui est peut-être plus primitive que celle du raisonnement, est un formidable atout pour la survie! Elle permet de comprendre le monde bien avant la parole! Mais le terme d'intuition ne lui convient pas non plus...

        "Vous vous trompez, Friant! J'ai entendu de la musique et je suis venu voir... et j'ai trouvé Douguet comme ça, mort!

        _ Mort? Il est mort? Vous l'avez tué! criait maintenant Friand, en essayant de voir par-dessus mes épaules...

        _ N'approchez pas, Friant! fis-je en bloquant le passage! Le malheureux a été tué par le virus! 

        _ Le virus? Encore vos histoires!

        _ Il a le même air que Mercier, quand celui-ci a été frappé!

        _ Hum! Il a peut-être raison, Friant, dit à son tour Morizur. Il vaut mieux être prudent!

        _ Je peux sans doute prouver que c'est le virus, car je dispose de tests!

        _ Des tests? Mais personne n'en a parlés!

        _ Je sais, c'est Gestin qui me les a confiés! Mais, sortons! Je vous propose de revenir effectuer le test, quand nous serons équipés!"

        Avant de continuer mon récit, il me faut revenir sur mon dernier échange avec le médecin de la station...

        Jeudi 18 février: le temps est sec... et la température à l'extérieur est de moins quinze degrés! Quand on regarde les choses par le hublot, on ne peut s'empêcher d'éprouver un léger malaise, car ce qui nous protège du froid nous paraît bien mince! Mais baste, il s'agit bien de vivre!

        Gestin a peut-être effectivement découvert un vaccin... Il faut dire que le "labo" ici est très performant! Mais il est nécessaire d'attendre, d'examiner s'il y a bien une immunité et je suis devenu le cobaye de Gestin! Pour l'instant, je ne ressens pas d'effets secondaires, mais suis-je vraiment protégé contre le virus?

        De son côté, Gestin résiste à la maladie, notamment en prenant des médicaments, sa "potion" comme il l'appelle, et il a mis au point des tests! Ce sont de longs bâtonnets, terminés par du coton, qu'on enfonce dans le nez et qui prennent la couleur bleu, au contact du virus! J'en ai plusieurs sur moi et j'explique leur fonctionnement à Friant...

        Puis, je prends un malin plaisir à lui "tisonner" le nez, de sorte qu'il s'agite et lève un bras pour m'arrêter! Mais je ressors le test et il est négatif! Friant est soulagé, mais en même temps il doute... Cependant, je ne lui laisse pas l'occasion de m'appliquer le même traitement... Je lui montre seulement une pochette avec mon nom et un coton blanc, ce qui doit le convaincre de ma bonne santé, et, comme je ne mens pas, nous nous mettons à nous habiller.

        Vêtus de combinaisons protectrices, nous entrons de nouveau dans la chambre de Douguet... et inutile de dire qu'il n'a pas bougé! Il a toujours ces yeux terrorisés, mais, sans m'apitoyer, je lui enfonce dans le nez un test et il réapparaît bleu! Friant acquiesce et nous nous en allons. Le corps sera enlevé plus tard, pour rejoindre ceux qui déjà "méditent" dans la chambre froide!

        Tout le monde, en fin de compte, est réuni dans le réfectoire... "Je n'ai que quelques tests! dis-je. Il y en aura d'autres, mais Gestin fait ce qu'il peut!

        _ Et qui nous dit que ces tests sont valables? fait quelqu'un.

        _ Friant était avec moi chez Douguet... Il peut témoigner!

        _ C'est vrai, j'ai vu la différence!"

        Il y a un murmure... "La priorité, c'est de tester les personnes qui étaient le plus en contact avec Douguet!" repris-je. Silence...

        "Voyons voir... Il y a bien sûr Friant... et il est négatif! Mais qui d'autres?

        _ Morizur, Prémel certainement! dit Friant lui-même!"

        Je vois les deux intéressés se raidir... "Hum! C'est-à-dire... fait Morizur.

        _ Jamais vous ne me mettrez une saloperie pareille dans le nez! s'écrie verte de rage la belle Prémel."

        Derrière les autres s'écartent... "Friant..." fais-je et tous les deux, encore vêtus de nos combinaisons, nous faisons asseoir celle qui pourrait être mannequin et qui très sérieusement est ici en tant que biologiste! Elle se débat et son corps élastique s'avère particulièrement vigoureux! Mais enfin sa tête est immobilisée et mon bâtonnet disparaît dans sa narine frémissante!

        Malgré la situation, je fais tout pour ne pas paraître brutal, car je respecte toujours la beauté et l'homme cède naturellement à la femme, car elle représente potentiellement l'avenir, la survie de l'espèce!

        Prémel a sans doute senti mes égards, puisqu'elle se calme et je crains maintenant lui avoir dévoilé quelque faille, mais le test est négatif et la jeune femme se libère... Nous nous tournons alors vers Morizur, qui hésite et qui a sans doute peur que le moment l'humilie devant les autres! N'est-il pas le chef?

        "Allez, professeur! fais-je. Vous savez bien que c'est nécessaire! Tenez, c'est Friant qui va vous tester!

        _ Eh bien, oui, hum! dans ce cas..."

        Ici, Morizur redevient un dominant: il s'assoit volontaire sur la chaise et met courageusement sa tête en arrière. Je laisse Friant opérer... Le bâtonnet roule entre ses doigts et sa couleur bleue est montrée en pleine lumière! C'est la stupeur! "Ce n'est pas possible! s'écrie Morizur. Je... je ne ressens aucun symptôme!

        _ Vous devez donc être asymptomatique! lui dis-je. Mais vous transmettez tout de même le virus!

        _ Mais.. mais...

        _ Il est indispensable que vous gardiez la chambre pour le moment, à moins que vous ne vouliez contaminer tout le monde! Gestin vous fera donner les médicaments qu'il utilise lui-même!"

        Morizur est assommé et il se laisse emmener par Friant... Les autres me regardent comme si j'étais le diable en personne... et je suis toujours surpris par notre enfantillage!

        Nous sommes là avec toutes nos histoires, sur une toute petite planète perdue dans l'espace, alors que nous mourons les uns après les autres, et pourtant cela ne nous choque pas, ne nous interpelle pas!

        C'est comme si nous étions dans un train à grande vitesse, sauf que le réseau ferré n'existe pas!

        Combien faut-il de domination, pour ne pas sentir la spiritualité nécessaire?

  • Sous le Dom!

    Sous le dom

     

     

     

                                                                  "Des cloportes! Tous des cloportes!"

                                                                                  La Métamorphose des cloportes

     

     

       Journal de Jack Cariou, lundi 8 février: déjà trois morts! Le Mercier, Nizou et Covillon! Nous vivons isolés, à cause de la tempête, mais surtout parce qu'un virus condamne notre station Charcot!

        La neige s'accumule sur nos flancs et paraît nous enfouir peu à peu! Il est difficile de résister à un sentiment d'oppression, d'autant que le souffle du vent rend encore plus troublant notre silence!

        Les rencontres sont rares et courtes, seulement produites par la nécessité! Les nerfs sont mis à rude épreuve... On croit être suivi et on se retourne, pour voir un couloir vide! Ou bien on se fige, car on a entendu des rires, jusqu'à ce qu'on comprenne qu'on est le jouet d'un bruit de fond ou d'un acouphène!

        On s'arrête encore devant des ombres, que font les coins, comme si on redoutait et désirait tout à la fois voir surgir je ne sais quel monstre! L'horreur même montrerait que nous existons, qu'il se passe quelque chose!

        Pour m'équilibrer, j'écris avec plaisir, dans ma chambre, où j'ai mes habitudes! Un vieux plaid, même déchiré, vient me réchauffer les jambes... J'ai une belle lampe de chevet, qui me verse une lumière chaude, et comme partout où je suis, j'ai construit autour de moi une ambiance studieuse!  

        On ne se refait pas évidemment et je suis toujours le même fil rouge: la domination et le sens de la vie! Je ne peux me lasser du sujet, c'est plus fort que moi! Mais j'ai l'impression d'être un brise-glaces, tant les obstacles sont nombreux et il est possible que l'horizon soit aussi vide que le cœur de ceux que je combats! Alors, la nuit éternelle m'engloutira..., avec mon secret ou ma folie!

        Mardi 9 février: il est tout de même un fantôme, quasi palpable, qui hante les lieux... C'est une très vieille dame hideuse et en haillons, toujours à se plaindre et qui soudain vous tranche la gorge, avec la plus belle férocité! C'est la haine, le sentiment qui règne le plus et qui finit par chasser tous les autres!

        Le froid n'y est pas pour rien, bien entendu, car il gêne, mais la haine est quasiment une maladie! Elle vient de ce que notre domination se sent menacée et plus cette seconde est impérieuse et plus la première est grande! C'est un sujet que nous avons déjà maintes fois traité et pourtant il ne cesse de nous interpeller! 

        En effet, la plupart sont haineux du simple fait que l'autre existe! Que l'autre ait une vie propre, qui doit être respectée, constitue pour eux une épreuve insurmontable! Comment expliquer un phénomène aussi déraisonnable, sinon parce qu'il vient d'un égoïsme forcené, immature, infantile; comme si le bébé qui est en nous ne voulait pas grandir, pour ne pas voir, ni avoir froid et peur?

        Nous sommes faits pour vivre en société, mais la haine nous en empêche justement et elle peut donc être vue tel un cancer qui nous détruit! C'est pourquoi, malgré l'enseignement des guerres, notre quotidien est toujours aussi impossible, violent et douloureux! Mais considérons les animaux...

        Dans le groupe, ils se situent selon qu'ils sont dominants ou dominés! Il est donc naturel que nous reproduisons ce comportement et on tient d'abord à être supérieur à l'autre, ce qui implique  qu'on le veut asservi; d'où notre haine si ce n'est pas le cas!

        Un combat s'engage pour savoir qui est le dominant et jusque-là nous ne faisons guère plus que les animaux! Cependant, si la hiérarchie assure leur survie, pourquoi est-elle empoisonnée chez nous? C'est que l'homme (et nous nous répétons sûrement!) a une conscience qui lui permet de s'affranchir un tant soit peu de ses instincts, ce qui lui donne une liberté, un choix, une connaissance, qui ne peuvent pas ne pas l'inquiéter, l'angoisser!

        Or, face à la peur, à l'inconnu, nous avons de nouveau recours à notre naturel, c'est-à-dire que nous renforçons notre domination et par là notre haine! On voit l'impasse! Ce qui convient aux animaux nous perd! Non seulement nous nous piétinons, mais en plus nous voulons soumettre la planète, ce qui la met en péril!

        Il faut donc donner à nos vies un autres sens que celui de la domination! Mais allez dire ça à des gens qui sont remplis de haine, qui sont prêts à n'importe quoi pour écraser ou avilir!

        Mercredi 10 février: mal dormi, froid... Par le hublot, je ne vois que de la neige en bourrasque, car ici la tempête peut souffler pendant des jours! Comme souvent, je suis quasiment hagard et je ne crois plus à ce que je fais... Parler de leur égoïsme aux gens, c'est comme soulever une poutre! On grimace, on ahane, puis on la laisse retomber avec précautions, pour ne pas coincer sa main ou blesser son dos!

        Pendant ce temps-là, notre interlocuteur est resté de marbre et ne montre aucun signe de compréhension! Il s'est glacé sous la menace! Pourtant, on parle de l'essentiel et même du bonheur! La haine de nouveau affleure et on peut même s'en vouloir d'exister, en étant aussi encombrant!   

        On se lasse d'être à contre-courant et on voudrait alors n'importe quoi, plutôt que de continuer à marteler des choses, que seul le néant écoute! J'étais dans cet état d'esprit quand elle est entrée! Elle a d'abord frappé, j'ai répondu et elle a dû faire un pas dans la pièce, mais je n'en suis pas sûr, car elle se déplace comme par enchantement! Elle, c'est Sophie Prémel!

        Dès mon arrivée à la station, je l'avais remarquée... et ce n'est pas possible de faire autrement! Sa vitalité, sa sensualité captivent tous les regards, comme si chacun était un figurant du film dont elle est la vedette!

        Cela ne m'avait pas gêné, car Sophie Prémel était avec le groupe des dominants et je sais que ce sont au fond les plus faibles; ne serait-ce que parce qu'il leur faut toujours éprouver leur supériorité, ce qui réduit leur existence à un miroir!

        Mais la santé appelle la santé, la force la force! C'est une garantie de plaisir pour le sexe et plus inconsciemment, c'est la condition pour une progéniture saine! L'acte d'amour n'est jamais autant réussi que quand il y a l'espoir d'un monde meilleur, par la transmission des gènes! C'est le désir infini de l'autre qui provoque ce rêve... et c'est pourquoi les dépressifs, qui ne trouvent pas leur environnement favorable, s'en désintéressent!

        Mais Sophie Prémel m'adresse pour la première fois la parole et j'assiste à une véritable symphonie! Mon regard va de ses yeux clairs et profonds, à sa bouche corail et légèrement humide! Elle tourne autour de mon lit, en pivotant sur un doigt... et cela me permet d'admirer ses hanches fuselées et fermes!

        Elle se redresse, ainsi que sa poitrine parfaite! Elle a une moue et souffle sur une mèche, qui dégringole d'une chevelure de lionne! Je me tends inexorablement!

        Elle se rapproche encore et m'embaume! Elle me parle, mais que dit-elle? Je n'écoute même pas! Je suis captivé par chacun de ses gestes, comme le cobra par son maître! Puis, elle me frôle de sorte que je peux imaginer les plaisirs les plus crus! Mais elle me calme en levant un sourcil!

        Je suis comme un assoiffé dans le désert! Je crains même de devenir son caniche! Ma solitude me paraît absurde, mon combat une planche de tortures! J'ai l'air d'un morceau de sucre qui se dilue! Je voudrais la prendre dans mes bras, boire à sa source... et pourtant, il y a une chose que je ne perds pas de vue, malgré le brouillard: pourquoi ai-je droit à cette visite?

        Voyons... La reine, que j'ai sous les yeux, a pu apprendre ma résistance face à Douguet et ma collaboration avec Gestin! Cela place un homme, si je puis dire, et j'acquiers peut-être le statut de dominant! Mais je n'y crois guère, je n'ai pas vraiment le profil: il me faudrait encore être riche, pour satisfaire Sophie Prémel, qui veut la puissance et la sécurité!

        Ce qui me paraît plus juste et plus sombre, c'est qu'elle est envoyée par le "clan" adverse, que mène le professeur Morizur, à qui je n'ai pas encore eu l'honneur de parler! En me rendant esclave d'Eros, on m'écarte de la route, pour atteindre Gestin! C'est bien combiné, car vraiment je suis tout petit et la vague de la sensualité peut m'emporter facilement!

        Mais, au final, c'est Sophie Prémel elle-même qui me délivre, en se trompant sur mon inertie, qu'elle prend pour de l'indifférence! Son amour-propre, impérieux et impatient, se révolte et l'injure succède à l'œillade! "Qu'est-ce que je fais ici, Cariou? hurle-t-elle presque. Vous me désirez, je le sais, mais vous n'avez même pas le courage de vouloir vous satisfaire! Vous n'êtes qu'un minable, un pauvre minable (on dirait du Douguet au féminin!)!"

        Et elle s'en va; ses formes sveltes se fondant dans le sillage de sa chevelure fauve! Elle eût montré un peu de désarroi et j'eusse cherché ses lèvres! Inutile de dire que j'ai mis beaucoup de temps à m'en remettre!

        Jeudi 11 février: dans la nuit j'ai été réveillé par un froid intense, anormal! Après examen, mon chauffage était éteint et je me suis dirigé vers la chaufferie, pour essayer de réparer la panne. Je ne voulus pas allumer les couloirs et me guidai seulement avec les éclairages de secours; c'était largement suffisant! De temps en temps, j'entendais, au-dessus de ma tête, le bruit soyeux de la neige, qui était en train de nous ensevelir!

        La chaufferie est une vaste pièce nue, où ronronne le circuit, dont on découvre le fonctionnement, au fil des voyants de plusieurs tableaux! J'étais en train de déchiffrer ce dédale, quand j'entendis derrière moi une voix dire: "Alors, j'ai fait sortir le loup du bois!"  C'était Douguet, qui visiblement m'avait fait tomber dans un piège! "Il est de temps de régler nos comptes... Tu penses pas, le morveux?"

        J'ai plus de cinquante ans et je suis fatigué d'avoir peur..., surtout de gens comme Douguet! Il était plus fort que moi et savait sans doute se battre, mais je connaissais son caractère et je prévoyais son attaque! Comme il était impatient et égoïste, il voudrait m'anéantir le plus vite possible! Si je pouvais résister un tant soit peu, je le conduirais dans mon domaine, celui de l'endurance et de la souffrance, ce qui lui serait nouveau et le déstabiliserait!

        Je me mettais en garde, me couvrant bien le visage et tout le haut du corps! Douguet bien entendu en ricana, mais je me moquais de son mépris! Puis, il chargea et fit pleuvoir ses coups, comme je l'avais prévu! Ma défense tint bon et je reculais juste pour diminuer le choc! Soudain, entre ses bras, je plaçai un uppercut, qui le toucha au menton! C'était un geste préparé!

        Il fut plus surpris que blessé, mais j'avais réussi à briser son élan! De nouveau, cependant, il fonça et je me protégeai contre sa fureur! Il n'était pas possible qu'il pût soutenir ce rythme et je profitai d'une petite baisse d'intensité, pour me pencher et le frapper dans les côtes, avec deux crochets du droit, de toutes mes forces! Il grimaça et encore une fois s'écarta!

        Il était là où je voulais qu'il fût! Le doute commençait à le gagner et il réengagea plus mollement! Je lui refis mal de la même façon: un cobra n'aurait pas été plus percutant! et cette fois Douguet hésita, entre sa garde et se tâter les côtes! Dans l'ouverture, mon direct du gauche chercha la distance et je pus déclencher le droit! J'écrasai sa joue et son nez et j'alternais: gauche, droite; gauche, droite! Je me défoulai sur la pâte de son visage et je vidai une colère depuis trop longtemps contenue!

        Je fus tout de même tiré en arrière, en même temps qu'on me criait: "Mais arrêtez! Vous allez le tuer!" Je me calmai et approuvai celui qui venait d'intervenir: Friant, l'un de ceux qui étaient avec Douguet, quand je fus sommé de choisir mon camp!

        Je laissai le blessé aux soins de Friant et regagnai ma chambre... Je ne regrettai rien... J'étais fier d'avoir résisté et puis c'était le matin! Après une brève toilette, malgré mes membres douloureux, j'apportai à Gestin son petit déjeuner! C'est moi qui lui sers ses repas...

       Il ouvre sa porte et je pousse le plateau...  Puis, quand il a refermé, on discute comme dans un confessionnal... Debout dans le couloir, je l'entends qui commence à manger, mais cette fois-ci je me figeai: " Cariou, dit-il, je crois avoir trouvé un vaccin!"      

  • Dom dégoûtant!

    Dom degoutant

     

     

                                                             "Comment veux-tu que je fasse confiance en quelqu'un

                                                               qui porte une ceinture et des bretelles?"

                                                                                             Il était une fois dans l'Ouest

     

     

     

        Journal de Jack Cariou, mardi 2 février: de nouveau la tempête fait rage autour de la station polaire Charcot! Nous voilà comme sur un navire, que les flots emportent dans la nuit, d'autant que nous sommes isolés, confinés, à cause d'un virus!

        Aujourd'hui, j'ai eu la visite du mécano Douguet... Un drôle de type, au corps dégingandé et au regard fuyant! Il s'est présenté sur le seuil de ma chambre: "J' vais pas plus loin..., rapport au virus! m'a-t-il dit avec une grimace.

        _ Bien sûr!

        _ Alors, comment vont nos malades?

        _ Eh bien, apparemment, ça ne va pas trop mal... Gestin se soigne... J'ai informé Covillon qu'elle était un cas contact et la scientifique en elle a repris le dessus! Elle comprend qu'elle ne doit pas quitter sa chambre! Quant à Nizou, il continue tant bien qu' mal son sevrage! Je lui transmets par ailleurs les calmants que lui adresse Gestin!

        _ Oh! oh! Bien! Voilà de bonnes nouvelles!

        _ En effet!

        _ Dites, c'est quand même dur ce confinement! J'ai l'impression qu'y pensent pas vraiment à nous, sur l'Hexagone!

        _ La tempête n'arrange pas les choses...

        _ Non, évidemment! Mais, au final, nous sommes paralysés à cause de trois personnes! Deux exactement!

        _ Comment ça?

        _ Eh bien, d'après ce que nous savons, seuls Covillon et Gestin ont été infectés! Car, autrement, personne n'a vu le virus sur la base!

        _ Mais il peut se propager tout de même!

        _ Bien sûr, mais nous prenons des précautions, non? D'ailleurs, ne sont-elles pas excessives? On ne vit plus pour ainsi dire! Alors, que nous, nous sommes jeunes, dans la pleine force de l'âge!

        _ Mais où voulez-vous en venir?

        _ Ecoutez, il est visible que le virus est véritablement dangereux pour les vieux! Mercier est mort et son collègue Gestin a l'air lui aussi salement touché! Mais la Covillon s'en sort comme un charme! Le virus semble sans effets sur elle!

        _ Mais j'imagine que les personnes les plus vulnérables sont les plus exposées, mais cela ne veut pas dire que le virus ne pourrait pas faire succomber... quelqu'un dans la pleine force de l'âge, comme vous dites!

        _ Ecoutez, Cariou, je vais vous parler franchement... Je crois que Gestin nous mène en bateau..., qu'il nous fait croire à un virus qui n'existe pas! Après tout, Mercier est peut-être mort d'une simple crise cardiaque et Gestin a saisi l'occasion!"

        Je suis resté au moins une minute silencieux, avant que les propos de Douguet ne me pénètrent, puis j'ai eu la force de demander: "Mais Gestin agirait dans quel but?

        _ Mais pour prendre le pouvoir de la station! Il y avait déjà une lutte entre Mercier et lui et depuis quelque temps, il est question que les jeunes ici prennent les choses en main! L'Hexagone verrait bien le professeur Morizur comme nouvel administrateur, à la place de Gestin!

        _ Je l'ignorais...

        _ Apparemment, vous n'êtes pas très au courant... et comment pourrait-il en être autrement? Vous êtes un invité ici! Mais, bon sang, considérez les choses avec sang-froid! Qui a découvert le virus? Gestin! Qui a provoqué le confinement? Encore Gestin! Qui a dit à Covillon qu'elle est un cas contact? Toujours lui! Il est devenu le maître d'œuvre, il nous tient à sa merci, pour ainsi dire, avec une histoire inventée de toutes pièces!

        _ Et s'il meurt demain?

        _ Et si le père Noël frappe à la porte! Je vous laisse, mais vous devriez commencer à réfléchir à tout ça!"

        Oh oui! Il n'avait pas besoin de me le dire, car un abîme s'ouvrait devant moi! Un monde effarant et terrible! Je frissonnai de dégoût! Mais il fallait que je considère les méandres du cerveau humain! Comment pouvons-nous tant transformer la réalité selon nos désirs?

        Soudain, pourtant, je me figeai! Et si j'avais été aveugle? Le poison de Douguet faisait son effet... Je rappelai à ma mémoire Gestin, son allure, son action auprès de Nizou et de Covillon... Je pesai de nouveau entièrement l'homme et il me fut impossible de le voir tel un manipulateur! Il ne simulait pas, il y avait bien un virus et Gestin en était atteint!  

        Malgré mon soulagement, je ne pus m'empêcher de frémir, en mesurant le travail destructeur des propos de Douguet et je prenais conscience du mal que pouvaient produire les fake news! Mais comment expliquer de telles manœuvres retorses?

        Nous savons que, sitôt le ventre plein, nous luttons pour imposer notre amour-propre ou notre égoïsme! C'est la domination qui nous vient du règne animal! Mais nous n'admettons jamais ce fait, que ce sont nos intérêts qui sont en jeu! Notre soif de pouvoir n'existe pas!

        Par exemple, un tel va s'engager en politique et tout son discours s'appuiera d'abord sur une volonté d'aider les gens, de s'impliquer pour eux! C'est d'autant plus facile à faire croire que c'est vrai! Une partie du futur élu veut effectivement le bien, grâce aux "manettes" de la démocratie!

        Il faut un événement contraire pour que le tuf, la roche, apparaisse! Notamment, l'échec aux élections fait naître, chez notre candidat, une haine qu'il voue à son adversaire! L'autre a réussi et pas lui! S'il était seulement question d'un programme et du bonheur des gens, il n'y aurait pas ce sentiment violent, cette amertume et ce mépris, mais comme l'amour-propre était encore sur la balance, il réagit et se console comme il peut!

        Au fond, il n'y aurait pas de politique, s'il fallait avouer ses ambitions personnelles, car la situation semblerait trop crue pour les électeurs... et cette façon d'"arranger" nos pensées, que l'on peut voir comme de l'hypocrisie, est présente dans tous les cerveaux! Elle est même plus le fruit de l'ignorance que de la malhonnêteté!    

        Cependant, elle ne cesse d'agir et de transformer notre environnement! Elle "dévie" le problème ou l'essentiel! En effet, notre égoïsme insatisfait, souffrant, s'il demeure caché, s'exprime en désignant des coupables, des responsables qui font obstacle au bonheur! Pour les uns, ce sera les étrangers; pour les autres, le gouvernement, l'Europe, etc.! Jamais nous ne touchons du doigt notre véritable moteur et nous croyons durs comme fer à nos combats!

        Certains, pour se donner de l'importance, imaginent de vastes complots, car ils deviennent ainsi des victimes paranoïaques, se débattant dans des rets invisibles! Ce songe leur voile tout appétit personnel et même légitime l'égoïsme le plus forcené! "Puisque nous vivons dans un monde dominé par des manipulateurs sans scrupules, faisons comme eux pour nous libérer, défendons-nous becs et ongles pour sauver notre peau!", voilà le raisonnement!

        Ici, Douguet tourne la situation pour donner raison à sa haine! C'est Gestin qui le bloque, parce que celui-ci est coupable! Gestin fait partie des vieux qui veulent garder le pouvoir! En le supprimant, on retrouve la justice et celui qui en doute n'est pas dans la réalité, selon l'esprit de Douguet! De plus, il se dit appuyé par les autorités, etc.! Et tout ça parce qu'il est impatient, ambitieux, qu'il cherche à aller plus vite!

        Il ne se sonde pas, ne se remet pas en question, ne voit pas que son problème est justement son avidité qui le ronge! Il avance comme un tourbillon et ne veut surtout pas qu'on lui tende un miroir, où il apparaîtrait égoïste, d'où sa logique perverse! Un tel homme ici, alors que nous sommes confrontés à des conditions extrêmes, est forcément dangereux!

        Mercredi 3 février: ce que je redoutais est arrivé! J'ai été pris à partie par Douguet, qui était accompagné de quelques autres, afin que je choisisse mon camp! La question était: est-ce que je suis avec eux ou contre eux! Et leurs regards n'avaient absolument rien d'amical! Mais comment leur faire comprendre la façon dont je vois le monde?

        On entendait le vent hurler dehors et cette rencontre, dans le réfectoire presque vide, avait quelque chose de sinistre! Je décidai de gagner du temps, en tergiversant... "Qu'allez vous faire, si je suis des vôtres? Quels sont vos projets?

        _ Eh bien, on prend le pouvoir... répondit Douguet. On écarte définitivement Gestin et on annonce que le virus était une erreur! On va pas se sacrifier pour des ruines, on a mieux dans le viseur! Pas vrai, les gars?

        _ Vous ne pensez tout de même pas sérieusement à éliminer physiquement Gestin?

        _ Non, bien sûr que non! Ceci dit, euh, un accident est vite arrivé... Par exemple, il peut s'endormir la fenêtre ouverte! Elle était mal fermée et le vent...

        _ Je vois... J'aimerais savoir: qu'est-ce que vous voulez au juste?

        _ Hein?

        _ Oui, qu'est-ce qui vous manque et qui pourrait vous rendre heureux?

        _ Ben nous, on veut que la base fonctionne et puis s'il y a des brevets, on peut se faire du fric! Etre plus à l'aise, voir plus grand, respirer, voilà c' qu'on veut!

        _ Et si je vous disais que même avec du fric et du temps libre, vous seriez aussi malheureux et tendus que maintenant! Hein? Et si je vous disais que vous êtes des hypocrites et des égoïstes et que c'est justement cela qui vous fout d'dans!

        _ Ah! Ah! Cariou, j' t'avoue que j'avais jamais compté sur toi! J' savais que tu nous f' rais faux bond! Tss, tss! T'es un merdeux, Cariou! T'es le pauvre type par excellence! J' parie qu' t'as jamais vraiment satisfait une gonzesse! T'es un pisse froid! Un sale petit bourgeois!

        _ Bah, j' suis trop vieux maintenant, pour avoir peur de la canaille!

        _ Très bien, on va s'occuper de toi! On va d'abord t' rosser comme t'as pas idée!'

        Je reculai pour me préparer, quand il y eut soudain du bruit dans le couloir! Puis, la sonnerie d'alarme se déclencha! Quelqu'un venait d'entrer dans le sas, sans effectuer la procédure! Les lumières s'éteignirent et je me précipitai hors du réfectoire, pour buter contre Gestin! "Ca... Cariou, balbutia-t-il. Vite! C'est Nizou et Covillon! Ils sont comme fous! Ils ne savent même plus où ils sont! Ils ont pris une moto neige, Cariou! J'ai pas pu les raisonner!"

        Gestin éclata en sanglots et je démarrai moi-même un engin, pour ramener les égarés! La nuit était tombée et le vent m'attaqua aussitôt comme des milliers d'aiguilles! Un phare apparut sur le côté et je distinguai Douguet! Ainsi donc, lui aussi participait aux recherches!

        Que dire? Qu'on les a retrouvés au petit matin? L'un et l'autre figés dans la glace? Quelle folie les a saisis? Nizou en manque toujours et voulant échapper à ses souffrances, par une ultime fuite! Peut-être croyait-il qu'il y avait une ville non loin, avec ses dealers?

        Quant à Covillon, l'angoisse et la claustrophobie ont eu raison d'elle! Cette femme voulait plaire, être la reine dans les lumières et l'air frais l'a sûrement d'abord grisée! Le chant des étoiles plutôt que cette station grise, presque miteuse!

        Dehors, le vent est tout puissant et il emporte nos rêves!

  • Dom Drogues!

    Dom drogues

     

     

     

                                      "Tu dois de l'argent? Tiens, voilà déjà deux cents! Mais si, prends!

                                       Demain, je passe à la banque, je retire tout ce que j'ai... et j' fais un emprunt!

                                       J' connais mon banquier! T'inquiète pas, ça va s'arranger!"

                                                                                                           Tchao Pantin

     

     

     

       Journal de Jack Cariou, lundi 25 janvier: "Depuis trois jours, la tempête fait rage autour de la station scientifique Charcot! Nous ne sommes plus en contact avec les autres hommes, tant le vent règne et hurle sur la banquise! Nous avons l'impression que c'est la fin du monde... et pourtant un fait plus grave nous préoccupe encore plus!

        La mort du professeur Mercier, il y a deux semaines, a suspendu notre destin! Il travaillait sur les restes d'un mammouth, quand il s'est brusquement écroulé, apparemment victime d'une crise cardiaque! Le biologiste Gestin, qui a pratiqué l'autopsie, a fini par détecter un virus, qui attaquerait les poumons, après inhalation, et qui viendrait sans doute des vestiges de l'animal!

        Les autorités en ont été informées et nous avons été placés en quarantaine! La liaison, qui nous apportait des vivres fraîches et qui était si importante pour notre moral, a été interrompue! Nous voilà condamnés à vivre repliés sur nous-mêmes, tant que les analyses n'auront pas éclairci le problème et permis une solution!

        Nous nous déplaçons avec des masques et gardons nos distances! Nous avons l'air de parfaits étrangers qui se croisent, tandis que les éléments déchaînés renforcent notre isolement! Les mots sont devenus rares et chacun se demande s'il n'est pas infecté! Nous écoutons nos corps, dans une sorte d'effroi!"

        Mardi 26 janvier: nous avons été réveillés par des cris sinistres! Ils venaient de la chambre du logisticien Péron! Je me précipitai, avec quelques autres, et quand nous entrâmes, nous fûmes cloués sur place! Gisait en travers du lit Péron, la langue noire, une cravate autour de son cou meurtri! Visiblement, il venait d'être étranglé!

        A côté, prostré, était sur une chaise Nizou, le météorologiste de la base! Que s'était-il passé? Il a fallu que Gestin, qui est aussi notre médecin, emmenât Nizou, avant de lui donner des soins, pour que nous ayons quelques explications! Péron se droguait, à la cocaïne! Sa positon de logisticien lui permettait d'assurer son trafic, car il était encore le dealer de Nizou! Mais, avec le confinement, il a aussi consommé les doses destinées à ce dernier!  

        Nizou, en état de manque, a demandé des comptes et a perdu la tête! Il ne nie pas les faits, mais reste surtout préoccupé par sa propre souffrance! Gestin l'a enfermé dans sa chambre et on l'entend par intermittences donner des coups dans le mur! Quant au corps de Péron, il a rejoint la chambre froide!

        Ce drame ne devrait pas excessivement nous étonner, car plus les conditions sont dures et plus certains ont recours à des "paradis artificiels"! C'est la faiblesse humaine et pourtant je ne peux ne pas voir les choses sous l'angle de l'agent OED que je suis! On sait combien la drogue, comme l'alcool d'ailleurs, donne la toute puissance! On devient beaucoup plus sensible et on se sent exister apparemment comme jamais! On croit à une connaissance accrue de la réalité et à une liberté sans bornes! On atteint le rêve et on a l'impression d'être un dieu!

        Cela est assurément séduisant, mais au final il n'y a là qu'une excitation anormale des neurones, qui conduit à la dépendance et à la dépression! Le plus dur, pour l'individu qui veut arrêter, c'est justement d'accepter, outre le sevrage, de diminuer sa domination, de côtoyer un peu plus la banalité, de faire preuve de patience pour remplir les tâches quotidiennes, et si cela peut paraître gris, amer, ce n'est qu'un faux problème!   

        En effet, la lutte contre la domination ouvre le champ de tous les possibles, devient vertigineuse en conduisant à la foi, c'est-à-dire à l'infini de Dieu! On découvre un rêve inimaginable, qui fait trembler et qui fait couler de la joie comme une cataracte! Le quotidien alors prend des proportions colossales et laisse l'ivresse telle une fusée son aire d'envol!

        Mais, là comme ailleurs, il s'agit de grandir, de quitter sa peau de bébé et cela ne se fait jamais sans peine! Combien de fois, quand on réduit son égoïsme, n'a-t-on pas le sentiment d'avoir le ventre arraché? Mais ça passe... et on en rit!

        Evidemment, drogue et violence sont inséparables!

        Nuit du 26 au 27 janvier: nous pensions en avoir fini avec les émotions, pour la journée, mais nous nous trompions! Des cris, des plaintes, des gémissements m'ont de nouveau sorti du lit! Il était près de minuit et habillé en hâte, je me suis retrouvé dans le couloir, avant de me diriger vers le sas d'entrée!

        Plus j'avançais et plus je me sentais mal à l'aise! On eût dit qu'un animal était blessé plus loin! Je rejoignis le groupe, accouru comme moi, et nous regardions stupéfaits la scène suivante... Devant les motos neige, Gestin enserrait Sandrine Covillon, l'assistante du professeur Mercier... Elle criait: "Mais laisse-moi! Laisse-moi, espèce de minable! J'en ai marre, t'entend? Marre! Je veux sortir et tu m'empêcheras pas!

        _ Elle a une crise nerfs! expliqua Gestin, en nous fixant. J' l'ai surprise alors qu'elle allait faire un tour! Le problème, c'est que pour que l'alarme ne fonctionne pas, elle a poussé le chauffage à fond dans le sas, au risque qu'il tombe en panne! Elle nous a mis en danger!    

        _ N'importe quoi! J'ai juste voulu respirer l'air de la nuit! On étouffe ici! Mais lâche-moi, espèce de fumier!

        _ Elle est dangereuse! Excuse-moi, ma grande, mais je dois le faire!"

        A notre grande surprise, Gestin frappa Covillon, d'un coup qu'il devait maîtriser, car la femme perdit immédiatement connaissance!

        "Aidez-moi à la porter dans sa chambre!" jeta Gestin et nous lui prêtâmes main forte. Dans la chambre, le médecin reprit: "Elle a eu une crise de panique! Je vais lui donner un sédatif et demain elle ira mieux!"

        Une crise de nerfs... ou de panique? Sans doute, mais de nouveau mon œil OED fonctionne et derrière le terme vague d'une crise, je comprends autre chose...

        Nous savons que ce qui nous motive d'abord, en garantissant notre équilibre, c'est la domination! Chez les femmes, cela se traduit par un désir de séduire, d'autant que l'angoisse est forte, car c'est ce qui permet de sentir sa valeur, son importance!

        Ici, Covillon a probablement, outre le confinement, perdu un repère essentiel, avec la mort de Mercier, mais qui est-on quand on croit qu'on a le droit de "perdre les pédales", comme si se donner en spectacle était légitime, allait de soi?

        Il faut, semble-t-il, avoir une domination profonde, radicale, outrée, de sorte que le monde autour peut être rendu au rôle de spectateur! Cela veut aussi dire que dans ce cas les autres n'existent pas réellement et qu'ils ne sont là que pour servir! Ou bien ils plient, ou bien ils résistent et sont l'objet de la haine!   

        En fait, les conditions défavorables révèlent le problème, le caractère tyrannique et même maladif, car la crise de nerfs peut être rapprochée de celle du drogué en manque! Certes, celui-ci a un besoin physiologique qui lui échappe, mais son apaisement est aussi dû à une conscience de soi supérieure, dominatrice!

        La femme, dont les nerfs lâchent, souffre également d'un manque et c'est celui de sa séduction qui reste impuissante, à cause du confinement, ce qui cause de l'angoisse et mène à la crise! On peut ainsi dire que la domination, à un certain degré, est pareille à une drogue et c'est pourquoi encore les autres ne comptent pas, ou si peu!

        C'est une preuve d'immaturité, car chacun a droit au respect, possède une individualité propre, unique! Prendre conscience de ce fait, c'est ouvrir les yeux sur le réel, pour le construire au mieux avec sa paix!

        Mercredi 27 janvier: la tempête a cessé et il fait un beau soleil! Je suis parti sur la glace, effectuer certains relevés, car même si je suis ici comme invité, je dois remplir quelques tâches!

        On m'a appris à regarder la banquise et ce que je vois m'épouvante! La fonte est monstrueuse et explique pourquoi l'Europe est incessamment en butte à de violentes tempêtes! De l'air froid s'écoule en masse le long du Groenland et du Labrador et vient repousser l'air chaud montant de l'anticyclone des Açores, ce qui crée de gigantesques dépressions, à l'échelle de tout l'Atlantique! Ce vent, cette pluie, cette brouillasse enfin, dans laquelle nous avons l'impression de vivre constamment, même en plein été, sont comme "le chant du cygne" de la banquise!

        A mon retour à la base, cependant, j'ai eu de nouveau un choc! Des bruits de fête m'ont conduit jusqu'au réfectoire, où j'ai pu contempler la plupart en train de faire bombance! Ils étaient ivres, se tenaient par la main, s'embrassaient et il y en avait même en slip, avec des lunettes de soleil, sur la terrasse!   

        La première accalmie avait chassé des esprit le virus et les gestes barrières! J'étais sidéré, mais je n'ai rien dit, je n'en ai pas eu le courage et j'ai quitté les lieux, sans peut-être qu'ils m'aient vu!

        C'est que je traîne aussi quelques boulets, certains complexes! J'ai toujours été pour les autres le rabat-joie, l'empêcheur de tourner en rond! Je suscite très vite l'hostilité et ce rejet récurrent m'a fragilisé et rendu haïssable à moi-même!

        C'est un effet de la dépression, bien entendu, et avec le temps j'ai compris que ce n'était pas de ma faute! J'ai toujours vu la domination ou le pouvoir destructeur de l'égoïsme et jamais je ne l'ai accepté, ni été son jouet!

        Or, il y a toujours un leader, un "roi", qui asservit les autres et qui veut qu'on l'admire, qu'on accepte son commandement! C'est ma résistance face à lui, mon opposition qui me vaut d'être exclu et honni!

        Au fond, la société reste le prolongement de l'école ou du lycée! Chacun croit qu'il doit en référer à l'Etat ou à son l'employeur! On s'imagine toujours qu'il y a un "proviseur" et que c'est lui qui règle la mort ou notre isolement dans l'espace! Force est de constater que la majorité demeure infantile et qu'on se piétine aveuglément!  

        J'ai cherché à voir Gestin, car il n'était pas au réfectoire et j'ai frappé à sa porte. Sa voix a demandé: "Qui est là?

        _ Cariou!

        _ Ah? Bien! Ecoutez Cariou, vous êtes l'un des seuls en qui je peux avoir confiance! Alors écoutez, je suis contaminé! J'ai le virus! Covillon doit être un cas contact: elle est porteuse sans être malade! Mais cela veut aussi dire que je ne peux plus bouger d'ici!     

        _ Mais...

        _ Ecoutez, il faut que vous enfermiez Covillon dans sa chambre! Cela ne devrait pas être trop difficile, car elle y était encore en train de dormir, avant que je passe mon test! Mais ce n'est pas tout! Il faut vous organiser pour nous apporter des plateaux repas, que vous reprendrez avec précaution et ceci est encore valable pour Nizou! Vous avez compris?

        _ Oui, mais vous? Comment allez-vous...?

        _ J'ai des médicaments, je suis médecin, je sais ce qu'il faut faire! Bien entendu, il faudra encore en informer le groupe..." 

        Ces nouvelles responsabilités m'ont assombri, car je me suis rendu compte que nous nous enfoncions toujours plus dans une espèce de marécage! Pourtant, la solution est simple: il suffit que nous "brisions" notre égoïsme, afin de devenir tous solidaires, ce qui rendra la crise  quasiment comme un amusement!

        Mais, dans le couloir, quelqu'un vomissait à cause de l'ivresse!